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Violence et politique, la folle hypocrisie française
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Désir latent de castagne

Les violences qui ont encore émaillé le week-end sont condamnables mais force est de constater que tout le monde a préféré l’agression des journalistes des gilets jaunes (vrai sujet d’indignation en soi) que la mobilisation du week-end.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Le mouvement des Gilets Jaunes se traduit par de la violence. Cette violence est condamnée et fait peur. D’un autre côté, quand elle n’existe plus, ce mouvement intéresse moins. Cette violence permet par ailleurs aux Gilets Jaunes d’obtenir des avancées, mais quand ils les obtiennent, ce mouvement baisse d’intensité. N’est-on pas en plein paradoxe ? 

Bertrand Vergely : La violence suscite effectivement des réactions contradictoires. Pour deux raisons qui se rejoignent. 

La première relève d’une dialectique classique. Quand un mouvement politique lutte pour obtenir la satisfaction d’un certain nombre de revendications et qu’il les obtient, il n’a plus de raisons d’exister. Aussi sa victoire est-elle sa mort et se retourne-telle contre lui. 

Quand il y a de la violence, qu’on la regarde, qu’on la condamne et qu’à la suite de cette condamnation la violence cesse, on a obtenu ce que l’on voulait, à savoir, la cessation de la violence, mais, en obtenant ce que l’on veut on a tué le regard que la violence faisait exister.  

Face donc à la violence qui a cours aujourd’hui, il s’avère que les acteurs et les spectateurs de cette violence se retrouvent dans une même situation. Ce paradoxe n’est pas un hasard.  

Chez les Gilets Jaunes, un phénomène est apparu auquel ils ne s’attendaient pas. Découvrant qu’ils pouvaient former un mouvement très convivial doté d’un certain poids, ils ont pris du plaisir à ce mouvement. Un plaisir tel qu’ils ne veulent surtout pas que celui-ci s’arrête. D’où la contradiction qui est la leur. Quand on ne satisfait pas leurs revendications, ils sont furieux. Quand on les satisfait ils sont furieux en disant que ce sont des mesurettes. Furieux quoi qu’il arrive et quoi que l’on fasse, ils finissent par donner l’impression de ne pas savoir ce qu’ils veulent en étant prisonniers d’un mouvement qu’ils ne savent plus comment arrêter. Maurice Thorez, ancien secrétaire général du Parti Communiste durant l’entre-deux guerres, disait au moment du Front Populaire « Il faut savoir arrêter une grève ». Il avait alors affaire au mouvement ouvrier emballé par le fait de faire grève. Aujourd’hui, il va falloir que les Gilets Jaunes apprennent à arrêter leur mouvement. 

Quant au public qui regarde les Gilets Jaunes et leur violence, il est dans une position similaire. Chaque Samedi, il attend de savoir quelle violence va encore avoir lieu comme on attend la suite d’un feuilleton à la télévision. 

La vérité est que tout le monde s’amuse, tout le monde se divertit. Tout le monde est pris dans un phénomène de rêve et de désir collectif. Pour une simple raison : la violence est encore ludique. Quand elle deviendra grave, les choses changeront. 

Quand on regarde la violence et qu’on ne la subit pas, on la trouve excitante. Quand on la subit, il en va autrement. Quand on pratique la violence et qu’on ne la subit pas là non plus, on trouve cela excitant. Quand on la subit, il en va autrement. La France s’offre un psychodrame sociopolitique dont elle raffole. Un seul problème : personne ne sait comment il va être possible de l’arrêter. 

La violence permettant d’aboutir à une certaine efficacité politique, n’est-ce pas le politique ainsi que la collectivité qui en sont responsables ?

Il y a deux façons d’envisager le politique. L’une est morale en faisant de la politique la mise en forme da la morale dans le champ social. L’autre ne l’est pas. D’inspiration matérialiste, cette seconde façon d’aborder le politique repose uniquement sur la défense d’un intérêt particulier dans le cadre général de la guerre des intérêts et de leurs rapports de forces. 

Dans le cadre d’une approche matérialiste fondée sur la préservation d’intérêts propres, la politique est soit faite de compromis et on appelle cela la paix, soit elle relève carrément de la guerre afin d’aboutir à la prise du pouvoir. 

Quand il est dit que le politique favorise la violence, il importe de distinguer le discours général qui dit cela, de ce qui se passe aujourd’hui avec les Gilets Jaunes. 

Le discours général qui explique que c’est le politique qui favorise la violence est un discours matérialiste. Cherchant à se donner une légitimité morale, ce discours repose repose sur trois éléments. 
 I. Une accusation du pouvoir. Si il y a de la violence dans le champ politique, c’est qu’il y a un pouvoir dominant qui opprime en dominant. La violence est donc d’abord la violence des dominants sur les dominés. C’est bien le politique qui favorise la violence. Pour justifier le renversement d’un tyran, saint Thomas, utilise cet argument. Quand un tyran opprime, la violence vient d’abord de lui et non de ceux qui sont contre lui. C’est le politique qui favorise la violence. 
 II. Un discours de légitimation de la violence. Quand on est agressé par un pouvoir qui opprime en dominant, la seule façon vraiment payante de se faire entendre et de se libérer réside dans la violence. Si le pouvoir en place ne veut pas de violence, qu’il arrête d’opprimer. Cet argument est utilisé par Machiavel. Quand il y a de la violence, c’est la violence qui permet de lutter contre la violence. C’est la violence qui favorise la politique. 
 III. La philosophie de la violence. Quand on a affaire à des phénomènes de révolte populaire violente, l’attitude bourgeoise consiste à accuser le peuple d’être violent et d’avoir une haine irrationnelle de l’ordre établi ainsi que des institutions. Il revient à la pensée révolutionnaire de remettre les choses à l’endroit. C’est l’ordre établi qui est violent et la violence populaire contre cet ordre est une violence émancipatrice. Dans les phénomènes de violence populaire, les agresseurs sont les véritables agressés et les agressés sont les véritables agresseurs. C’est Engels qui théorise le rôle émancipateur de la violence dans l’histoire. 

Aujourd’hui, dans la situation que nous connaissons avec les Gilets Jaunes, la violence est le fait d’abord d’un phénomène nouveau : l’hyper-violence développée par un nihilisme d’une minorité décidée à casser pour casser. On est là dans un rapport magique à la violence consistant à la déchaîner en pensant qu’il en sortira miraculeusement quelque chose. 

À cela s’adjoint un mouvement radical mais non nihiliste expliquant qu’il faut de la violence sans quoi on ne se fait pas entendre.

Enfin, il faut ajouter un discours médiatique cherchant à mettre tout le monde dans le même sac pour se donner l’allure d’être au-dessus de la mêlée. D’où l’idée que le pouvoir en place est directement responsable de la violence, par exemple en traitant les Gilets Jaunes de factieux ou de séditieux.  

Pour être comprise, l’idée que le politique est responsable de la violence doit tenir compte du rapport magique à la violence, de son utilisation politique, des medias renvoyant tout le monde dos, enfin de l’attitude militante voulant faire de la violence une philosophie. 

Quand la réalité politique est trop lisse, trop raisonnable, celle-ci n’entraîne-t-elle pas, par réaction, un désir de violence ? « Sans alternative », disait Margaret Thatcher, « il n’y a pas d’alternative »... 

Quand on ne se demande pas si le politique favorise la violence, on se demande si le style trop lisse de ses dirigeants est sa cause. Quand il en est la cause, cette cause étant affective, on n’est plus dans la violence mais dans la haine. Témoin le fait que l’effigie d’Emmanuel Macron a été guillotinée. Ce qui exprime une pulsion de meurtre à son égard. Aujourd’hui, est-ce son style qui est responsable de la haine dont il est l’objet ? 

Qui dit haine dit souvent amour refoulé. Emmanuel Macron n’étant pas un personnage charismatique auquel il est possible de s’identifier, il est fort probable que chez un certain nombre de personnes désireuses de pouvoir adorer un leader politique, il suscite des frustrations et, de ce fait, de la haine. Au-delà toutefois de son cas personnel, le désir de violence vient de plus loin. 

Aujourd’hui, ce n’est pas l’homme Emmanuel Macron qui suscite de la haine mais le monde dans lequel nous allons. Un monde lisse, froid, glacial même, où tout est de plus en plus organisé, informatisé, digitalisé, mécanisé, automatisé, robotisé, dématérialisé, surveillé, analysé, mémorisé, aseptisé. Ce monde qui broie totalement l’humain, les plus fragiles comme les Gilets Jaunes le ressentent comme une menace. Ayant des métiers peu qualifiés, ils savent que bientôt ils vont être mis au chômage et remplacé par des machines, à l’image des caissières qui, bientôt, vont être replacées par ces caisses automatiques. Quand Emmanuel Macron a déclenché ses réformes en annonçant taxes sur taxes, ils ont eu l’impression d’avoir affaire non plus à un être humain mais à une machine. Ils ont vu en lui une machine à réformer aussi mécanique que le système dans lequel ils vont être broyés. 
 L’individu fragile a aujourd’hui le sentiment que dans le système qui se prépare, il n’aura pas sa place. Il ne pourra pas vivre. Il sera broyé par la grande machine consumériste mondiale, la grande machine technocratique mondiale, la grande machine bancaire mondiale, la grande machine informatique mondiale, la grande machine médiatique mondiale. 

 Mai 68 qui a été une révolte de la jeunesse cherchant sa place dans la société, a été une révolte contre la société de consommation qui était en train de s’annoncer. Pressentant qu’elle allait briser quelque chose de précieux, les jeunes ne voulaient pas de cette société. La société de consommation n’a pas perdu. Elle a gagné. Et l’individualisme rebelle a fait le jeu de la consommation en devenant son modèle. 

Aujourd’hui, il se passe quelque chose d’analogue. La révolte qui a cours est une révolte préventive en même temps qu’un cri d’adieu face à ce qui est en train d’advenir. Le monde qui se prépare va être de plus en plus dur, de plus en plus en froid, de plus en plus lisse, de plus en plus glacial. Les durs s’en tireront. Les petits, les fragiles seront broyés. Ils auront droit au revenu universel. On dépénalisera le cannabis. Et on légalisera le suicide assisté pour permettre à certains de tirer leur révérence, quand la mort apparaîtra comme le meilleur remède à la vie parce que vivre sera devenu trop dur. 

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