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Un technicien passe près de panneaux solaires sur le site de la première centrale solaire photovoltaïque au sol en France métropolitaine, le 19 novembre 2008 à Lunel.
Un technicien passe près de panneaux solaires sur le site de la première centrale solaire photovoltaïque au sol en France métropolitaine, le 19 novembre 2008 à Lunel.
©PASCAL GUYOT / AFP

Bonnes feuilles

Ferghane Azihari publie « Les Ecologistes contre la modernité. Le procès de Prométhée » aux Presse de la Cité. Voilà deux siècles que la civilisation industrielle libère les hommes de la misère. Mais les apôtres de l'écologie radicale accusent les sociétés modernes d'avoir acheté leur confort au détriment de l'environnement, quitte à dépeindre le passé comme le paradis perdu qu'il n'a jamais été. Extrait 2/2.

Ferghane Azihari

Ferghane Azihari

Ferghane Azihari est journaliste et analyste indépendant spécialisé dans les politiques publiques. Il est membre du réseau European students for Liberty et Young Voices, et collabore régulièrement avec divers médias et think tanks libéraux français et américains.

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Le progrès industriel nous a procuré un confort inédit, a réduit la toxicité de notre environnement et accru notre résistance aux maladies. Mais l’humanité a échangé les anciens fléaux contre de nouveaux risques. De tous les risques modernes, le changement climatique suscite désormais le plus d’inquiétudes. La littérature scientifique anticipe une montée des eaux, une augmentation des risques d’inondation, de sécheresse et d’événements météorologiques extrêmes. Deux réactions sont alors possibles. La première est le catastrophisme. Il extrapole les risques de manière outrancière.

Le 9 octobre 2019, le journaliste de la BBC Andrew Neil recevait Zion Lights, qui fut la porte-parole de la branche britannique d’Extinction Rebellion. Zion Lights se retrouva en difficulté quand le journaliste lui fit remarquer que les milliards de morts que son organisation brandissait n’apparaissaient dans aucune publication officielle. Les spécialistes qui font autorité estiment en effet qu’un réchauffement entre 2,5 °C et 6 °C réduirait le PIB mondial de 0 à 6,7 % d’ici à 2100 en sachant que notre monde sera alors trois à sept fois plus riche qu’aujourd’hui. La littérature scientifique n’est pas apocalyptique. D’autant que ces projections considèrent rarement les innovations que les sociétés peuvent mettre en œuvre pour lutter ou s’adapter au changement climatique. « Malheureusement, le discours alarmiste fonctionne, c’est pourquoi nous parlons en ce moment », rétorque Zion Lights à Andrew Neil pour justifier les outrances de son organisation. Zion Lights est probablement allée à l’école de Hans Jonas, théoricien de l’« heuristique de la peur ». Selon le philosophe allemand, une éthique responsable doit « davantage prêter l’oreille à la prophétie de malheur qu’à la prophétie de bonheur ». Les adeptes de ce « catastrophisme éclairé » soutiennent qu’on ne perd rien à être alarmiste.

Pourtant, une population terrorisée par de mauvais diagnostics peut inspirer des décisions criminelles. Que d’atrocités commises en Chine avec la politique de l’enfant unique au nom de la « surpopulation » ! Ensuite, ce catastrophisme a l’inconvénient d’être dirigé contre la culture prométhéenne à même de résoudre nos problèmes. C’est là toute la faiblesse du principe de précaution, qui mésestime le coût du renoncement ou du ralentissement du progrès. Ce coût a beau être diffus et invisible, il n’en demeure pas moins réel. Supposons que les progrès de la thérapie génique éradiquent demain tous les cancers. Ceux qui auront ralenti la recherche sur les biotechnologies auront tué des millions de gens qui auraient été sauvés si ces travaux avaient abouti plus tôt. Au motif de prévenir une hypothétique catastrophe, les précautionnistes auront prolongé toutes sortes de souffrances. Hans Jonas a beau faire valoir que les catastrophistes peuvent être crédités de la prise de conscience qui permet d’éviter que le malheur s’abatte sur nous, il est aussi possible qu’ils ne fassent rien d’autre que nous faire perdre du temps.

Le précautionnisme est donc un obstacle à la deuxième attitude. Celle qui évalue calmement les risques auxquels le progrès technique nous expose. Celle qui les compare aux bénéfices dont on se priverait en y renonçant. Celle qui se demande si les risques du développement ne peuvent pas être déjoués par les progrès techniques qui l’accompagnent, comme cela s’est vu avec les anciennes pollutions. Au regard de la question climatique, nul besoin de pratiquer l’art divinatoire pour constater que la résilience face aux catastrophes croît avec le développement. C’est un fait que l’histoire et le présent attestent. La population mondiale a été multipliée par quatre depuis le début du XXe  siècle. Elle n’a jamais été aussi riche, urbaine et interconnectée. Dans le même temps, le nombre de victimes que les catastrophes naturelles causent n’a jamais été aussi faible.

Au fur et à mesure que les pays s’enrichissent, ils disposent de technologies et d’institutions de meilleure qualité pour absorber et déjouer les chocs naturels. Les tremblements de terre font moins de dégâts dans les pays qui ont les moyens d’adopter de coûteuses normes parasismiques. Outre ces deux variables que sont l’intensité du séisme et le lieu de son épicentre, le sous-développement explique que Haïti ait déploré 230 000  morts lors du tremblement de terre de 2010 quand le Chili, plus développé, n’en a enregistré « que » 523 et 23  disparus dans un événement comparable survenu le mois suivant. Le Japon est un autre cas intéressant. Ce pays à la pointe des technologies antisismiques a été confronté en 2011 à l’un des séismes les plus violents jamais enregistrés par l’humanité. Pourtant, la majorité des victimes japonaises n’ont pas été tuées par la secousse, mais par le tsunami qui lui a succédé, ce phénomène restant, il est vrai, indompté. Les inondations font moins de dégâts chez ceux qui peuvent ériger des digues, aménager des polders pour gagner des terres fertiles sur la mer, construire des systèmes de drainage pour maîtriser la quantité d’eau dans le sol, payer des dispositifs d’alerte ou financer des mesures d’éloignement des populations. Les Néerlandais ont développé dans ce domaine une compétence qui servira de modèle au monde entier. Les tempêtes constituent un fardeau plus léger pour les peuples qui peuvent se payer de meilleurs systèmes d’information et de gestion de crise ainsi que des infrastructures solides. C’est pourquoi elles font moins de dégâts aux Etats-Unis qu’au Bangladesh qui, jusqu’à une époque récente, pouvait compter jusqu’à plusieurs centaines de milliers de victimes après un ouragan. La sécheresse ne provoque pas de pénurie d’eau dans les pays qui ont les moyens de dessalement, ainsi que nous le montrent les Israéliens. Les aléas climatiques ne débouchent pas sur des famines dans les systèmes agricoles modernes où l’on recourt à l’irrigation, aux pesticides et à des pratiques agronomiques avancées, comme la sélection ou l’invention de variétés résistantes au stress hydrique. Enfin les maladies – comme le paludisme – peuvent être éradiquées indépendamment du climat par la destruction des habitats des moustiques, l’emploi d’insecticides et l’accès aux médicaments appropriés. C’est de cette manière que ce fléau a déserté les pays riches.

La menace qui pèse sur l’humanité est moins le changement climatique que les entraves aux progrès technologiques qui permettraient d’y faire face. Dans les pays pauvres, ces entraves sont connues.

Ce sont la corruption et l’instabilité politique, qui font peser sur le climat des affaires une totale insécurité. Il ne viendrait jamais à l’esprit d’un paysan africain ou d’un investisseur étranger de prendre des risques pour accumuler du capital au service de larges infrastructures dans un pays où le fonctionnaire le plus insignifiant s’adonne en permanence au racket. Les tiers-mondistes qui ne savent que ressasser le catéchisme marxiste sont déconnectés de la réalité. Ils ne réalisent pas que c’est précisément l’absence de sécurisation du droit de propriété qui assigne ces pays à la misère et aux risques que les pays riches ont vaincus. Ces risques persisteront tant que les problèmes internes aux pays en voie de développement ne seront pas résolus.

Mais ce développementisme n’est-il pas une fuite en avant ? Les adeptes de la décroissance redoutent l’universalisation du mode de vie développé. Ils objectent que ce processus conduirait les pays pauvres à alourdir leur « empreinte écologique ». « Sur le plan purement matériel, il est impossible que des millions de ménages pauvres en Afrique, en Asie et en Amérique latine consomment autant de ressources que les foyers de l’Amérique du Nord. Il n’est pas logique de proposer à des pays des objectifs impossibles à atteindre », assènent certains10. Est-ce à dire qu’il vaut mieux une population misérable dans un climat inchangé que des gens prospères dans un environnement transformé ? Les adeptes de la postcroissance négligent le fait que les pays qui atteindront notre niveau de vie seront moins vulnérables aux risques du futur. C’est le paradoxe de l’équation climatique. Compromettre un niveau de prospérité au nom d’un risque que cette même richesse peut réduire n’est pas un bon calcul.

Notons à ce propos la contradiction du discours décroissant sur la résilience. Inspiré des écrits de Rob Hopkins, il plaide en faveur de petites communautés autarciques, frugales, « low-tech », où la productivité, la place des secteurs secondaire et tertiaire ainsi que les échanges commerciaux sont réduits au profit d’une augmentation du nombre de paysans. Ce programme réactionnaire cohabite avec le constat que le changement climatique affectera surtout les pays pauvres, soit les pays les moins connectés, les plus autarciques, les plus frugaux, les moins développés sur le plan technologique, les moins productifs et diversifiés, comptant une proportion élevée de gens qui dépendent de l’agriculture et de ses aléas. Entre l’idéalisation et la déploration de la pauvreté, il faut choisir. Les avantages du développement en matière de résilience ne laissent pas de place au doute.

L’adaptation ne sera sans doute pas suffisante pour lutter contre les risques climatiques. Elle devra s’associer à d’autres stratégies : le développement d’énergies moins carbonées, des techniques d’émission dites « négatives » ainsi que d’autres dispositifs prométhéens. Excluons les prétendues « énergies renouvelables » que sont les panneaux solaires et les éoliennes de la panoplie des technologies « propres » et peu carbonées que nous devrions développer. Comme toute industrie, celle des énergies dites renouvelables repose sur des ressources rares pour confectionner les éoliennes et les panneaux solaires. Leur déploiement requiert de vastes surfaces de terres qu’on pourrait affecter à des usages plus utiles. Ces installations produisent aussi des déchets difficiles à traiter. Enfin, il est une chose plus gênante encore : de l’aveu de leurs partisans, leur intermittence et leur puissance ne permettraient pas d’alimenter une civilisation développée. C’est d’ailleurs ce qui rend ces énergies populaires auprès des écologistes. Ils savent qu’une généralisation des éoliennes et des panneaux solaires contraindrait l’humanité à une cure d’amaigrissement. Dans son ouvrage intitulé Notre environnement synthétique, en 1962, l’écologiste Murray Bookchin explique avec enthousiasme que l’éolien et le solaire aboutiraient à des sociétés « décentralisées ». Il entendait par là des communautés moins denses, une économie moins efficiente et peu intensive en capital. Autrement dit, ces énergies sont faites pour des tribus de petits paysans, de petits commerçants et de petits artisans. Elles seraient incapables d’alimenter de larges complexes hospitaliers et industriels.

On peut se demander par quel malentendu certains ont cru voir dans les énergies renouvelables l’industrie qui allait sauver la civilisation, ce à quoi elles n’ont jamais aspiré. L’Allemagne est en train de payer le prix de ce mirage.

A lire aussi : Emprise du mouvement écologiste et recul des libertés : vers une théocratie verte ?

Extrait du livre de Ferghane Azihari, « Les Ecolgistes contre la modernité Le procès de Prométhée », publié aux Presse de la Cité.

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