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Vers une commercialisation de la GPA au Canada : quand la dérive sociétale s’accélère
©shara S.KODIKARA / AFP

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Cette semaine au Québec, un député fédéral libéral a présenté un projet de loi qui décriminaliserait le paiement pour la maternité de substitution, ainsi que pour les dons d'ovule et de spermatozoïdes.

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic est maître de conférences en droit privé, porte-parole de l'association Juristes pour l'enfance et auteur de PMA, GPA, quel respect pour les droits de l’enfant ?, ed. Téqui, 2016. Son dernier livre "En rouge et noir" est paru aux éditions Scholæ en 2017.

"En rouge et noir" de Aude Mirkovic

 
 
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Atlantico : Cette semaine au Québec, un député fédéral libéral a présenté un projet de loi d'initiative parlementaire. Le projet de loi d'Anthony Housefather décriminaliserait le paiement pour la maternité de substitution, ainsi que pour les dons d'ovule et de spermatozoïdes. La ministre de la Justice y semble vigoureusement opposée. Quel regard portez-vous sur ce projet de loi ? Qu'est-ce que cela traduit de la politique sociale canadienne ? Faut-il voir la une dérive ? 

Aude Mirkovic : Rappelons la loi canadienne actuelle n’interdit pas les mères porteuses mais seulement de les rémunérer (article 6 de la loi de 2004 sur la procréation assistée). Elle interdit également l’achat et la vente des gamètes. Le projet de loi prévoit la rémunération des femmes qui se prêtent à la gestation pour autrui ainsi que l’achat et la vente des gamètes, ovules et spermatozoïdes. Je signale en effet que le paiement d’un don, cela s’appelle une vente, tout simplement. La rémunération du don de gamètes ne veut rien dire, il s’agit de vendre et acheter les gamètes.

La rémunération des gamètes est la condition pour pouvoir étendre le marché de la procréation, car il est de notoriété publique que, partout, les dons ne suffisent pas. Pour susciter les apports, il n’y a pas d’autre solution que de les rémunérer. D’ailleurs, le Canada qui a ouvert la PMA en dehors des indications thérapeutiques a voulu maintenir la gratuité des apports de gamètes à laquelle ce projet veut mettre fin, et se retrouve actuellement à acheter 90% des apports de sperme aux Etats-Unis ! En Europe c’est la même chose : les pays qui ont ouvert l’accès à la PMA ont été obligés de rémunérer les donneurs devenus vendeurs, sauf la Belgique qui a maintenu la gratuité et achète 90% de son sperme au Danemark. Pour la GPA, c’est la même chose : si on veut développer le business, il faut augmenter le volume et cela passe par l’achat des gamètes, d’où ce projet de loi.

En ce qui concerne la femme qui s’engage à porter un enfant et à le remettre à autrui, je trouve toujours étonnant que la rémunération suscite plus de réprobation que la même mise à disposition de la femme à titre gratuit : dans tous les cas elle est utilisée comme machine à fabriquer un enfant, et en plus il faudrait qu’elle soit bénévole ? Rémunérée ou non, la GPA emporte une mise à disposition du corps de la femme au profit des commanditaires, et cela pendant neuf mois avec les contraintes et les risques que cela suppose pour elle : son consentement réel ou supposé importe peu, dès lors que la prestation relève de l’exploitation et l’utilisation du corps d’autrui. En droit français, le code pénal sanctionne les atteintes à la dignité résultant des conditions de travail et d’hébergement au titre des nouvelles formes de traite humaine. Pourtant, les personnes ainsi exploitées peuvent être satisfaites de leur sort et « consentantes ». Si le droit sanctionne les conditions de travail indignes, y compris lorsque la victime est consentante, que dire lorsque c’est le travail lui-même qui porte atteinte à la dignité ? L’esclavage consenti est le plus perfide, car la victime ne se plaint pas. Bref, ce qui me gène dans cette affaire canadienne, c’est que seule la GPA commerciale est en cause alors que c’est la GPA en soi, rémunérée ou non, qu’un Etat de droit digne de ce nom ne peut tolérer.

Quant à l’enfant, la GPA organise sa disposition par contrat : or, la disposition est la prérogative par excellence du propriétaire. Que le contrat organise la vente d’un enfant est un affront à la dignité humaine, mais le don de l’enfant ne l’est pas moins : on ne peut vendre ni même donner que ce qui nous appartient. En résumé, la GPA commerciale n’est pas une dérive de la GPA, c’est la GPA en soi qui est une dérive, rémunérée ou non. Le fait de rémunérer la femme, de payer le prix de l’enfant et celui des gamètes à l’origine de sa conception ajoute une dimension commerciale très déplaisante mais, y compris à titre gratuit (ce qui n’arrive jamais en réalité), la GPA est déjà l’utilisation d’une femme et la disposition d’un enfant. Sachant que le Québec tolère la GPA non rémunérée, on est loin là-bas d’une situation satisfaisante et ce projet de GPA commerciale pourrait servir aux Québécois d’électrochoc pour une prise de conscience sur la réalité de la GPA, rémunérée ou non.

Le gouvernement du Québec « s’interroge sur le bien-fondé d’une telle politique », n’y voyant que « la marchandisation du corps des femmes. Ils ont également averti que les femmes pourraient consentir à des interventions médicales plus risquées si on leur offrait des paiements élevés. Quels peuvent être les risques d'un tel projet ?

La marchandisation du corps des femmes est claire et nette lorsque la GPA est rémunérée, mais elle existe aussi lorsque la femme ne l’est pas ! La GPA « gratuite » est le plus souvent illusoire. Mis à part dans des cas très particulier de GPA intra-familiale (une femme porte un enfant pour sa sœur, ou sa fille) qui suscitent d’autres difficultés spécifiques de positionnement de l’enfant au sein de la famille, la GPA n’est en réalité jamais gratuite. Quelle femme ferait cela ? La femme est toujours indemnisée, ou peut recevoir un cadeau en remerciement (une voiture, un voyage…) et ces indemnisations sont des rémunérations déguisées. D’ailleurs, le plus souvent, ce sont les intermédiaires qui profitent de la GPA et la femme ne touche pas grand-chose si ce n’est rien du tout lorsqu’elle est exploitée par une mafia reconvertie dans ce business. La marchandisation du corps des femmes est une réalité dans la GPA, mais la marchandisation est loin de se limiter à la rémunération : elle existe dans tous les cas.

Ensuite, il est clair que, dès lors qu’on accepte de rémunérer les gamètes, il n’y a aucune raison de s’arrêter là : si on renonce au principe de non patrimonialité des éléments et produits du corps, pourquoi ne pas rémunérer les organes ? Il y a aussi pénurie d’organes à peu près partout dans le monde, et des gens en meurent qui plus est. Les femmes, mais aussi les hommes, pourraient alors vendre un rein mais aussi un morceau de peau… Il est illusoire de prétendre rémunérer les gamètes et s’arrêter là ensuite. Le comité d’éthique l’a d’ailleurs rappelé dans son avis sur la PMA non thérapeutique : si la loi accepte la vente et l’achat des gamètes, tous les éléments et produits du corps sont potentiellement vendables et achetables. Et, d’ailleurs, le projet canadien prévoit aussi d’abroger l’interdiction actuelle d’acheter des cellules humaines ou des gènes humains. Si la gratuité des éléments du corps existe, c’est avant tout pour assurer la liberté du consentement, pour que ce consentement ne soit forcé ni par le besoin d’argent ni par l’appât du gain. La rémunération exerce une contrainte sur le consentement et, en effet, elle va conduire les femmes, mais en réalité tout le monde, à « accepter » des risques de plus en plus élevés sur leur corps. C’est la raison pour laquelle il faut des lois qui posent des limites, y compris au consentement, afin de protéger les personnes contre l’exploitation soi-disant consentie.

Une GPA éthique, peut-elle vraiment exister selon vous ?

Une GPA éthique sera envisageable le jour où l’esclavage éthique le sera. Tout le monde a vu les vidéos des ventes d’esclaves en Libye. Qu’on nous propose un moyen d’encadrer ces ventes d’esclaves, pour éviter les dérives, et on reparlera de la GPA éthique. Lorsqu’un pratique est attentatoire à la dignité humaine, on ne l’encadre pas, on la combat et on la sanctionne. Que penseriez-vous de prévoir, lors des ventes d’esclaves, une visite médicale obligatoire, un panier-repas, des conditions d’hébergement minimum ? Ce serait d’un cynisme incroyable car, y compris encadrée, balisée, la vente d’êtres humains demeure inacceptable. C’est la même chose pour la GPA : la dimension esclavagiste de la GPA se détecte moins facilement car le processus est enrobé de bons sentiments et de promesses d’amour, du moins du côté des personnes désirant des enfants car on en dira pas autant des acteurs de l’industrie qui profitent des uns et des autres. Mais, quelles que soient les intentions, dès lors que ce contrat emporte une disposition de la femme et, de façon encore plus visible, une disposition de l’enfant, il ne peut être encadré car il est intrinsèquement, en soi et définitivement, contraire à la dignité humaine.

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