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Vers un triple-dip : Europe ou États-Unis, pourquoi la crise est encore loin d’être finie pour tout le monde
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Demain comme hier

Malgré quelques très timides signes de reprise, les pays développés n'en ont pas fini avec la spirale de la crise qui a balayé d'un revers de main les scénarios trop optimistes qui prédisaient une année 2013 sous le signe du redémarrage.

Antoine Brunet

Antoine Brunet

Antoine Brunet est économiste et président d’AB Marchés.

Il est l'auteur de La visée hégémonique de la Chine (avec Jean-Paul Guichard, L’Harmattan, 2011).

 

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Le décrochage depuis mi-février des matières premières à la baisse (depuis le pétrole et le cuivre jusqu’à l’or et à l’argent) s’articule à une réalité très évidente et très forte : une soudaine déception quant à la perspective de  la croissance mondiale, à court et à long terme.

Depuis l’été 2012, le consensus des financiers internationaux s’était auto-persuadé que la croissance mondiale allait à nouveau s’accentuer à compter du printemps 2013.

Selon eux, l’économie américaine, après avoir traversé ce qu’ils appelaient alors un simple trou d’air, allait accélérer à nouveau et reprendre son rôle de moteur de l’économie mondiale. Selon eux, le Royaume-Uni, la zone euro et le Japon allaient rapidement sortir de la récession dans laquelle ils venaient de tomber. Quant à la Chine, elle devait revenir à une croissance durablement supérieure à 8% l’an.

Au cours des dernières semaines, ce scénario trop optimiste a été largement démenti.

Aux États-Unis, les statistiques de ventes au détail et de production manufacturière, celles de l’emploi et du chômage, celles des salaires et des revenus réels ont toutes déçu. Au Royaume-Uni et en zone euro, la récession loin de s’écourter se prolonge et s’approfondit. Après la France, l’Allemagne elle-même s’approche de la récession franche.

Quant à la Chine, elle a dérobé de la croissance aux autres pays grâce à la subvention de 10% qu’elle a instaurée début 2012 sur ses exportations mais cela n’a pas suffi à ramener la croissance au dessus de 8% : après +7,9% de décembre 2011 à décembre 2012, seulement + 7,7% de mars 2012 à mars 2013. Dans cet environnement nouveau, l’activité s’est ralentie soudainement et fortement dans quelques grands pays émergents, en Turquie, en Inde et plus encore au Brésil et en Russie.

Au total, la croissance mondiale, loin de réaccélérer, vient de s’affaiblir encore, à la grande déception des milieux financiers.

Le consensus des financiers internationaux s’était en réalité gravement illusionné. Il s’était à tort convaincu que, grâce à une recette miracle,l’onpourrait facilement surmonter le freinage de la croissance des pays développés qu’introduisent mécaniquement les tentatives de désendettement généralisé (le secteur privé le recherche spontanément et les États des pays développés le recherchent eux aussi sous la pression des quelques États étrangers qui sont devenus leurs plus gros créanciers).

Quelle était donc cette recette supposée miracle ?Un recours exceptionnel et massif à la planche à billets (ce qu’on désigne pudiquement comme quantitative easing). Les diverses Banques centrales ont entrepris d’émettre eux-mêmes leur propre monnaie pour financer une fraction importante de la dépense de l’État qui leur est associé. Cette pratique, qui avait été rigoureusement proscrite depuis 1945 à cause du danger d’addiction qui lui est à juste titre associé, a fait l’objet d’une validation soudaine début 2009. Depuis lors, les divers pays du G7 la sollicitent de façon renouvelée.

S’ajoutant à ce que les banques centrales maintiennent aussi depuis 2009 leurs taux directeurs proches de zéro, le recours massif à la planche à billets est venu, en dépit de déficits budgétaires qui restent élevés, comprimer le coût de l’argent à long terme à un niveau artificiellement très bas (le rendement des obligations d’État à 10 ans est actuellement inférieur d’au moins 0,5% à l’inflation aux États-Unis, en Allemagne, en France, au Royaume-Uni).

Les autorités des divers pays développés, à travers cette politique, ont cherché depuis 2009 à réveiller le comportement de dépense de leurs ménages et le comportement d’investissement de leurs PME. Avec des taux d’intérêt positionnés aussi bas, elles pensaient convaincre les ménages et les PME de s’endetter à nouveau afin de redynamiser la dépense, la production et l’emploi.

Certes, grâce à cela, les achats d’immobilier à crédit se sont repris, en particulier au Royaume-Uni et aux États-Unis, mais cela s’y est traduit davantage par une hausse du prix des logements que par une reprise de la construction de logements. Parallèlement, le grand mouvement de baisse des taux longs a contribué à prolonger encore la tendance haussière des indices boursiers des pays occidentaux qui prévaut depuis mars 2009. Si, dans les pays développés, les marchés d’actifs se sont assez bien redressés, on a vu qu’il n’en allait pas du tout de même pour l’activité et pour l’emploi.

La mauvaise surprise en réalité pour les autorités, vient de ce que depuis 2008, les ménages et les PME sont devenus beaucoup moins réactifs aux baisses de taux. Essentiellement parce qu’ils demeurent très anxieux quant à leur propre avenir. Leurs indices de confiance se sont effondrés fin 2008 et début 2009 pour atteindre des points bas record et, depuis lors, ils ne se sont jamais redressés significativement. Cette anxiété les maintient  réticents à tout projet à long terme, réticents à la fois tant à l’investissement physique qu’à l’endettement.

D’où vient elle-même cette anxiété majeure ?

Elle s’articule d’abord avec la détérioration de la situation économique et financière des ménages et des PME depuis 2007.

Pour les ménages, depuis 2008, le revenu réel après impôt par ménage ne cesse de reculer ; le chômage ou bien continue à monter (Europe) ou bien reste très élevé (États-Unis) ;  la valeur de leur patrimoine net reste très inférieure à celle atteinte fin 2007… Chez les PME, depuis fin 2011, la demande qui leur est adressée stagne (États-Unis) ou recule (Europe, Japon) ; les surcapacités qu’elles subissent réduisent toujours plus leurs marges….

L’anxiété s’articule ensuite avec la perspective qui prévaut jusque fin 2014. Dans les pays du G7, le menu est clairement devenu l’austérité budgétaire. Après le Royaume-Uni, après l’Italie et l’Espagne, la France depuis 2012 et les États-Unis depuis début 2013 ont opté durablement pour une austérité prolongée. Le motif qui est invoqué, assainir les finances publiques pour rétablir la croissance, n’est sans doute pas le véritable motif. La réalité, c’est sans doute que les États des pays développés, surendettés, éprouvent de vraies difficultés à se financer et que les États étrangers qui sont devenus des créanciers importants menacent, en permanence depuis 2009, de retirer leurs financements aux États nationaux qu’ils jugent trop impécunieux.

L’anxiété s’articule enfin avec la perspective qui se présente au-delà de 2014. Tant que le menu de l’austérité reste à l’agenda, la confiance des ménages et des PME ne pourra pas se rétablir. Les ménages et les PME savent trop bien que la rigueur est d’abord porteuse de récession et qu’à la sortie, la récession l’emporte sur les efforts consentis pour aboutir à une déception sur l’évolution effective du déficit et de la dette publique. Cela s’est vérifié au Royaume-Uni, en Espagne, en Italie et en France. Dans ce contexte, l’austérité engagée a donc vocation à se renouveler indéfiniment. Le tunnel s’avère donc très long et sans  aucune lumière au bout.

Au total, la recette novatrice (le recours à la planche à billets), elle-même pourtant assez dangereuse et à tout le moins très audacieuse, est en passe sinon d’échouer, à tout le moins de s’avérer très insuffisante. Le miracle escompté ne se concrétise pas.

La déception de ce fait est double : on constate qu’une panne vient de survenir dans la croissance internationale mais on constate aussi que la boîte à outils que l’on croyait disponible pour la rétablir ne fonctionne pas vraiment.

C’est cette déception qui explique la baisse brutale depuis deux mois des matières premières et l’interruption de la hausse des indices boursiers occidentaux.

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