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Pourquoi les ventes records d’obligations italiennes par les investisseurs étrangers mettent Rome au pied du mur de la négociation avec Bruxelles
©YVES HERMAN / AFP / POOL

Inquiétude

Les investisseurs étrangers seraient en train de fuir le marché italien. Comment se traduit ce mouvement sur les taux d'intérêts du pays ? Cette situation va-t-elle empirer ?

Frederik Ducrozet

Frederik Ducrozet

Frederik Ducrozet est économiste senior chez Pictet Wealth Management, en charge de l'Europe, depuis septembre 2015. Auparavant, il était économiste chez Credit Agricole CIB entre 2005 et 2015. Spécialiste de l'économie européenne, et de la politique monétaire de la BCE en particulier, ses travaux portent notamment sur le cycle du crédit, les politiques monétaires non-conventionnelles et leurs conséquences pour les marchés financiers.

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Atlantico : Les investisseurs étrangers seraient en train de fuir le marché italien, 38 milliards de dettes auraient ainsi été cédées au cours du mois de juin, selon les données fournies par la Banque centrale européenne, après une baisse de 34 milliards le mois précédent. Comment se traduit ce mouvement sur les taux d'intérêts du pays, et comment peut-on anticiper la suite en cas de poursuite du mouvement ? 

Frederik Ducrozet : Ces données de flux d’investissement ont effectivement été très commentées mais il faut d’abord préciser qu’elles sont intrinsèquement « backward-looking », publiées avec un délai de plusieurs semaines après les épisodes de stress financier. En l’occurrence, on savait que les taux d’intérêt sur la dette souveraine italienne étaient fortement remontés aux mois de mai et juin. On sait également que la BCE continue d’acheter ces papiers à un rythme relativement constant. Ce n’est donc pas une surprise en soi de constater que les investisseurs étrangers ont nettement réduit leur exposition au cours de ces deux mois, même si l’ampleur du mouvement, comparable aux périodes de crise existentielle de 2011-2012, a de quoi inquiéter en cas de nouvelles tensions politiques dans les mois à venir. 
Il faut noter que dans le même temps, les banques italiennes ont acheté 14 milliards d’euros de dette souveraine en juin, et 46 milliards sur l’ensemble du second semestre, permettant ainsi que compenser une partie des flux sortants. 
L’évolution des taux souverains italiens dans les prochains mois dépendra avant tout de l’issue des négociations budgétaires entre Rome et Bruxelles. Une confrontation est probable – la question est de savoir jusqu’où le gouvernement italien est prêt à aller pour obtenir des concessions. Les conditions me semblent toujours réunies pour que les deux parties finissent par trouver un accord. Dans l’intervalle, les marchés surveilleront notamment d’éventuelles décisions des agences de notations (Moody’s a notamment indiqué avoir besoin de plus d’information). 

Comment faire la part des choses entre la responsabilité du nouveau gouvernement dans ce mouvement, et le ralentissement de la croissance en Europe ? Quels seraient les catalyseurs à surveiller qui pourraient entraîner un retour d'une crise de la dette en Italie ? 

Il est vrai que la croissance économique est la principale condition pour une baisse durable de la dette italienne à long terme, mais il n’est pas évident que les fluctuations cycliques, en zone euro ou en Italie, jouent un rôle prépondérant dans l’évolution des taux italiens à court terme. Dans un cas extrême, on pourrait presque avancer l’argument inverse : si l’ensemble de la région ralentit plus fortement, la BCE pourrait être amenée à maintenir un réglage monétaire ultra accommodant pendant plus longtemps, ce qui est favorable au marché de la dette italienne.
Tout est une question de dosage. Si le tassement des indicateurs conjoncturels se transforme en un ralentissement beaucoup plus marqué, voire en récession suite à une vraie guerre commerciale par exemple, alors les craintes sur la croissance l’emporteraient et remettraient de nouveau en question la soutenabilité de la dette italienne à long terme.

Comment le gouvernement et les institutions européennes pourraient neutraliser la situation actuelle et ainsi permettre un retour au calme ?

Non seulement il n’est dans l’intérêt d’aucune des parties d’aller vers une confrontation totale, mais le contexte politique et économique pourrait pousser la Commission européenne (en pratique, les autres Etats-membres) à davantage de flexibilité, y compris en termes de dépenses d’infrastructure suite à la catastrophe de Gênes, d’autant que les dossiers compliqués vont s’accumuler à la rentrée : immigration, Brexit, etc.
Si un accord politique peut être trouvé, les arguments techniques ne seraient alors qu’une formalité, d’autant que le pacte de stabilité inclut des clauses de flexibilité suffisamment vagues pour être interprétées. Le resserrement budgétaire imposé à l’Italie pourrait être étalé dans le temps sous conditions. Certaines dépenses pourraient être exclues du calcul. Quoi qu’il en soit, les marchés ne prêteront probablement pas attention à ce type de détails et devraient se concentrer sur les risques politiques au cours des négociations, notamment celui d’une éviction du ministre italien des finances qui pourrait refléter des désaccords plus profonds entre la Ligue et le mouvement M5S. 

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