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Valérie Pécresse remet l’église de la droite au centre du village électoral
©BERTRAND GUAY / AFP

Dynamique prévisible ?

Pour beaucoup, la dynamique sondagière qui a suivi sa désignation comme candidate LR s’est révélée une surprise. Voilà pourquoi il n’y avait absolument pas de quoi être surpris, même si rien n'est évidemment joué

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : La dynamique sondagière qui a suivi la désignation de Valérie Pécresse par le congrès LR a beaucoup étonné, à l’Elysée comme chez certains à droite. S’agit-il d’une aussi grande surprise qu’il y paraît ?


Christophe de Voogd: A vrai dire, c’est plutôt cette surprise qui est pour moi une surprise. Toutes les enquêtes d’opinion montrent la droitisation des enjeux (immigration, insécurité, souveraineté) et la position majoritairement à droite de l’électorat sur ces enjeux. Que la candidate de la droite, enfin désignée après de longs atermoiements de cette dernière, monte rapidement dans les sondages, paraît donc assez naturel. Un minimum de science politique dit que la concordance de l’agenda et du candidat est déterminante. Bref, à élection de droite, candidate de droite ! Que cette évidence ait échappé à la plupart des commentateurs ne dit qu’une chose : la force du wishful thinking chez nos observateurs (ultra-majoritairement de gauche, comme on le sait). Quant à l’Elysée, je ne parlerai pas de « surprise », sauf chez les courtisans, mais plutôt d’inquiétude. Emmanuel Macron ne s’y est, lui, jamais trompé, et il a tout fait pour éviter justement une rivalité à droite, depuis les nominations de grandes pointure ministérielles, jusqu’à son repositionnement plus à droite depuis quelques mois, en passant par les grandes manœuvres d’Edouard Philippe, plus ou moins contrôlées, il est vrai…

Valérie Pécresse entend incarner l’alternance, miser sur la lassitude des Français vis à vis d’Emmanuel Macron tout en évitant les sujets trop clivants peut-il suffire ?

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La question est dès lors en effet l’adéquation de la candidate à cette demande claire. Au regard de celle-ci, Valérie Pécresse était indiscutablement la mieux placée des cinq impétrants de la primaire, car elle est restée concentrée sur son cœur de cible, à égale distance de la « zemmourisation » d’un Eric Ciotti (attirante pour la droite de la droite) et de la « chiraquisation » d’un Xavier Bertrand (attirante pour la gauche de la droite). Bref, elle a su se placer au centre de gravité exact de la droite LR. 

Elle doit toutefois éviter le mot d’ « alternance », qui n’intéresse tout simplement plus les Français (ils en soupent depuis 40 ans, avec les résultats que l’on sait). L’élection de Macron en 2017 a justement sonné le glas de « l’alternance », à laquelle il a substitué le « en même temps ». Les Français, séduits au départ par ce qui, au fond, flattait leurs propres contradictions, ont vu les limites de ce qui s’est révélé être, dans l’action et la parole publiques, un « tout et son contraire » ; mais ce n’est certes pas, dans leur esprit, pour revenir au bon vieux jeu droite/gauche. 

La preuve en est donnée à la fois par l’effondrement historique de cette dernière et par la puissante attraction de ce que j’appellerai « la droite radicale ». Autrement dit, Les Français ne veulent pas d’une alternance mais d’une alternative. C’est tout l’enjeu du programme de Valérie Pécresse et surtout de la crédibilité de ce projet, minée dans l’inconscient de l’électeur de droite par la déception du sarkozysme, au départ si prometteur. D’où le caractère décisif de l’éthos de la candidate : ses convictions, ses qualités et son caractère. C’est vrai dans toute élection présidentielle, « rencontre d’un homme (ou d’une femme) et d’un peuple », selon la formule consacrée. Mais ceci est plus vrai que jamais en période de crise. Et, qui est plus est, de crise du sens (ce que Zemmour a si bien compris). C’est cet éthos qu’elle doit travailler, face à un Emmanuel Macron encore haut dans les sondages, pandémie oblige. Elle doit donc mettre en avant sa compétence et son expérience, tout en dérobant au Président le totem de la modernité. Elle l’a bien compris en arguant de sa féminité et de sa réussite régionale -y compris sur le COVID, carte maîtresse de Macron. Mais elle reste encore en arrière de la main, faute de construire un vrai récit d’elle-même et de la France. Les deux sont encore timides et très convenus, comme on a pu le voir à la Mutualité. La candidate doit combler rapidement son déficit rhétorique en matière de discours, comme Emmanuel Macron l’a fait, et comme elle-même a su le faire pour l’art du débat lors de sa première campagne des régionales en 2014. 

Certains chez LR ce sont émus du fait que la nouvelle candidate assume de travailler avec Eric Ciotti, Valérie Pécresse doit-elle soigner ce centre-droit que lui dispute aussi Edouard Philippe ?

La première place d’Eric Ciotti à la primaire de LR, comme le haut niveau de Zemmour, obligent évidemment Valérie Pécresse à tenir une ligne de droite « fillonniste » (pour aller vite). C’est la clef du premier tour. En ce sens, je ne suis pas convaincu que ce soit déjà le moment de parler de « tendresse » et de parler du/et/au « Centre ». Il est en revanche utile de s’adresser, mais en mode mineur, au « centre-droit » d’autant que lui aussi s’est « droitisé », comme on dit. Valérie Pécresse pourrait facilement gagner, par son histoire et son positionnement personnels, dans cet électorat-là, de précieux points au détriment d’Emmanuel Macron dès le premier tour. Ils lui seraient en effet indispensables, si Eric Zemmour ne pouvait pas se présenter, ce qui relancerait Marine Le Pen et rendrait l’accès au second tour très difficile pour la candidate LR. 

J’observe que la macronistes en cherchant à la présenter comme « Macron-compatible » lui rendent paradoxalement le meilleur des services : ils offrent de ce fait à l’électorat de centre-droit une alternative à Macron, tout aussi, sinon plus, rassurante sur le plan économique, et bien plus crédible sur le plan régalien et identitaire que l’actuel président. L’on a peu relevé ce point décisif qui rend la candidature Pécresse redoutable pour l’actuel locataire de l’Elysée : car la force du Président tient -à tort ou à raison- sur la garantie qu’il représente pour beaucoup de Français que l’ économie fonctionnera et que les retraites seront payées : cette garantie , aucun autre candidat ne l’apporte : ni Zemmour, ni la gauche évidemment, ni Marine Le Pen (on sait ce qui lui en a coûté en 2017). Or Valérie Pécresse, elle, incarne cette garantie traditionnelle de la droite de gouvernement, renforcée par sa bonne gestion de l’Ile de France. C’est bien pourquoi l’on voit le tir des macronistes se concentrer désormais sur cet aspect. Car privé de l’exclusivité de la compétence économique, le Président serait exposé sans recours à la vulnérabilité de son bilan en matière d’immigration et de sécurité. 

A Valérie Pécresse, servie par une équipe de grand talent et marquée à droite, de continuer à creuser donc son sillon ; mais, encore une fois, son succès passe par l’affirmation d’un ethos original et convaincant, qui ne se proclame pas mais se démontre.

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