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Valérie Pécresse pose une excellente question pour l’avenir de la France… mais la laisse pour (une non négligeable) partie sans réponse
©JOËL SAGET / AFP

Zone euro

La candidate à la présidentielle souligne que comme l’avait théorisé Fernand Braudel, l’identité française repose notamment sur un Etat fort mais aussi sur une absence totale d’intérêt pour l’économie. Contrairement à elle. Quid dès lors des défis posés par le cadre macro-économique de la zone euro ?

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Dans une interview au Point, Valérie Pécresse revendique son libéralisme face à Xavier Bertrand, Laurent Wauquiez ou Michel Barnier. A-t-elle raison ? Est-ce une bonne stratégie vis-à-vis des électeurs de droite ? 

C’est évidemment mieux que rien. Si la comparaison est Laurent Wauquiez, il n’est pas difficile d’être plus libéral que lui. Avec Xavier Bertrand qui semble assez chiraquien on peut craindre que les réformes soient mollassonnes. C’est intelligent de la part de Valérie Pécresse d’assumer un certain réformisme. 

C’est une bonne stratégie d’assumer une ligne plus filloniste ou thatchérienne. Thatcher était une femme courageuse face aux oppositions, dans et hors de son parti et cohérente sur sa vision de la monnaie, de la fiscalité, de l’Otan. Maintenant, il faut voir si Valérie Pécresse en a l’étoffe. C’est une bonne chose qu'elle ait redécouvert certains auteurs et se soit intéressée à la nouvelle pensée libérale, mais il y a des bases de libéralisme à recréer en France, d’où un peu de scepticisme de ma part.

Vous évoquez du scepticisme ? 

Il faut comprendre l’essence de la position libérale. C’est une discipline et un tout cohérent. Le picking de Macron ou Sarkozy, ça ne peut pas marcher. Il faut une bonne dose de libéralisme et la question est comment la faire avaler à un peuple qui par atavisme et par manque de culture économique n’en a pas du tout envie. Notre système aujourd’hui est tout sauf libéral. Et quand on utilise quelques éléments du libéralisme, c’est ensuite pour dire « vous voyez bien cela ne marche pas ». C’est ce qu’a fait Chirac après 1986-1988. On a presque l’impression qu’ils le font exprès. 

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De quelle droite Valérie Pécresse est-elle le nom ?

Le fait qu’il n’y ait pas de culture économique très forte en France, tout le monde le reconnait. Notre presse économique n’est pas de très bonne qualité, la formation initiale non plus. Heureusement, cela s’améliore mais ce n’est pas au niveau de ce qu’il faudrait, surtout dans un pays qui a de nombreux problèmes économiques. Ce qu’il faudrait que Valérie Pécresse crée, c’est un écosystème pour permettre au libéralisme de s’installer avant de très vite se mettre à réformer le pays de manière libérale. 

Valérie Pécresse a essayé de réformer l’université et d’autonomiser les établissements. Il y avait donc un début de commencement. Mais comme souvent, à partir du moment où on réussit à avancer un peu, on s’en gargarise pendant dix ans. On peut voir le verre à moitié plein, mais il ne l’est qu’à un dixième. D’où une confiance très moyenne. Il lui reste à montrer qu’elle a compris cela et capable de dépasser la réforme chiraquienne, néo-sarkozyste, néo-macronienne. Si elle réussit à casser le moule, à « casser l’armure » comme disait Jospin, là oui. Mais ça demande beaucoup de souffle et de conviction. Je ne sais pas si elle est au niveau.

Elle déclare au Point « Les États-Unis, la Chine et l'Allemagne en ont fait une arme. L'alpha et l'oméga de l'économie, ce n'est pas la dépense publique et un keynésianisme qui se déploie à l'infini, en creusant les déficits et la dette, pour les léguer aux générations futures. La France est sous morphine. Sans une réforme puissante de l'État, en supprimant les gaspillages et les normes, on va dans le mur. » Qu’en pensez-vous ?

Le problème n’est pas de le dire. Ils l’ont tous dit. Le fait que l’on croule sous les normes, l’inflation textuelle, le poids de la fonction publique, tous les présidents l’ont dit. Mitterrand l’a dit, Chirac aussi mais il n’a rien fait, Sarkozy l’a beaucoup dit et n’a pas fait grand-chose. Même Hollande l’avait dit, il voulait un choc de simplification. Le seul problème, et ça je pense que Valérie Pécresse le sait, ce n’est pas de dire réforme mais de voir comment on le fait. Il faut trouver des alliés, passer des compromis structurants, manier la carotte et le bâton. Cela peut vouloir dire payer pour réformer, mais nos caisses sont vides, ou bien en faisant de la pédagogie pour convaincre « deux Français sur trois ». Ils ont tous essayé et échoué, Macron en est le plus récent exemple. Il manque à ces gens l’économie politique de la réforme.

La politique économique est à 80% satellisée à Francfort. Nous n’avons aucune prise sur la politique monétaire. Sur le budgétaire aussi les marges de manœuvre sont très faibles. Ce qu’ils font c’est de la réaffectation de fond à la marge donc forcément, rien ne change. Ce qu’il faut donc faire c’est trouver les méthodes pour mener les réformes indispensables et qu’elles puissent passer : supprimer le conseil d’Etat et la justice administrative, démanteler la préfectorale et les départements, si possible, éviter d’avoir un conseil scientifique en pleine pandémie dont ce n’est pas la spécialité. Cela peut aussi être reprendre le contrôle de la monnaie et donc challenger la BCE. Si on veut des ressources, il faut de la croissance, qui ne peut pas s’obtenir avec un euro à son niveau actuel. Mais ces problématiques ne sont pas adressées. Mais ce n’est pas simplement du positionnement politique.

À mon sens, si un président ou une présidente ne fait rien de radical dans les cent premiers jours, il ne fera rien. Il faut aussi réformer la carte territoriale et redonner du pouvoir de contrôle au parlement. Si Valérie Pécresse veut quelque chose, il lui faut annoncer ce qu’elle fera dans les premiers jours. Cela suppose certainement un ou deux référendums. Par exemple, il y a une tension entre l’état providence et l’immigration en France. Milton Friedman en son temps disait : vous pouvez avoir un état providence fort, vous pouvez avoir une immigration très forte, mais vous ne pouvez pas avoir les deux en même temps. Si on veut être libéral, il faut une stratégie sur tous les sujets. Pour réformer un pays, il faut du lubrifiant et, à mon sens, c’est la croissance qui joue ce rôle et qui devient ensuite une dévaluation. C’est ce qu’à fait la Suède après 1994. Le Canada a fait à peu près pareil. 

Même avec de la bonne volonté, aurait-elle suffisamment de marge de manœuvre dans le cadre européen ? 

C’est complexe. Je relisais un livre de Jean-Marc Daniel qui associait Milton Friedman à l’idée d’indépendance des banques centrales. Cela signifie qu’un des tenants du libéralisme en France se trompe. Milton Friedman est favorable à de l’autonomie forte mais pas de l’indépendance. Je veux un état Français qui reprenne le contrôle de sa monnaie ou, a minima, challenge la BCE. Pour ça, il faut un vrai bagage libéral, savoir qui est Jacques Rueff, ce qu’il s’est passé en 26-28, en 1959, avoir lu Friedman et savoir les critiques libérales que l’on peut faire à l’indépendance des banques centrales, etc. Et ce n’est pas fait. Donc on va rester à cadre monétaire et européen constant. Toutes les choses importantes nous échappent. Si l’on décide dès le départ de ne pas s’attaquer à la BCE et que l’Allemagne est une sorte de primus inter pares et de modèle, cela pose la question de la marge de manœuvre européenne. Donc il faut savoir ce que Valérie Pécresse ambitionne vraiment pour l’Europe. Lui demander si elle trouve libéral : que des gens non élus et pas toujours très compétents prennent les décisions, ce qui se passe avec la régulation des banques, que l’on prête autant d’argent à -1% aux banques commerciales de la zone euro, etc. sans que cela fasse l’objet d’évaluation sérieuses. Je doute que Valérie Pécresse dise quoi que ce soit. 

Le Royaume-Uni avait une petite influence libérale sur les institutions de Bruxelles. En libérale, Valérie Pécresse pourrait proposer d’être le pôle libéral dans l’UE pendant son mandat. C’est-à-dire essayer de s’opposer aux textes contraignants, aux développements du pouvoir de la BCE, etc. 

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