Ursula von der Leyen, candidate à sa succession à la Commission européenne : petit bilan de la femme qui crispe l’Europe<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s'exprime lors d'une conférence de presse à la suite d'une réunion de direction du parti CDU à Berlin, en Allemagne, le 19 février 2024.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s'exprime lors d'une conférence de presse à la suite d'une réunion de direction du parti CDU à Berlin, en Allemagne, le 19 février 2024.
©John MACDOUGALL / AFP

Contrasté

À la tête de la Commission européenne depuis 2019, le bilan de l'Allemande Ursula von der Leyen est plus que contrasté.

Bruno Alomar

Bruno Alomar

Bruno Alomar, économiste, auteur de La Réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Ed.Ecole de Guerre – 2018).

 
Voir la bio »
Guillaume Klossa

Guillaume Klossa

Penseur et acteur du projet européen, dirigeant et essayiste, Guillaume Klossa a fondé le think tank européen EuropaNova, le programme des « European Young Leaders » et dirigé l’Union européenne de Radiotélévision / eurovision. Proche du président Juncker, il a été conseiller spécial chargé de l’intelligence artificielle du vice-président Commission européenne Andrus Ansip après avoir été conseiller de Jean-Pierre Jouyet durant la dernière présidence française de l’Union européenne et sherpa du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe (Conseil européen) pendant la dernière grande crise économique et financière. Il est coprésident du mouvement civique transnational Civico Europa à l’origine de l’appel du 9 mai 2016 pour une Renaissance européenne et de la consultation WeEuropeans (38 millions de citoyens touchés dans 27 pays et en 25 langues). Il enseigne ou a enseigné à Sciences-Po Paris, au Collège d’Europe, à HEC et à l’ENA.

Voir la bio »

Atlantico : Ursula von der Leyen est officiellement candidate à sa succession à la Commission européenne. Quel bilan est-il possible de tirer des politiques qui ont été menées sous sa présidence ? Quelles ont été les principales mesures ou réformes de son mandat ?

Bruno Alomar : Son bilan politique est contrasté, d’autant plus qu’il lie les autres institutions de l’UE (Conseil, Parlement). Il se joue autour de deux sujets. 

D’abord le Green Deal, véritable coup d’État contre le PPE : comment se fait-il qu’une présidente PPE (droite), élue avec 6 voix de majorité, a mis en œuvre un programme…de gauche ? Ce n’est pas seulement un déni de démocratie. La prochaine Commission sera sans doute celle d’un brutal « retour au réel » dont la crise agricole offre un avant-goût.

Ensuite une Commission « géopolitique ». Sur ce point le bilan est en demi-teinte. D’un côté, l’UE – et ses Etats-membres - n’a jamais été aussi faible sur la scène internationale, jamais aussi inaudible, jamais aussi dépendante des Etats-Unis. D’un autre côté, il y a quelques avancées : qualifier la Chine de « rival systémique », muscler le droit de la concurrence (DMA, DSA, système de contrôle des aides d’Etat distorsive de concurrence avec un premier cas ouvert contre la Chine en février 2024), encourager l’adoption de systèmes nationaux de contrôle des investissements étrangers.

Là où le bilan est catastrophique, c’est pour ce qui concerne vraiment la seule Commission : sa gestion interne. Sur ce plan, la Commission Von der Leyen est un désastre marqué par (i) une centralisation délétère qui hypothèque l’avenir (voir infra), (ii) une gauchisation accélérée marquée par le développement assumé du wokisme. Mme Von der Leyen, en un mot, est la présidente qui ne trouve rien à redire à ce qu’un de ses Commissaire (Mme Dalli) proclame que les fonctionnaires de la Commission sont « structurellement racistes » ; qui exige (sans l’obtenir sauf erreur) de nommer coûte que coûte un directeur africain etc.

Guillaume Klossa : La candidature d'Ursula von der Leyen pour le renouvellement de son mandat à la tête de la Commission européenne n'est pas une surprise. Elle a attendu à la fois le moment le plus tardif possible pour l'annoncer mais aussi un moment favorable où il est opportun de faire le bilan de sa présidence à la Commission européenne. Ce bilan, au regard des crises traversées par l'Union européenne, apparaît comme un bon bilan. Elle a réussi à traverser la crise du covid alors que la Commission européenne n'avait pas de compétence particulière en matière de santé. Le paradoxe était que l'Union européenne, et Jacques Delors l'avait rappelé au début de la crise du Covid, était particulièrement attendue sur un sujet pour lequel elle avait peu de moyens et peu de compétences. Et paradoxalement, c'est la Commission, l'institution qui avait le moins de moyens et le moins de compétences sur le sujet qui a pris le leadership en matière vaccinale. Cela est assez remarquable et cela montre d'ailleurs la contradiction à la fois des États et des partis populistes qui souhaitent que l'Union européenne ait toujours moins de compétences, mais qui, quand ils sont en situation de défaut, souhaitent que la Commission supplante leurs responsabilités.

Le travail qui a été fait sur les vaccins a été en fait rendu possible à la fois par un travail en amont mené par le Conseil Européen de la Recherche (ERC), à l'époque présidé par le Français Jean-Pierre Bourguignon, qui a été la première institution au niveau mondial à investir dans le développement des vaccins à ARN. Cela explique que les deux meilleurs vaccins produits au niveau mondial soient des vaccins qui ont été développés par des laboratoires européens. La Commission européenne a réussi à faire des achats massifs de vaccins par

anticipation, rentabilisant la production massive de ces vaccins et permettant ainsi à un demi-milliard d’euros citoyens de l’Union d’y avoir un accès rapide. Cela est dû à la volonté de Ursula von der Leyen, qui par ailleurs est médecin et qui était donc particulièrement sensible à ces sujets, mais aussi au talent du commissaire Renew EuropeThierry Breton, qui a été le négociateur en chef et qui a aussi porté la volonté française d'Emmanuel Macron de trouver une solution européenne à la crise sanitaire et à la crise vaccinale.

Le second grand succès d’Ursula von der Leyen est d'avoir évité que la crise se transforme en une crise économique et sociale. Dans cette perspective, un système de réassurance chômage a été mis en place pour éviter que cette crise sanitaire s'accompagne du chômage de masse. C'est un sujet qui dépend du portefeuille du commissaire européen social-démocrate Nicolas Schmit, qui a bénéficié de la bienveillance d'Ursula von der Leyen. Ces succès peuvent être mis au bilan d’Ursula von der Leyen, mais ils sont collectifs, les libéraux et les Socio-démocrates ont eu un rôle clé dans cette réussite.

Son autre succès concerne le plan européen de relance, même si à mon sens, il n'a pas été suffisamment efficace. Il a néanmoins évité une crise systémique, notamment en matière économique et financière.

L’autre atout d’Ursula von der Leyen est d’avoir réussi à préserver l'unité des Européens depuis le début de la guerre en Ukraine menée par la Russie. Elle a soutenu autant que possible, sachant que l'Union européenne n'avait ni les moyens ni les compétences, l'effort de guerre ukrainien.

Elle a aussi réussi à cantonner autant que possible l'inflation, notamment en matière énergétique.

Quel est le bilan de l’influence idéologique d’Ursula von der Leyen ? N’a-t-elle pas notamment auto-attribué à la Commission plus de pouvoirs qu’elle n’en avait jamais eu auparavant ?

Guillaume Klossa : Si Ursula von der Leyen a utilisé toutes les marges de manœuvre possibles pour accroître les pouvoirs de la Commission européenne, cela s’explique par le fait que les États membres étaient prêts à ce que la Commission agisse en leur nom sur des sujets sur lesquels ces États étaient défaillants structurellement et n'avaient pas la capacité d’agir individuellement, pour répondre aux besoins de soutien de l’Ukraine. Donc tout cela s'est fait en bonne intelligence avec les États membres. Dans le système institutionnel actuel, les États membres, l'Europe des nations, priment sur l'Europe communautaire. Très peu peut se faire si les États membres ne laissent pas la Commission agir en leurs noms.

Bruno Alomar : Mme Von der Leyen a effectivement fait une utilisation extensive de ses pouvoirs, bien au-delà du raisonnable et de la lettre des Traités. Le meilleur exemple est la question de l’Ukraine. Quoi qu’on en pense au fond, il n’est pas dans les attributions de la Commission de se prononcer en lieu et place des États-membres sur l’opportunité pour un État tiers de rentrer dans l’UE. C’est pourtant ce qu’elle a fait, sans aucune mesure, et au point même de susciter l’agacement de quelques États.  

Ceci étant dit, il faut modérer une telle critique pour au moins 2 raisons. 

La première, c’est que la Commission, par nature, comme la CJUE, et comme la BCE, est fédéraliste. C’est sa raison d’être. La CJUE, par exemple, contre la lettre et l’esprit des Traités (article 4.2 du TUE) a considéré que la directive 2003 sur le temps de travail s’applique aux armées. La BCE a, sans aucun doute, mis en œuvre une politique monétaire accommodante qui n’était pas autorisée par le Traité ainsi que l’a puissamment relevé la Cour de Karlsruhe le 5 mai 2020.

La seconde, en lien avec la première, c’est que c’était aux Etats de ne pas la laisser faire. Comme le dit Montesquieu, il faut que le pouvoir arrête le pouvoir. Face à la pusillanimité des États membres, la Commission, comme souvent, avance.

Qui a contesté sa politique en Europe et au sein de la Commission ?

Bruno Alomar : Au sein de la Commission, personne. Ceci renvoie d’ailleurs à une évolution dangereuse du fonctionnement de la Commission : la remise en cause de la collégialité. Originellement, la Commission est un collège, et même si certains présidents ont imprimé leur marque, cette vérité demeurait : la Commission est une équipe. Mme Von der Leyen, un peu comme E.Macron, a opéré une centralisation du pouvoir comme personne auparavant. Ceci peut paraître sans importance : c’est en réalité essentiel. La Commission est un organe grippé, car on ne dirige pas 5000 hauts fonctionnaires de 27 nationalités à bac plus 7-8 ou pas loin, enfermée en haut du Berlaymont, entourée de 5-6 personnes. C’est pourtant ce que UVDL a fait. Ceci explique d’ailleurs une crise de la Commission qui doit faire écho au sondage récent effectué à propos de Mme Lagarde à la BCE.

En ce qui concerne les États membres : personne. Il est vrai cependant qu’en Allemagne, l’industrie ne lui pardonne pas le Green Deal sur lequel beaucoup d’industriels font reposer – à tort me semble-t-il, mais c’est un autre débat – les difficultés du pays.

Qui soutient Ursula von der Leyen pour sa succession et pourquoi ? Quelles sont les raisons de fond mais aussi les raisons purement tactiques liées aux rapports de force ? Cela s’explique-t-il par le manque d’autres candidats ?

Bruno Alomar : La question n’est pas « qui soutien UVDL ». La question est : « qui a assez de force pour s’opposer à une candidate allemande sortante dont le bilan n’est pas assez critiquable pour susciter un rejet massif ». A cette aune, il est clair que même si le climax de l’influence allemande est passé, personne n’a la force suffisante pour s’opposer à un candidat allemand. Donc, même si le PPE allemand lui tient rigueur, en l’absence d’un candidat alternatif, UDVL devrait être reconduite. C’est une très mauvaise nouvelle pour ceux qui aiment l’UE.

Guillaume Klossa : Ursula von der Leyen bénéficie du soutien stratégique du chancelier allemand Olaf Scholz. Il souhaite qu’un candidat allemand garde la présidence de la Commission européenne même si le chancelier allemand a une sensibilité politique différente de la présidente de la Commission européenne. Olaf Scholz s'est engagé dans son accord de gouvernement à la soutenir si elle était la mieux placée pour prendre la tête de la présidence de la Commission européenne. Evidemment, ce soutien est un soutien de choix qui lui donne toutes les chances d'être reconduite si le PPE arrive en tête des élections européennes. Au final, Ursula von der Leyen a réussi à entretenir de bonnes relations avec tous les États membres, même avec l’Italie. La seule difficulté concerne la Hongrie. Ursula von der Leyen a bien géré ses relations avec les États membres et est globalement appréciée d'une très grande majorité. C'est un très fort atout pour elle.

Y aurait-il des obstacles potentiels au sein de la politique européenne qui pourraient freiner son futur mandat ?

 Guillaume Klossa : Sa nomination n'est pas garantie. Cela va relever largement des équilibres du Parlement européen. Si les sociaux-démocrates ou si la famille libérale Renew Europe devant 

le PPE, il n'est pas certain qu’Ursula von der Leyen garde la tête de la Commission européenne. Dans ce cadre-là, imaginons que les sociaux-démocrates arrivent devant les chrétiens démocrates, le chancelier allemand soutiendra un candidat social-démocrate. De la même manière, si les libéraux arrivent les premiers, il est probable que la Commission soit dirigée par un candidat libéral. Il est très probable qu'il y ait une grande coalition comme aujourd’hui, soit à trois ou à quatre partis. Cette grande coalition est dans la culture presque de tous les États. Cela ne choquera personne que ce soit le parti le mieux placé dans le cadre de cette coalition qui prenne la tête de la présidence de la Commission européenne. Mais les équilibres programmatique de la grande coalition dépendront des résultats du scrutin européen, c’est pourquoi le vote sera très important. 

Lors de son mandat, un des grandes avancées concerne le Green Deal. Les conservateurs sont très réticents à poursuivre l'effort en matière de Green Deal, effort qui a été remarquablement soutenu par le Parlement européen et la Commission de l’environnement présidé par le français Renaissance Pascal Canfin.  Or il est probable que le PPE, le parti qui la soutient souhaite que sur ces sujets il y ait un moindre engagement de la Commission européenne. Mais tout va dépendre au final des rapports de force entre les familles politiques et des conditions de l'accord de coalition qui définit le programme qui sera porté par le futur chef de la Commission européenne. Ce programme s'inscrira dans le cadre de l'agenda stratégique, les grandes orientations stratégiques qui vont être décidées en juin par les chefs d'Etat et de gouvernement pour l'avenir de l'Union européenne.

Les marges de manœuvre programmatiques d’Ursula von der Leyen sont donc assez contraintes. Durant son mandat, et cela a commencé durant le mandat de Juncker, le libéralisme a beaucoup décru dans les pays de l’Union européenne et la Commission européenne a beaucoup plus soutenu l'intervention des Etats. Cela a été une véritable rupture par rapport au mandat de José Manuel Barroso.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !