Union des droites : et au fait, dans les démocraties voisines, il se passe quoi ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Le Premier ministre hongrois Viktor Orban s'entretient avec la Première ministre italienne Giorgia Meloni avant un sommet du Conseil européen à Bruxelles, le 15 décembre 2022.
Le Premier ministre hongrois Viktor Orban s'entretient avec la Première ministre italienne Giorgia Meloni avant un sommet du Conseil européen à Bruxelles, le 15 décembre 2022.
©Ludovic MARIN / AFP

Voisins européens

La Une du magazine L’Incorrect réunissant les présidents des jeunes LR, Reconquête et RN a suscité un vent d’indignation chez certains à droite.

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



Voir la bio »
Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

Voir la bio »

Atlantico : Une Une du magazine l’Incorrect réunissant les présidents des jeunes LR, Reconquête et RN a suscité un vent d’indignation chez certains à droite pour qui l’union des droites est un épouvantail. Lorsque l’on observe la manière dont elle se réalise à l’étranger, en Europe, quels sont les principaux enseignements à tirer ? 

Rodrigo Ballester : Précisions d’emblée qu’il s’agit surtout d’une tempête médiatique dans un verre d’eau, d’un « contre buzz » consistant à monter en épingle une « Une » qui n’a, en soi, pas grand-chose de choquant. Par contre, la question de fond qu’elle soulève est effectivement pertinente, c’est même la question cruciale qui redéfinit le paysage politique à droite, en Europe et dans le monde occidental.

Le premier enseignement à en tirer, c’est que l’ « union des droites » a déjà existé. En Espagne, par exemple, le Parti Populaire de José-María Aznar avait réussi à fédérer pratiquement toutes les familles politiques allant du centre-droit à la droite conservatrice en passant par les libéraux. Avec deux gouvernements et une majorité absolue à la clé. Pendant des décennies, le Parti Républicain en avait fait autant aux Etats-Unis et, dans une certaine mesure, l’UMP français également. En Europe, le Parti Populaire européen avait également ratissé très large à une certaine époque, réunissant sous une même bannière les partis très centristes du Benelux et le Fidesz d’Orbán.

Le deuxième enseignement est que ces « grandes droites » transversales et « respectables » ont inexorablement évolué vers le centre de l’échiquier politique à l’aune de l’hégémonie culturelle et intellectuelle du centre gauche qui a imposé ses codes et s’est érigé en arbitre des élégances politiques. En conséquence, une grande partie de la droite conservatrice a été rayée de la carte politique et médiatique et ne s’est plus reconnue dans ces partis dont les électeurs semblaient plus à droite que leurs élus.

À Lire Aussi

Démocratie sous tutelle ? Quand l’Europe se mêle dangereusement des élections en Italie

Troisième enseignement, cette droite effacée effectue son « come back » après avoir nourri de nombreuses frustrations et perdu une partie de ses complexes. Elle semble bien moins intimidée par le cadre idéologique « bien-pensant » qui l’avait muselée pendant des décennies et est prête à se battre sur le terrain de la culture et des idées, un champ qu’elle avait abandonné et qui a mené tout droit à l’hystérie et au sectarisme woke.

Finalement, n’oublions pas que ce retour de la droite traditionnelle a été rendu en partie possible par la montée en puissance de l’Europe centrale et de l’Est, anciens pays communistes où la gauche n’est pas hégémonique et dont les sociétés sont plus conservatrices.

Christophe Bouillaud : L'une des premières choses à rappeler, si l’on fait une comparaison européenne, c’est la diversité des systèmes institutionnels et électoraux en Europe. De ce point de vue, la France fait un peu figure d’exception, avec son présidentialisme très accentué et son système électoral à deux tours pour les élections majeures. Ces deux caractéristiques expliquent déjà une bonne part des différences dans les relations entre droites. Avec un système électoral proportionnel, il n’est pas indispensable, au contraire, de se présenter uni devant les électeurs. On peut s’accorder ensuite pour gouverner. Avec un système mixte, comme celui en vigueur en Italie actuellement, on a avantage à former une coalition pour se présenter devant les électeurs pour être majoritaire, mais chacun garde ses couleurs en pouvant présenter ses listes aux électeurs. Dans un système comme celui en vigueur en France, c’est le parti le plus important d’un camp qui « coopte » un ou plusieurs petits partis de ce « camp » afin de l’emporter au second tour, en se partageant les circonscriptions. C’était typiquement la relation entre l’UMP et le MODEM à une époque pas si lointaine. Dans un système électoral comme celui en vigueur au Royaume-Uni, l’alliance des droites est impossible, car le grand parti n’a jamais intérêt à faire la courte échelle à un petit concurrent qui pourrait le « grand remplacer » en lui faisant une place dans quelques circonscriptions.  Rappelons que l’UKIP a toujours échoué à battre le Parti conservateur lors des élections générales britanniques. 

À Lire Aussi

Ce que l’affaire de la maire, mère et grand-mère du 12e arrondissement de Paris révèle des écologistes

De fait, les droites conservatrices, libérales, nationalistes, démocrates-chrétiennes, agrariennes, etc. n’ont pas de grandes difficultés à gouverner ensemble.  Les vraies difficultés dans ces alliances entre tous ceux qui ne s’inspirent pas du socialisme, du communisme ou de l’écologie politique, sont la plupart du temps liées à des contentieux historiques, qui ont marqué l’histoire du pays considéré. Il peut ainsi arriver que le parti qui incarne la tradition des perdants de la Seconde guerre mondiale soit ostracisé par les autres. Cependant, la force de cet ostracisme tend à s’atténuer partout. Dès 1994, soit il y a près de 20 ans déjà, Silvio Berlusconi, plutôt proche des socialistes italiens de Bettino Craxi dans les années 1980, inclut les héritiers du néofascisme dans sa coalition électorale. En 2001, c’est la coalition entre les conservateurs de l’ÖVP et le FPÖ de Jorg Haider qui arrive au pouvoir en Autriche. 

C’est depuis devenu une banalité : quand les partis de droite modérée ont besoin des voix des députés de la droite moins modérée, voire de l’extrême-droite, pour arriver au pouvoir et gouverner, l’accord est trouvé sans trop de difficultés. Généralement, l’accord est d’abord testé au niveau local ou régional. De fait, le seul pays important où ce genre de mécanisme n’a pas joué est l’Allemagne : l’AFD (Alternative pour l’Allemagne) reste, pour l’instant, exclu des coalitions possibles, aussi bien au niveau régional que national. On comprendra aisément qu’il est plus facile aux partis de la droite suédoise modéré de prendre dans leur majorité, les Démocrates de Suède, un parti certes fondé en son temps par des néo-nazis suédois, qu’à la CDU-CSU de s’allier avec l’AFD. L’histoire des deux pays n’est pas exactement la même entre 1939 et 1945. 

À Lire Aussi

Retraites : et au fait, ailleurs chez nos voisins, une réforme, ça se débat et ça se vote comment ?

Il faut ajouter à ces difficultés d’ordre historique des cas plus rares, où les forces d’extrême-droite sont en pratique dirigées par des personnalités si radicales dans leurs ambitions qu’aucun accord durable n’est possible avec qui que ce soit. Cela a été particulièrement le cas aux Pays-Bas avec Geert Wilders, qui, visiblement, ne veut être que dictateur ou rien. 

Enfin, quand il y a accord, le schéma classique est que l’inclusion des partis les plus à droite dans une coalition de droite, revient, soit, à l’ouest du continent, à  promettre des restrictions de l’immigration, soit, à l’est du continent, des vexations supplémentaires pour les membres de la minorité ethnique du pays considéré. Dans certains pays (comme la Finlande), la demande du parti d’extrême-droite peut combiner les deux (moins de droits pour les Finlandais suédophones, et pas d’immigrés). C’est en somme logique : l’extrême-droite demande toujours plus de fermeture à l’encontre de ceux qu’elle voit comme les ennemis du groupe national qu’elle prétend défendre. 

Quel type de droite prend l’avantage et incarne le moteur de ces coalitions à l’heure actuelle ? Cela a-t-il toujours été le cas ? 

Rodrigo Ballester : Il semble que le centre de gravité des droites abandonne le centre et se déplace vers des positions plus tranchées, notamment en matière de migration, de défense de l’identité culturelle, de protection des perdants de la globalisation et de résistance face l’extrémisme woke. Autant de sujets sur lesquels le centre-droit a failli et a donné l’impression de trahir ses électeurs avec, à la clé des déconfitures électorales monumentales dans certains pays. En France, avec le score ridiculement bas de Valérie Pécresse qui met son parti au bord de la disparition et également en Italie avec un Forza Italia qui peine à survivre à 7-8%. Exception notable : l’Espagne, où le nouveau Parti Populaire de Nuñez Feijoo (qui a de grandes chances d’emporter les prochaines élections législatives dans quelques mois) est bien plus au centre qu’auparavant.

Par contre, cette tendance vers « une droite plus à droite » va probablement se confirmer lors des prochaines élections européennes avec un Parti Populaire Européen en net recul et une montée en puissance des groupes ECR et ID. Vont-ils fusionner ou s’allier ? A voir, mais il est clair que le scrutin européen de 2024 sera le vrai baromètre d’un nouvel équilibre des forces, à droite, mais également sur l’ensemble de l’échiquier politique.

Christophe Bouillaud : Sur les vingt dernières années, le schéma classique était les dirigeants des partis de la droite modérée obtiennent le poste de premier ministre, totalement central dans tous les systèmes politiques contemporains, et les alliés extrémistes ont des ministères de moindre importance, et surtout les mesures anti-minorités ou anti-immigrés qui leur tiennent à cœur. Avec l’arrivée de Giorgia Meloni au poste de Premier Ministre en Italie, le schéma se modifie pour la première fois : on peut devenir chef du gouvernement en étant classiquement d’extrême-droite et en ayant fait toute sa carrière depuis son adolescence dans ce camp-là. Les cas polonais et hongrois sont plus ambigus puisque le parti de Victor Orban n’est pas le plus à droite du pays quand il revient au pouvoir. Il en est de même en Pologne avec PiS (Droit et Justice). 

Les craintes d’une extrême-droitisation voire d’une fascisation des pays concernés, en Suède, en Autriche, en Italie, en Lettonie ou encore en Slovaquie se sont-elles révélées fondées ?

Rodrigo Ballester : Non, absolument pas. Au contraire, ces craintes se sont avérées comme ce qu’elles étaient : des tactiques grossières d’intimidation politique dont l’impact s’estompe. Le meilleur exemple en est Giorgia Meloni. Six mois après son élection, où sont les traces d’un quelconque fascime ? Alors que la presse internationale criait au loup fasciste après son élection, Matteo Renzi (son principal adversaire) avait lui-même démenti ces outrances en niant catégoriquement que Meloni soit ne serait-ce qu’un tantinet fasciste. Et son début de mandant le confirme sans appel. Pareil en Suède et par ailleurs dans tous les gouvernements européens de droite. Soyons clairs, la « menace fasciste » est une affabulation intéressée pour museler le débat démocratique et le mot « fasciste » est le concept politique le plus galvaudé et manipulé qu’il soit.

Ces cris d’orfraie sont d’autant plus pitoyables qu’ils sont souvent scandés et brandis par ceux qui s’apparentent le plus au vrai fascisme. S’il existe aujourd’hui une idéologie autoritaire, niant le débat d’idée, obsédée de pureté, totalitaire  et intellectuellement binaire, c’est bien le wokisme et la cancel culture.

Christophe Bouillaud : Cela dépend ce qu’on appelle « extrême-droitisation » ou « fascisation ». Si l’on entend par là la création d’un régime autoritaire ou totalitaire à la manière des années 1919-1939 en Europe, on se trompe. Tous les cas que vous citez sont des régimes pluralistes où une majorité composée de plusieurs partis, dont un très à droite, gouverne. Par contre, si l’on veut dire par là que les partis extrémistes ne vont pas au gouvernement, ne le soutiennent pas au Parlement, pour rien, on aura raison : les partis extrêmes demandent et obtiennent ce qui leur tient le plus à cœur. Le cas le plus significatif de ce point de vue est celui du DFP (Parti du Peuple Danois). Il a soutenu tous les gouvernements de droite au Danemark depuis une vingtaine d’année. Au fil des ans, il a tellement obtenu de mesures anti-immigration qu’il a quasiment disparu du paysage politique aux dernières élections. Son programme est devenu la législation du pays.

Qu’est-ce qui peut expliquer les dynamiques actuelles de l’Union des droites en Europe ?

Rodrigo Ballester : A mon avis, le dénominateur commun tourne autour de quatre sujets : l’échec cuisant des politiques de migration et son corollaire, la perception d’une menace culturelle, l’abandon des classes populaires par la gauche traditionnelle au bénéfice des « minorités » en tout genre, la tyrannie de la bien-pensance woke dans toutes ses variantes, et la remise en cause de la globalisation triomphante. Au-delà, il existe de nombreuses différences entre les droites, notamment au niveau sociétal ou géopolitique. Mais ces quatre questions constituent un socle solide pour fédérer une base électorale suffisamment large et bouleverser l’échiquier politique, du moins à droite.

Autre facteur, la droite a repris goût pour les questions culturelles et la bataille idéologique, alors qu’elle ne s’intéressait qu’à la gestion économique. Pendant de longues années, être de droite c’était payer moins d’impôts. Ce n’est plus vraiment le cas.

A tout cela s’ajoute le ras-le-bol face à une suprématie morale et un deux poids deux mesure éhonté de la gauche brahmane qui est arrivée à un tel point, que cela en est devenu totalement contreproductif. S’il fut un temps où ces anathèmes intimidaient, ils commencent aujourd’hui à délier les langues, à susciter l’indifférence ou font tout simplement sourire. Les jours du « cordon sanitaire » qui est en fait une ignominie démocratique car il pathologise une large partie de l’opinion publique et la musèle médiatiquement, sont comptés. Et c’est une bonne nouvelle.

Christophe Bouillaud : Pour simplifier : à l’ouest du continent, l’immigration ; à l’est, les contrecoups du communisme et du postcommunisme.  Par ailleurs, partout, les partis modérés de droite reprennent le discours des partis d’extrême-droite, croyant les contrer, et, en réalité, les légitiment. Partout en Europe, il y a des Darmanin qui se croient de grands stratèges politiques en expliquent à le ou la Le Pen local qu’il ou elle est en fait trop molle en matière d’immigration, de sécurité, etc. Or les électeurs comprennent surtout de ce genre de stratégies de reprise des thématiques de l’extrême droite que l’extrême droite a en fait raison, et celle-ci se développe électoralement encore plus.  A un certain moment, il ne reste plus d’autre solution à la droite modérée que de s’allier avec elle.

Dans le même ordre d’idée, il y a le cas britannique, largement explicable par les particularités du mode de scrutin. A force de vouloir contrer les discours de l’UKIP pour ne pas perdre ses électeurs eurosceptiques et xénophobes, le Parti conservateur a fini par devenir lui-même l’UKIP. La fraction la plus à droite  du Parti conservateur est ainsi devenue la majorité de ce dernier, elle s’est débarrassée de tous les conservateurs un peu modérés, et elle fait exactement ce que l’UKIP voulait.

Sur un plan très général, force est de constater que les majorités de droite pluripartites sont de plus en plus marquées par la dynamique de leur aile droite, à la fois parce que les modérés de ce camp cèdent bien trop facilement sur certaines de leurs positions et parce que les extrêmes qui polarisent le débat sur un ou plusieurs groupes adverses honnis donnent une réponse aux inquiétudes de l’électorat.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !