Un père lance un jeu vidéo sur le cancer de son fils<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Insolite
Un père lance un jeu vidéo sur le cancer de son fils
©That Dragon

Jeu vidéo d'art

Ryan et Amy Green ont développé un jeu vidéo interactif inspiré de leur combat contre le cancer de leur fils, décédé à l'âge de cinq ans. "That Dragon, Cancer", est disponible ce 12 janvier et brasse les souvenirs d'une famille déchirée par le deuil.

Jérémy Collado

Jérémy Collado

Jérémy Collado est journaliste.

Voir la bio »

Construire un monde virtuel pour échapper à la réalité ; ou du moins essayer d'y échapper, car "on n'y échappe jamais", assure Ryan Green.  Lorsqu'il apprend le cancer de son fils, Joel, en 2010, alors que celui-ci vient de fêter son premier anniversaire, l'homme décide de modéliser la vie de son petit garçon dans un jeu vidéo intitulé "That Dragon, Cancer". Malgré les souffrances provoquées par une maladie que sa famille a cru vaincre plusieurs fois, malgré les tumeurs très agressives qui empêchaient Joel de vivre normalement, Ryan a continué son projet, développé depuis trois ans avec une équipe de programmateurs et d'artistes, et enfin disponible ce 12 janvier 2016, comme l'annonce fièrement son site Internet.

Le jeu est conçu comme une aventure «point and click» : on se ballade dans un décor grâce à sa souris pour interragir avec les objets. Dans l'une des premières scènes, le joueur arrive devant le lit d'un bébé qui pleure. Il ne parvient pas à l'arrêter. Et pour cause : il n'y a aucun moyen de stopper les cris. D'autres scènes sont des discussions qui évoquent des moments du quotidien, des inquiétudes, des doutes... Pas de règles précises, donc, mais plutôt une sorte de bigraphie interactive et angoissante, comme si le jeu était une vaste pièce remplie de souvenirs de famille dans lequel le joueur est plongé. "On aimerait beaucoup que ce jeu ait un impact sur les gens et qu'il ait un succès commercial", raconte Amy Green, la femme de Ryan, que le magazine Wired a rencontré avec son mari. "Mais une part de moi me fait dire que ce projet n'est là que pour nous." Comme une catharsis nécessaire pour exorciser les douleurs de cette épreuve.

Regardez le trailer du jeu :

Retour en arrière. En 2010, hospitalisé en soins intensifs et atteint par une gastroentérite, Joel est affaibli par la maladie et les soins. Son père, Ryan, veille sur lui toute la nuit, sans rien pouvoir faire. Il a le sentiment que son fils s'éloigne, il se sent inutile et l'observe se cogner la tête contre les barreaux de son lit. "Ma réaction avait quelque chose d’extrêmement mécanique, révélateur de tout ce que nous vivions. J’essayais de trouver le bon levier à actionner pour que tout s’arrange", détaille Ryan Green au Guardian. "Peut-être que si je pouvais lui faire boire un peu de jus de fruit, il arrêterait de pleurer. Peut-être que si j’arrivais à ne faire que ça, tout irait bien." Toute son énergie ira dans ce jeu vidéo, qui deviendra son obsession.

Un jeu éprouvant et artistique

En novembre 2012, aidé par son ami Josh Larson, Ryan débute la conception du jeu vidéo. L'idée : permettre aux joueurs d'expérimenter la vie d'une personne atteinte du cancer, sa façon de vivre au quotidien, de surmonter les épreuves. Point essentiel : les personnages représentés n'ont pas de visage identifiable, ils sont dessinés par des traits grossiers, aux couleurs pastel, et dans un univers douillet quoi qu'un peu pixelisé. Tantôt huis-clos dans la maison, tantôt expérience onirique dans la nature, le jeu délivre des messages subliminaux, il suggère, dévoile, sans prendre le joueur par la main. C'est à lui de découvrir le sens du jeu.

L'intention de Ryan, c'est d'universaliser l'expérience. De partir de son fils Joel pour atteindre tout le monde, ce qui rend le jeu d'autant plus difficile à supporter émotionnellement car il se présente comme une succession de scènes vécues (on imagine) mais éprouvantes à vivre pour le joueur puisqu'on les imagine réelles. La maladie est présentée sous les traits d'un dragon ou lors de scènes surréalistes dans lesquelles Joel, immense petit garçon, est projeté dans l'espace, si bien que le jeu est teinté d'une forme de poésie. Dans une autre scène, Joel grimpe au ciel accroché à des ballons d'hélium, semble-t-il, ce qui donne au jeu les contours d'une œuvre artistique.

«La vie est en tout point semblable à un jeu. La lutte contre le cancer peut être comparée à un jeu car il s’agit d’en faire suffisamment pour tuer la maladie sans pour autant faire de mal à l’enfant», poursuit Ryan Green. «Toutes les options sont passées en revue. Et c’est un jeu multijoueurs car les médecins, les infirmières, les membres de la famille sont tous impliqués dans le processus pour garder votre enfant en vie.»

Malheureusement, Joel Green est mort le 14 mars 2014, âgé de seulement cinq ans. Pour sortir le jeu sur plusieurs plateformes, les deux concepteurs du jeu décident alors de lancer un projet financé sur Kickstarter. Le projet se présente ainsi : «Un jeu vidéo créé qui se présente comme une lettre d'amour à son fils, une aventure virtuelle pour que nous nous aimions les uns les autres, une voix pour ceux qui luttent contre le cancer.» Un mois plus tard, la cagnotte est remportée : près de 3 687 contributeurs ont donné 104 491 dollars. C'est un véritable succès basé sur l'empathie des gens.

Mais l'histoire ne s'arrête pas là. David Osit et Malika Zouhali-Worrall en ont également tiré un documentaire sur la façon dont Ryan, le père de Joel, a conçu, imaginé et documenté cette vie qui s'effaçait sous ses yeux, lui qui vit avec sa femme et ses quatre enfants. Tourné au printemps 2013, Thank You for playing filmait le quotidien d'une famille banale, confrontée à une situation exceptionnelle. Ce qui pose la question des moyens d'expression à disposition de chacun. Car lorsqu'il a conçu son jeu vidéo, Ryan a souvent entendu cette remarque : «A-t-on le droit de faire un jeu sur le cancer ?» Comme si, en représentant une maladie encore difficilement acceptée dans la société, on la banalisait. Comme si on publicisait une expérience commerciale potentiellement traumatisante alors qu'elle aurait du, pour certains, rester privée. Réfléchir ainsi, c'est ne pas comprendre que le jeu peut ouvrir les perspectives et poser des questions que le documentaire, les livres ou la simple information ne permettent pas toujours de poser aussi clairement. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !