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Ukraine : et si le gagnant était d’ores et déjà Poutine
©REUTERS/Fred Dufour/Pool

The winner is...

Pendant que Barack Obama se félicite de la réussite des élections ukrainiennes dans le calme, le président Vladimir Poutine peut dormir sur ses deux oreilles grâce à son emprise diplomatique et à une présence militaire bien en place aux frontières de l'Europe de l'est.

Valls Macron

Quentin Michaud

Quentin Michaud est journaliste spécialisé dans les questions de défense et de stratégie. Il a été formé à l'Ecole de guerre économique.

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Jean-Bernard Pinatel

Jean-Bernard Pinatel

Général (2S) et dirigeant d'entreprise, Jean-Bernard Pinatel est un expert reconnu des questions géopolitiques et d'intelligence économique.

Il est l'auteur de Carnet de Guerres et de crises, paru aux éditions Lavauzelle en 2014. En mai 2017, il a publié le livre Histoire de l'Islam radical et de ceux qui s'en servent, (éditions Lavauzelle). 

Il anime aussi le blog : www.geopolitique-géostratégie.fr

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Atlantico : Dans son discours de West Point du 28 mai dernier, Barack Obama s'est félicité du fait que les Ukrainiens aient pu organiser des élections libres "sans qu'un coup de feu ne soit tiré [par nos forces]" soulignant ainsi un succès de la politique américaine dans la crise de Kiev. Ne peut-on pas à l'inverse se demander si Poutine n'est pas à sa manière sorti vainqueur de cette confrontation ?

Quentin Michaud : Dans cette allocution, le président américain préfère effectivement considérer le verre à moitié plein, plutôt que le verre à moitié vide. Evidemment qu'aucun coup de feu n'a été tiré du côté de l'OTAN qui maintient dans la région une pression constante dans les airs, sur terre et en mer (mer Baltique et mer Noire). L'inverse aurait été catastrophique.

Quant au président russe, il a marqué de nombreux points. Il est renforcé militairement par une présence russe qui se maintiendra quoiqu'il arrive aux frontières de l'Europe de l'est. Ne parlons pas de la Crimée qui est aujourd'hui une arrière base russe aux portes de la Roumanie et de la Bulgarie, très soucieuses du suivi de la flotte russe en mer Noire. Vladimir Poutine est aussi renforcé en conséquence diplomatiquement. La Russie a aussi remporté une bataille de la communication, par la voix de son président qui a fait un sans faute à chaque fois qu'il s'exprimait sur la crise ukrainienne. Au début de la crise, il ne s'exprime pas, puis, il nie la présence de soldats russes en Crimée et en Ukraine et enfin il reconnaît avec un aplomb perturbant leur déploiement uniquement en Crimée. Enfin, sur le plan économique, c'est Gazprom qui affiche la fermeté russe à l'Ukraine menaçant de fermer le robinet de gaz. Le gouvernement ukrainien doit régler une facture de plus de 2 milliards de dollars, seulement un quart aurait été payé jusqu'à présent.

Jean-Bernard Pinatel : Pour moi, dans cette période de coupe du Monde en jargon footballistique c’est 1 à 1 la balle au centre. Il faut quand même se rappeler que les événements de la place de Maïdan ont débouché sur un coup d’Etat. Un Président , favorable à la Russie, démocratiquement élu en 2012 dans une élection contrôlée par l’OSCE, a été  chassé de sa capitale par des manifestants où l’on a vu se côtoyer des groupes paramilitaires ultranationalistes affichant des signes nazis et qui refusent l’Europe  mais aussi par des citoyens de la classe moyenne (professeurs, étudiants, dirigeants de PME ) qui souhaitent vivre dans une démocratie à l’européenne.

Moscou a répondu à ce coup d’Etat par un coup de force en s’emparant de la Crimée[1].

Cette action de force à fait espérer à la population russophone de l’Est de la Crimée un rattachement à la Fédération de Russie. Or ce que nos hommes politiques et la majorité des soi-disant experts qui interviennent dans les médias ne comprennent pas, c’est que la division de l’Ukraine en deux parties serait une défaite pour Poutine et donc qu’il ne peut pas agir pour réaliser un tel objectif. En effet, cela signifierait l’OTAN à Kiev, berceau historique de la Russie. On le voit d’ailleurs, à l’étonnement de nos médias, Poutine a fait preuve d’une grande réserve par rapport aux séparatistes de la région de Donetz. Il a essayé de les dissuader de réaliser leur référendum puis il n’en a pas reconnu les résultats.


[1] qui a été conquise par la Russie sur l’empire Ottoman en 1748, date à laquelle la Corse qui appartenait à la principauté de Gêne a été rattachée par Choiseul à la France.

Quels ont été, du point de vue américain, les insuffisances et manquement de la politique étrangère de Washington en Ukraine ?

Quentin Michaud : Je ne crois pas que Washington ait failli dans la gestion de la crise au cours des mois de février et mars affichant sa position de puissance militaire à travers l'OTAN. Mais le traitement politique de cette affaire est certainement à l'image des insuffisances en matière de politique étrangère conduites par Barack Obama, depuis qu'il a est président des Etats-Unis. A la fin du mois de février, lorsque des soldats russes anonymes prennent le contrôle des aéroports, des bases militaires ukrainiennes et des principales voies de communication, que se passe-t-il vraiment ? La Russie prépare-t-elle une invasion de l'Ukraine ? Personne ne semblait le savoir véritablement. Il y a eu quelques jours de ballottement au début de la crise, si l'on se remémore bien le déroulement des évènements.

Jean-Bernard Pinatel : Cette modération de Poutine ne fait pas l’affaire des ultraconservateurs américains qui contrôlent l’appareil de défense et de renseignement américain et qui n’ont pas toujours tourné la page de la guerre froide. La preuve : les mercenaires de Blackwater (renommé Academi), véritable organisation militaire privée qui s’est illustrée par ses exactions contre la population irakienne, sont aujourd’hui le fer de lance de la répression des séparatistes dans l’Est de l’Ukraine car l’Armée ne veut pas se battre contre d’autres ukrainiens.

La tournure que prend cette crise est dangereuse pour plusieurs raisons : Obama ne contrôle pas le complexe militaro-industriel qui est noyauté par les ultraconservateurs. Poutine est sous la pression de son opinion publique qui ne peut accepter que l’on tue des Russes en Ukraine. La mouvance nazie de Galicie est surreprésentée  dans le gouvernement provisoire ukrainien (3 ministres)  alors que les récentes élections ont montré qu’ils n’avaient recueilli que 2% des votes. C’est donc aux européens qui seraient les premiers perdants si la crise dégénérait en conflit de prendre les choses en main et de dire aux américains que la crise ukrainienne ne concerne que les européens, les ukrainiens et les Russes et qu’ils n’ont aucune légitimité à interférer dans cette crise.

Si la diplomatie française fait jusqu'ici preuve d'un alignement sur celle menée par les Etats-Unis, des pays comme l'Allemagne ou encore la Pologne se montrent pour diverses raisons très sceptiques à l'égard de la stratégie de la Maison Blanche. Faut-il acter d'une division de l'Europe sur les grandes questions géopolitiques ? Quels en sont les bénéficiaires ?

Quentin Michaud : L'Allemagne, je suis d'accord. Mais la Pologne s'est-elle réellement exprimé en prenant ses distances face à Washington, alors que son pays accueille des forces de l'OTAN, y compris françaises, pour surveiller les frontières polonaises. L'Europe n'est pas unie sur le plan de la politique étrangère mais il y a tout de même sur ce dossier une réponse commune en bloquant des avoirs de responsables russes et en organisant avec l'OTAN une réaction à l'agressivité militaire russe en Ukraine. Concernant l'Allemagne, Angela Merkel n'a pas agit seule, mais elle en a profité pour afficher son leadership dans les négociations menées avec le Kremlin. Berlin s'est bien sûr renforcé une nouvelle fois au plan diplomatique au sein de l'Union Européenne.

Jean-Bernard Pinatel : Je n’ai malheureusement qu’une confiance limitée en François Hollande et en Laurent Fabius qui ont démontré leur soumission aux intérêts américains notamment dans le dossier Syrien, même si je souhaite ardemment être démenti par les faits. Je place donc tous mes espoirs dans Angela Merkel qui est la seule à avoir vraiment pris conscience avec l’affaire de la NSA que nous n’avons pas les mêmes intérêts que les Etats-Unis. C’est aujourd’hui l’Allemagne et non le couple Franco-allemand qui dirige de fait l’Europe. Les liens économiques qui lient l’Allemagne et la Russie sont un facteur de motivation essentiel pour que l’Allemagne se positionne en médiateur dans cette crise.

Qu'attendre en conséquence de la suite des événements ? Qui de Washington ou de Moscou possède l'avantage actuellement ?

Quentin Michaud : La situation est extrêmement fragile. Les russophones ont crée leur propre province autonome dans l'est du pays, les activistes russes ont abattu plusieurs hélicoptères ukrainiens. L'armée ukrainienne aura de plus en plus de mal à maintenir sa présence dans la région de Donetsk et de Kharkov. Progressivement, une frontière va se dessiner partageant cette région du reste de l'Ukraine. Mais personne ne veut d'une partition du pays aux portes de l'Europe. Mais ne nous emballons pas, la crise n'est pas résorbée, l'Histoire n'est pas encore définitivement écrite.

Jean-Bernard Pinatel : Malheureusement dans une crise se sont souvent les événements locaux qui en déterminent l’évolution. C’est pourquoi il est essentiel de faire pression sur le gouvernement ukrainien pour qu’il cesse de faire la guerre aux séparatistes et dans le même temps de dire aux américains qu’ils se mêlent de leurs affaires. Obama n’a aucune légitimité à intervenir dans ce conflit qui concerne l’Ukraine, la Russie et l’Europe. Ses interventions ne visent qu’à l’aggraver or si la crise dégénère en conflit c’est nous qui payerons les pots cassés

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