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Les orphelins amers de Borloo : un seul être vous manque et le monde (du centre) est dépeuplé
©Reuters

Désert charismatique

Depuis Valéry Giscard d'Estaing, les formations politiques du centre ont toujours été tiraillées entre le rejet d'une culture bonapartiste représentée par l'UMP, et la nécessité de se donner des ambitions présidentielles. Pourtant, la Vème république exige structurellement qu'une personnalité incarne le parti, ou le programme qu'il est censé représenter.

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Atlantico : Début 2013, alors que l'UMP vivait un effondrement de son parti suite à la motion de censure déposée par Jean-François Copé et provoquant une grave crise interne, Jean-Louis Borloo n'avait pas hésité à ériger sa formation politique de centre-droit en principale figure de l'opposition au gouvernement. Aujourd'hui, le résultat  des élections internes UDI-Modem semble décrédibiliser de plus en plus le rêve de Jean-Louis Borloo. Mis à part les propositions programmatiques de chacun des candidats à la présidence du parti, dans quelle mesure peut-on trouver la source du problème au moment de la mise à l'écart de ce dernier ? Et en quoi cela pourrait-il illustrer l'importance que peut jouer une attitude bonapartiste, qui donne autant d'importance aux hommes qu'aux idées ?

Jean Garrigues : C'est effectivement la maladie chronique du centre, qui est sous la Vème république, à la fois victime et prisonnier de la bipolarité du système de l'élection présidentielle opposant deux candidats. Très souvent la droite et la gauche s'y retrouvent, et ce n'est qu'au second tour que le centre tient un rôle, mais là encore un rôle secondaire de négociateur. Pourtant, Alain Bauer réussi à se retrouva face à Georges Pompidou en 1969 au second tour, et en 1974 Valéry Giscard fut élu bien qu'appartenant au centre, car soutenu par une partie de la droite. Mais la bipolarisation n'est pas le seul problème du centre. Historiquement, le centre a commencé à souffrir d'un manque de leadership avant même la Vème république puisque déjà sous la IIIème république, son espace politique était morcelé en chapelles, et en clans personnels qui n'arrivaient pas à dégager de véritable leader.

Lorsque François Bayrou se présente en 2002 comme candidat de l'UDF contre jacques Chirac, Philippe Douste-Blazy, le numéro deux de l'UDI a malgré tout donné son vote au candidat de la droite. En 2007, on a pu voir le même scénario se dérouler lorsque les lieutenants de François Bayrou l'abandonnent entre les deux tours – Hervé Morin et Maurice Leroy- pour former le nouveau centre. Il y a donc en permanence un problème de leadership.

On peut dire que celui-ci repose en partie sur son Histoire : un amalgame de différentes traditions, comme la tradition démocrate chrétienne qu'a représenté le MRP après la guerre. Mais aussi une tradition radicale, avec récemment Jean-Louis Borloo. Pour ce dernier, on s'accorde à dire que son talent a consisté en majeure partie à fédérer les radicaux de l'UDI. Mais on voit bien qu'il n'a jamais réussi à être une figure de premier plan dans la vie politique, c'est précisément une personnalité définie comme fragile, et surtout manquant d'ambition présidentielle. Ceux qui entendent lui succéder sont d'ailleurs des personnalités politiques de "second-plan" si l'on peut dire.

Il y a donc en permanence un problème de division, mais aussi un problème inhérent à la structure des partis centristes, sans culture partisane contrairement à ce que l'on peut voir à gauche avec le Parti socialiste, ou à droite et sa culture bonapartiste. Chez les centristes, on est plutôt dans une culture des comités, comme sous la IIIème république, un tissu de notables locaux.

Et puis bien sûr, cela tient au fait même que les idées du centre soient précisément entre les deux pôles principaux. Les convictions centristes apparaissent faibles, ambivalente. Il est difficile de faire émerger une figure de chef avec des tendances à la modération et à la médiation. Les fondements du centre sont aussi européistes, c’est-à-dire une volonté de gouvernance qui ne correspond pas à l'attitude bonapartiste de notre vie politique. Leur caractère régionaliste, avec une lutte contre la structure centralisée et autoritaire double cette opposition au bonapartisme.

Ce reniement d'une appartenance bonapartiste, de rejeter toute idée de l'homme providentiel a-t-il pu décourager des figures charismatiques et rassembleuses d'émerger au sein du parti, et de n'attirer que des "seconds couteaux" ?

Tout à fait, l'exemple le plus marquant depuis une quinzaine d'année est François Bayrou, qui a essayé de transformer le centre en une formation présidentielle. En voulant se donner comme objectif d'aller à la conquête du pouvoir présidentiel, il s'est construit une figure de fédérateur. En 2007, les thèmes de sa campagne et son discours lui confèrent une attitude très gaullienne, de résistant vis-à-vis de la classe politique traditionnelle et des médias, ainsi qu'une posture d'union à travers le Modem. Pourtant, cette volonté de faire incarner le centre par un homme a été un échec. Non seulement du fait de la bipolarisation, en rejetant l'appel du pied de Ségolène Royale entre les deux tours en 2007, mais aussi en 2012 où il appelle à voter pour François Hollande, ce qui est qualifié de trahison par sa propre famille politique.

L'expérience de Giscard d'Estaing montre bien qu'un centre qui gagne est possible, mais à condition qu'il soit représenté par une personnalité charismatique, et deuxièmement d'être confronté à une situation de désagrégation, de fragmentation de la droite.

En quoi cela peut-il nous renseigner sur le fait que les hommes sont aussi importants que les idées en politique, et particulièrement sur la scène politique française ? Comment cela peut-il s'illustrer dans d'autres formations politiques ?

Bien entendu. Le système de la Vème république, centré sur l'élection présidentielle favorise la personnalisation. Deuxièmement l'américanisation de notre vie politique favorise la personnalisation, et puis la tradition bonapartiste française fait que cette référence à un leader est particulièrement forte. Les idées, les valeurs, les partis ont besoin de s'incarner à travers une personnalité.  L'exemple le plus caricatural se trouve à l'extrême droite, en observant comment le Front National, fondé en 1972, n'a pris une place dans la vie politique que grâce au charisme particulier de Jean-Marie Le Pen

Quel peut-être aussi le risque pour un parti politique de ne miser que sur le succès d'un seul homme, et comment peut-on y pallier, à quoi ressemblerait un équilibre ?

Le contrecoup de cette attitude fondamentalement bonapartiste de la vie politique française se voit avec la manière dont le NPA a vu son importance réduite à zéro à partir du moment où Olivier Besancenot a quitté le devant de la scène. Georges Marchais également, qui dans les années 1970 avait incarné le parti communiste et retardé son déclin par son charisme médiatique. Arlette Laguiller aussi peut être citée en exemple, elle qui a fait connaître Lutte ouvrière alors qu'il ne s'agissait que d'un groupuscule marginal de la vie politique. L'un des éléments du discrédit de François Hollande se situe bien entendu dans sa lacune charismatique, il apparaît alors comme en manque de fermeté, de clarté, d'autorité.

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