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Trump et Pence, deux novices en relations internationales dans un monde dangereux
©Reuters

THE DAILY BEAST - MAISON BLANCHE 2016

Le tandem présidentiel Trump-Pence des Républicains n’a jamais été aussi inexpérimenté sur les affaires du monde depuis les années 1920. Heureusement que la planète est un endroit calme qui nécessite peu d’expertise en politique étrangère...

Shane Harris

Shane Harris

Shane Harris est correspondant pour The Daily Beast sur les questions de sécurité nationale américaine. Il est l'auteur de deux livres :  @War: The Rise of the Military-Internet Complex, et The Watchers: The Rise of America’s Surveillance State.

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Copyright The Daily Beast - Ecrit par Shane Harris

Le choix de Mike Pence comme colistier de Donald Trump fait de ce "ticket" républicain l’un des moins expérimenté en matière de sécurité nationale et de relations internationales de l’ère moderne. Rarement un candidat à la présidence a eu si peu d’expérience de terrain avec les soldats, les espions et les diplomates : Trump n’a jamais été élu, ni n'a travaillé dans un ministère, ni même fait son service militaire. Et  Mike Pence, qui a déclaré l’année dernière que 2016 serait "la première élection dont l’enjeu serait les affaires internationales depuis 1980", ne compense pas vraiment les lacunes de Trump. Il fait face à l'ancienne Secrétaire d’Etat Clinton.

Avant de devenir gouverneur, Pence a été élu six fois au Congrès et il a siégé à la Commission des affaires étrangères du Congrès de 2003 à 2012. Durant une année, de 2012 à 2013, il a été le vice-président de la sous-commission Moyen-Orient / Asie du Sud. Mais au Congrès, Pence était connu pour être un idéologue conservateur qui a grimpé les échelons du Parti républicain et non pas comme un stratège de la politique extérieure. Il a toujours été un soutien fidèle des forces armées : il a voyagé et rencontré les troupes en Afghanistan et en Irak, il a plaidé en faveur de l’augmentation des budgets militaires. Mais il n’a jamais fait partie de la Commission de la défense où les membres supervisent les diverses opérations militaires. Trump a fait de la lutte contre le terrorisme, de la renégociation des traités et de la sécurité intérieure les piliers de son programme. L’attaque terroriste de jeudi dernier à Nice, qui a fait 84 morts et laissé des dizaines de personnes entre la vie et la mort, ne fera qu’amplifier ces thèmes et obligera les candidats à mieux exprimer comment ils entendent combattre la prolifération de cette violence meurtrière de Paris à Bruxelles en passant par Orlando et San Bernardino. Beaucoup de candidats à la présidentielle inexpérimentés ont mis les questions de sécurité en tête de leur agenda politique. Mais généralement, un candidat avec peu d’expérience prend un colistier qui lui permette de muscler son ticket (prenez l’exemple du jeune sénateur Barack Obama qui prend le chevronné Joe Biden comme Vice-Président). Trump va à l’encontre de cette règle. "Il y a des lacunes au niveau des affaires étrangères chez les candidats. Dans le cas de Trump, c’est flagrant", a déclaré au Daily Beast Timothy Naftali, historien de la présidence américaine et professeur de la sécurité nationale américaine à l’université de New York. "Le choix de son Vice-Président ne comble pas ses lacunes".

Mais peut-être que le choix de Pence ne devrait pas surprendre finalement. Durant toute sa campagne, Trump a montré du désintérêt, et parfois même de l’hostilité, vis-à-vis des relations internationales et de la sécurité nationale. En mars, il a déclaré que l’ensemble des lois et des traités qui empêchent les Etats-Unis de torturer des gens étaient l’oeuvre de "crânes d’œuf" qui n’avaient aucune idée de ce qu’était le terrorisme. Et suite au résultat du référendum du mois dernier en faveur de la sortie de la Grande-Bretagne de l’Europe – l’une des décisions les plus cruciales qu’ait pris le principal allié des Etats-Unis ces dernières années - il a déclaré qu’il avait à peine abordé le sujet avec ses conseillers car "il n’y avait rien à en dire". Ces conseillers sont principalement des seconds couteaux de la vie politique américaine et des analystes conservateurs controversés, tous inconnus de l’establishment américain des relations internationales. En mars dernier, quand Trump a donné les noms de ses conseillers, beaucoup d’experts ont jugé que Trump n’avait aucune intention sérieuse de travailler sur les sujets de politique extérieure alors qu’il ne cesse d’en parler. Pourtant, Trump reconnait la faiblesse de ses conseillers et il s’en sert même comme d’une force. "Quelqu’un m’a dit ‘tu devrais t’entourer de conseillers qui étaient aux affaires les 5 dernières années’. J’ai répondu : ‘vraiment ? Je préfère m’entourer de ceux qui n’y étaient pas. Regarde l’état du monde ces derniers temps." a déclaré Trump lors d’une conférence de presse sur un terrain de golf en Ecosse, au lendemain du Brexit.

Au moins deux de ses conseillers étaient sur sa liste de possibles vice-présidents et auraient pu combler ses lacunes, au moins sur le papier. Le général à la retraite Michael Flynn, qui a dirigé l’agence de renseignements militaires, aurait pu apporter des décennies de savoir militaire. Mais Flynn est lui aussi devenu un personnage controversé, connu pour ses tirades politiques sur Twitter, comme la dernière concernant l’attentat de Nice "J’en ai marre de la faiblesse et du politiquement correct de nos leaders contre un ennemi barbare. Notre ennemi nous a déclaré la guerre – réveillez-vous !". L’ancien président de la Chambre des représentants, Newt Gingrich, une autre figure républicaine proche de Trump, s’est fait une réputation originale mais excentrique au sein des cercles de défense. Mais jeudi dernier, il a essuyé de nombreuses critiques après sa proposition de soumettre les musulmans américains à un test pour "extirper" les extrémistes. "La civilisation occidentale fait face à une guerre. Nous devrions soumettre chaque personne d’origine musulmane a un test et si elle croit dans les principes de la charia, alors nous devrons l’expulser" a déclaré Newt Gingrich à Sean Hannity sur Fox News.

En choisissant Pence, Trump a visiblement préféré mettre en avant la crédibilité politique. Pence était président de la commission républicaine d’études entre 2005 et 2007, un groupe en faveur de politiques de réduction des dépenses, sauf en matière de défense. En tant que gouverneur, il a eu une politique sociale-conservatrice, ce qui peut attirer les supporters du sénateur Ted Cruz, dont Pence avait initialement soutenu la candidature présidentielle. Mais, comme Trump, le manque d’expérience  n'a pas empêché Pence de prendre position sur des questions clés de sécurité nationale et de relations internationales. Certaines de ces positions l’ont même mis en porte-à-faux avec le candidat putatif. Tout comme la candidate démocrate Hilary Clinton, Pence a voté la résolution permettant l’invasion de l’Irak en 2002 sous la présidence de George W Bush. Durant toute sa campagne, Trump a fustigé ce vote de Clinton, disant que c’était la preuve de sa méconnaissance des relations internationales. On ne sait pas s’il pense de même au sujet du vote de Pence et ce que cela dit de comment Trump juge quelqu'un qui peut devenir commandant en chef des armées si Trump n’était plus en capacité de présider. En 2014, Pence a eu des mots très durs envers Vladimir Poutine et a déclaré que l’invasion de l’Ukraine par la Russie devrait inciter les Etats-Unis à resserrer ses liens avec les pays membres de l’OTAN et déployer davantage d’armes défensives. Trump en revanche, s’est rapproché de Poutine. Les deux hommes se sont exprimés leur admiration mutuelle et Trump a déclaré que les Etats-Unis devraient se retirer de l’Otan. Cette alliance fut la colonne vertébrale de la sécurité transatlantique, mais Trump affirme que cela coute trop cher à l’Amérique : "nous ne pouvons plus nous permettre cela dorénavant" a-t-il déclaré au Washington Post.

Plus récemment, Pence a tweeté qu’une interdiction d’entrée des musulmans sur le territoire américain – une des propositions phares du candidat Trump – était «"insultante et anticonstitutionnelle" (il a cependant fait de nombreux efforts pour empêcher l’installation de réfugiés syriens dans son Etat de l’Indiana par peur qu’ils soient noyautés par des terroristes). Pence a aussi soutenu le partenariat trans-pacifique ; un traité que Trump estime "pipé" et symptomatique des échanges à sens unique qui font dégringoler l’économie américaine. Pence avait déclaré que ce traité était bon. "Le commerce c’est la création d’emploi. Le commerce, c’est aussi la sécurité" avait-t-il tweeté en 2014, en exhortant à une adoption rapide du traité. Ce positionnement place Pence plus en adéquation avec les ténors du parti, un groupe que Trump n’a pas pris la peine de courtiser. Certains voient dans le choix de Pence une volonté de Trump de se rapprocher des idées traditionnelles du parti républicain. "En ce qui me concerne, peu m’importe l’expérience de Pence. Ce qui m’intéresse c’est de savoir s’il a la volonté, lui aussi, de faire exploser la politique étrangère américaine traditionnelle, ou alors si nous aurons dans le ticket républicain un Numéro 1 provocateur et un Numéro deux plus pragmatique." a déclaré au Daily Beast Michael O’Hanlon, un expert des questions de Défense au Brookings Institute. "J’ai une appréhension quant à la vision du monde de ce ticket présidentiel, mais c'est mieux que de voir Pence également vouloir abandonner les alliances, stopper l’immigration et mettre fin aux principaux traités commerciaux." Pence a toujours soutenu l’armée, mais là encore il a eu des positions qui diffèrent de celles de Trump, notamment sur les droits des LGBT. Pence, qui se décrit comme "chrétien, conservateur et républicain, dans cet ordre" s’était déclaré contre la décision de l’administration Obama de permettre aux gays, lesbiennes et transgenres de servir "ouvertement" dans l’armée. "L’homosexualité est incompatible avec l’armée car la présence d’homosexuels affaiblit la cohésion des rangs" avait-il déclaré durant sa campagne pour le Congrès en 2000. Quand il était au Congrès, Pence avait fait plusieurs déplacements en Afghanistan et en Irak pour visiter les troupes, notamment celles de l’Indiana. Mais ces déplacements sont très courants et ne sont souvent guère plus que des opérations de communication. Une visite en particulier a montré à quel point Pence n’avait aucune connaissance de la réalité du terrain et des opérations. En avril 2007, Pence a accompagné le Sénateur John McCain à Shorja, le marché central de Bagdad et avait remarqué le calme et la tranquillité de celui-ci. "Comme un marché en Indiana durant l’été" avait déclaré Pence lors d’une conférence de presse pour se féliciter de la politique sécuritaire américaine qui aurait pacifié les lieux. Des lieux qui au même moment étaient en pleine insurrection djihadiste et au bord de la guerre civile. Cette visite du marché était une totale mise en scène, ont déclaré les Irakiens par la suite. La délégation est arrivée avec plus de 100 soldats armés, des humvees, des hélicoptères d’attaque. Pence et ses collègues portaient des gilets pare-balles alors qu’ils étaient couverts par des tireurs d’élite postés en haut des immeubles voisins. "Ils ont paralysé le marché quand ils sont venus" avait raconté un marchand au New York Times. "C’était juste de la communication".

En tant que gouverneur, Pence a voyagé à l’étranger. Une visite de neuf jours en Israël en décembre 2014 a fait croire à une ambition présidentielle pour 2016. Pence, un soutien inconditionnel d’Israël, avait rencontré le Premier ministre Benjamin Netanyahu et un groupe de chrétiens. Pence a aussi présidé des délégations de son Indiana au Japon, en Chine, en Allemagne, au Royaume-Uni et au Canada. Ces visites sont monnaie courante pour des gouverneurs et ont souvent des buts économiques et commerciaux. Pence a attiré l’attention en 2015 lors de sa visite en Chine pour promouvoir les investissements dans son Etat. En effet, en 2009 lorsqu’il était au Congrès, il avait critiqué Obama pour sa visite en Chine alors que son pays faisait face à une crise économique. "Et où est le Président cette semaine ?" avait-il demandé durant un diner de gala donné par le magazine conservateur The Spectator. "En Chine. Il visite avec notre argent et prends des leçons d’économie monétaire auprès de dictateurs communistes". Pence a défendu son propre voyage en Chine comme étant "une partie importante des tâches de son poste de gouverneur" et a déclaré à un journaliste qu’il ne se souvenait pas "précisément" de ses attaques contre Obama. De grandes entreprises et des donateurs privés ont payé les déplacements de Pence et certaines de ses dépenses somptuaires comme une suite au Toronto Maple Leaf Hôtel, selon le Indiana Star Tribune. L’administration Pence a défendu ses voyages en précisant que cela allait générer des investissements qui allaient créer des emplois. Evidemment, une expertise dans les affaires étrangères ou la défense n’est pas un prérequis pour devenir commandant en chef des armées. Bush, le dernier républicain dans le bureau ovale était un néophyte quand il s’est présenté aux présidentielles de 2000. Mais son court CV était étoffé par la présence de Dick Cheney, un ancien ministre de la Défense et secrétaire général de la Maison Blanche. Bill Clinton n’avait aucune expérience des affaires étrangères, mais son colistier, Al Gore, était membre de la commission des renseignements au Congrès et plus tard à la commission de la défense du Sénat. Le gouverneur de Géorgie Jimmy Carter n’avait aucune expérience lors de son élection à la présidence en 1976. Mais son Vice-Président, Walter Mandale, était membre de la commission Church qui a mené l’enquête la plus large et la plus précise sur les opérations des renseignements et dont les travaux sont la base sur laquelle s’est fondé le système de surveillance des opérations de renseignement au Congrès. "L’expérience de Pence fait pâle figure à côté de celle de Mandale" a déclaré Naftali, en ajoutant que les membres de la commission Church sont devenus des experts dans le traitement et l’utilisation des renseignements par la présidence. Durant les décennies de super-puissance des Etats-Unis, les partis politiques ont voulu éviter les tickets présidentiels dans lesquels au moins un des deux colistiers n’a pas une expertise solide à apporter dans le domaine de la politique étrangère ou de  la défense, a dit Naftali. Il a comparé le ticket Trump-Pence au ticket Herbert Hoover-Calving Coolidge, par leur manque commun de connaissances. Mais ce qui rend Trump unique est son manque de connaissance sur le plan interne et extérieur. « La dernière fois que nous avons eu un non-professionnel de la politique, c’était Dwight Eisenhower et il a contribué à gagner la Seconde Guerre Mondiale. » a déclaré Naftali. «  C’est l’armée qui lui a donné son expertise internationale. Nous allons voir quelle importance les Américains donnent à cette question » a-t-il conclu.

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