Trop de liberté tue la liberté ? Cette grande aliénation occidentale aussi révélée par le 7 octobre<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Manifestation en soutien à la Palestine à Chicago, le 11 octobre dernier.
Manifestation en soutien à la Palestine à Chicago, le 11 octobre dernier.
©SCOTT OLSON / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Individualisme

Dans les faits, les démocraties ont toujours donné la liberté et la démocratie aux ennemis de la liberté et de la démocratie et elles continuent à le faire. Mais ne doit-on pas fixer des limites ?

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli est membre de l’Institut universitaire de France, Professeur Émérite à la Sorbonne. Il a  publié en janvier 2023 deux livres intitulés "Le temps des peurs" et "Logique de l'assentiment" (Editions du Cerf). Il est également l'auteur de livres encore "Écosophie" (Ed du Cerf, 2017), "Êtres postmoderne" ( Ed du Cerf 2018), "La nostalgie du sacré" ( Ed du Cerf, 2020).

 

Voir la bio »
Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

Voir la bio »

Atlantico :  Depuis le 7 octobre, l’Occident est confronté à une question vieille comme la démocratie : que faire des ennemis de la démocratie et de la liberté dans une démocratie ? D'autant que cette fois, en plus, les nouveaux ennemis intérieurs de la démocratie (qui se revendiquent « éveillés », woke) le font paradoxalement au nom de ce qu’ils considèrent être la liberté et le progrès, en défendant par exemple le droit des islamistes à l’être...

Michel Maffesoli : La question de la liberté d’expression des ennemis de la démocratie est vieille effectivement comme la démocratie. La citation attribuée (faussement dit-on) à Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec vous, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire » fait le contrepoint à celle de Saint-Just : pas de liberté pour les ennemis de la liberté.

Cette problématique recouvre en fait celle de la fin qui justifie ou non les moyens employés. Pour les tenants de la liberté absolue, tels Saint-Just, tous les moyens, même liberticides sont justifiés pour faire taire ceux qui mettent en péril la liberté, au nom d’autres principes moraux. Mais on peut aussi considérer qu’aucune cause, fût-elle celle de la liberté ne justifie de faire taire les ennemis de la liberté.

En droit le juge (notamment constitutionnel) met en balance les différentes libertés, d’expression, d’aller et venir, religieuse, politique, de commerce etc. quand l’expression de l’une met l’autre en péril.

Dans les cas que vous évoquez, ceux de manifestations identitaires « woke » soutenant finalement la liberté individuelle de chacun à revendiquer telle ou telle appartenance, il me semble que la frontière est relativement facile à établir : soutenir le droit des musulmans à faire état de leur identité religieuse en portant tel ou tel signe religieux est une chose, de même soutenir les populations civiles gazaouis fait partie de la liberté politique en France, en revanche soutenir le Hamas dans ses actions terroristes relève d’un appel à la haine.

À Lire Aussi

Ce biais intellectuel occidental qui nous pétrifie face aux discours de haine des valeurs de la démocratie libérale

Disons que plutôt que d’entrer dans un débat un peu abstrait sur liberté d’expression et défense de la démocratie, il faut analyser empiriquement les situations.

Mais cette casuistique ne relève pas de l’idéologie « woke » qui souvent procède par catégorisation plutôt que par mise en situation. J’ai consacré un chapitre au « wokisme » dans mon dernier livre ( Le Grand Orient. Les Lumières sont éteintes, Ed.Trédaniel), en montrant que ce dernier consiste à universaliser une particularité : genre, sexe, peau etc…

En ce sens d’ailleurs l’idéologie « wokiste » est la forme ultime de l’individualisme moderne, qui fait de l’émancipation de chacun la marque de la liberté au détriment du lien social qui comme son nom l’indique est un lien de dépendance de chacun envers chacun.

Bertrand Vergely : Lorsque Saint-Just s’exclame : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté », il enfonce une porte ouverte. « Si la liberté ne vous intéresse pas, » dit-il en substance aux ennemis de la liberté, « on ne voit pas pourquoi vous la réclamez et pourquoi on vous la donnerait. » Dans les faits, les démocraties ont toujours donné la liberté et la démocratie aux ennemis de la liberté et de la démocratie et elles continuent à le faire. En quoi, elles n’ont pas tort. Les ennemis de la liberté n’attendent qu’une chose : que, face à leurs ennemis, les démocraties deviennent elles-mêmes les ennemies de la liberté en renonçant à leurs propres principes. Contrairement à ce que l’on pense, en leur donnant de la liberté, les démocraties ne renoncent pas à leurs propres valeurs. En conservant fermement le sens de la liberté malgré l’adversité, elles luttent contre ses ennemis de la façon la plus pertinente et la plus juste qui soit.

Dans le contexte où il s’exprime, Saint-Just pense aux contre-révolutionnaires. Il en appelle à la cohérence. La République étant pour lui synonyme de liberté, on ne peut pas vouloir la liberté et être antirépublicain  et contre la Révolution.

Aujourd’hui, avec le wokisme, on assiste à un troisième sens de cette phrase pour le moins original, c’est le moins que l’on puisse dire, puisqu’il s’agit, non pas de refuser la liberté et la démocratie à leurs ennemis, mais au contraire à les en faire profiter. L’islamisme, qui hait l’Occident, hait la liberté et la démocratie. Il ne devrait donc pas pouvoir en profiter en étant purement et simplement interdit. Or, réprimer l’islamisme étant un acte raciste antimusulman, le wokisme réclame qu’au nom de la liberté et de la démocratie et contre le racisme, l’islamisme puise ouvertement proclamer cette haine. Face à ce comportement aberrant, il est parfaitement possible d’agir. Il suffit 1) de préciser clairement ce que, aujourd’hui en Occident, on est prêt à permettre mais aussi à ne pas tolérer, 2) qu’on en fasse une loi et 3) que l’on soit prêt à faire respecter cette loi dans le cadre de l’État de Droit. Le wokisme aujourd’hui terrorise en toute impunité. Ce n’est pas étonnant. Il ne rencontre aucune opposition. On a parfaitement raison de condamner les injures racistes. Quand on commencera à sévir contre ce qui injurie en se servant du terme « raciste » à tout bout de champ, ceux qui en usent et en abusent trouveront un peu moins de facilité à terroriser.

Le soutien des LGBT au Hamas et autres Queers for Palestine est si absurde qu’on en vient à se demander si l’extension maximale des libertés individuelles en Occident n’a pas produit chez certains une forme d’aliénation doublée d’un fantasme de force, d’autorité et de virilité… Comment expliquer ces aveuglements de l’intersectionnalité des combats ?

Michel Maffesoli : Je ne suis pas expert en sciences psychiatriques ou psychologiques, je me garderai donc bien de porter un diagnostic sur tel ou tel comportement individuel.

Je rapporterais plutôt ces comportements à ce que j’ai appelé la théâtralisation du monde, dont le monde politique au sens large est la scène. Platon le disait, quand la démocratie se délite, elle devient « théâtrocratie ». Nous en sommes à ce point. Les hommes politiques ont donné le la, qui subordonnent toutes leurs interventions, toutes leurs décisions à des sondages d’opinion. La question n’est plus de l’effet attendu de telle ou telle politique, mais de la réaction de l’opinion à l’annonce de telle ou telle politique. Le ministre de l’éducation en est un parfait exemple qui a « résolu » les deux problèmes du respect de la neutralité à l’école et du harcèlement scolaire à coups de belles annonces. Allant jusqu’à jouer par « empathie » le rôle de l’ancien harcelé, à l’école alsacienne !

Dans ce jeu de scène les rôles s’exacerbent jusqu’à l’absurde, puisque le but n’est pas tant d’affirmer une identité que d’être plus remarqué, plus « liké » que les autres grâce à un surcroît identitaire. L’intersectionnalité permet toutes les constructions jusqu’aux plus absurdes. D’autant que ces jeux de scène s’adressent de fait à un petit public, à des publics très parcellisés.

En ce sens d’ailleurs la théâtralité devient hystérique, chaque acteur devant crier plus fort que les autres pour s’affirmer. Les analyses de mon ami Jean Baudrillard sur le « simulacre » nous éclairent au mieux sur un tel phénomène.

Bertrand Vergely : La liberté réside dans l’indépendance, l’autonomie et la délivrance. L’indépendance consiste à ne pas dépendre d’un maître qui décide à votre place. À Rome, celui-ci avait droit de vie ou de mort sur ses esclaves. On est libre quand on brise les chaînes de l’esclavage en interdisant à un être humain de se dire le maître d’un autre avec les pleins pouvoirs sur lui.

L’autonomie consiste à être non pas l’esclave d’un autre mais l’esclave de soi faute de volonté. On en a  quand on est capable de dire non à soi-même en cessant de dépendre de ses pulsions, de ses fantasmes, de ses désirs et de ses caprices. Les addictions, qui sont aujourd’hui le problème numéro un de la santé dans un pays comme la France, sont la manifestation d’une maladie de la volonté et d’un manque total de liberté à l’égard de soi.

Enfin, la délivrance désigne la liberté créatrice qui n’est pas contre le maître extérieur ou l’esclave intérieur mais pour le vivant que nous sommes et que nous sommes appelés à être. Nous avons tous en nous le désir de pouvoir accomplir ce que nous sentons être nous et rien n’est plus heureux que de pouvoir le faire quand nous y parvenons. On connaît alors la liberté des délivrés vivants qui ont réussi à aller au bout de leur aspiration profonde.

Les mouvements de libération, qui aujourd’hui gravitent autour du wokisme, de la théorie du genre et de la déconstruction, correspondent à une hystérisation de la liberté comme indépendance afin de parvenir directement à la liberté comme délivrance sans passer par la liberté comme autonomie. Cela donne ce à quoi nous assistons à savoir une lutte pour l’indépendance et contre l’esclavagisme menée par des tyrans incapables de volonté croyant vivre la délivrance. Quand tel est le cas, un dramatique retournement se produit. Le tyran que l’on ne voulait pas voir vivre, on le fait vivre en le devenant. La liberté ramenée à une folle indépendance, on en devient l’esclave en emmenant avec soi le monde en esclavage alors qu’on se présentait comme son libérateur.

Avons-nous confondu la liberté, valeur absolue, avec la déconstruction de fondamentaux moraux de notre civilisation ? Que chacun soit libre de son destin, d’être ce qu’il est comme de ses choix n’est pas en cause. Mais n’avons-nous pas causé un grand vertige en supprimant toute référence collective et toutes les sources traditionnelles susceptibles de donner du sens à la vie ?

Michel Maffesoli : Je voudrais faire un détour en reprenant quelques expressions. Je fais une différence entre morale et éthique. La morale est universelle, elle s’applique en tous temps et à tous. L’éthique, du grec « ethos », le ciment, est l’ensemble de principes, de règles qui s’appliquent à une communauté donnée.

Nous avons vécu durant l’époque moderne un époque morale : l’universalisme européen s’imposait à l’ensemble du monde. Ceci n’est plus le cas, nous sommes aujourd’hui dans des sociétés « tribalisées », dans lesquelles les règles universelles ont du mal à s’appliquer. Il faut donc retrouver une éthique qui s’applique à chaque communauté et aux relations des communautés entre elles. Le débat n’est donc pas tant entre individualisme et collectivité ou bien commun, mais entre règle morale unique et règles éthiques plus diverses. Bien sûr il y a de grands principes anthropologiques qui s’appliquent à tous, dans tous lieux : l’interdit du meurtre, de l’inceste par exemple.

En revanche nombre de  nos règles dites « morales », l’interdit de l’infidélité, du mensonge, de la ruse ne sont pas du tout universelles et relèvent des situations particulières, des éthos communautaires. La question de savoir quelles sont les règles qui doivent être absolues et imposées à tous et celles qui relèvent des appartenances de chacun à des communautés religieuses, culturelles, territoriales est un des défis qui nous est posé au travers de ce changement d’époques que nous vivons aujourd’hui.

S’agissant par ailleurs de la tradition, je pense au contraire que nous entrons dans une époque de résurgence de celle-ci. Il y a dans les revendications d’appartenance religieuse, territoriale, culturelle etc. un besoin d’ancrage traditionnel. La modernité a cru s’affranchir du passé (du passé faisons table rase), la société postmoderne contemporaine voit au contraire un retour de nombre de jeunes à des racines. Celles-ci n'ont rien  à voir avec l’idéologie « woke » d’affirmation identitaire individuelle ou même individualiste. La recherche de racines, l’ancrage dans une tradition passe par de nombreux canaux : retour du sacré que montre le succès des pélerinages, des rassemblements religieux, mais aussi intérêt pour les territoires et leur histoire, pour les généalogies etc. Le mouvement « woke » est en effet un hyperindivdualisme dans lequel chacun pense pouvoir construire sa propre identité sans référence à des racines biologiques, historiques, culturelles. Mais il me semble qu’il s’agit là d’un combat d’arrière-garde, de la folie collective d’un tout petit monde.

Bertrand Vergely : Dans les années cinquante après la guerre, Sartre a impressionné son époque en expliquant que les valeurs devaient être créées de façon responsable et non dictées. Avec l’expansion du libéralisme, on a vu apparaître l’idée disant que la morale étant une affaire individuelle, chacun a la sienne et doit pouvoir avoir cette liberté. Enfin, avec les mouvements contemporains de libération, au nom de la libération de tous les possibles on a vu apparaître de façon résolument antimétaphysique l’idée qu’il fallait se libérer de tout modèle, de toute identité et de toute vérité. La morale comme création spécifique à chaque individu et affranchie de toute vérité a envoûté toute la culture postmoderne et l’envoûte encore. Dans les faits, elle a débouché et elle débouche encore sur le contraire de ce qu’elle prétendait être.

 Ainsi, quand Sartre dit qu’il faut créer sa morale et non obéir à une morale dictée, il dicte ce que la morale doit être. Quand par ailleurs le libéralisme avance que la morale est une affaire individuelle, il ne laisse pas le choix à la morale d’être autre qu’individuelle. Quand enfin, la pensée se veut sans modèle, sans identité et sans vérité, elle en fait  le modèle, l’identité et la vérité par excellence. On se demande d’où vient la violence des mouvements contemporains de libération. On a la réponse. Elle vient de leur soif de pouvoir utilisant l’individualisme absolu. Aussi convient-il de revenir sur le droit d’être ce que l’on veut.

Les errances de la liberté absolue ne seraient pas de son fait. Elles viendraient de la mort du sens et des traditions qui l’enseignent et le construisent. Le droit d’être ce que l’on veut serait donc innocent alors que la mort du sens serait coupable. Qu’on se détrompe. Ce droit est tout aussi coupable que la mort du sens. La démocratie contemporaine fait d’être cde que l’on a envie d’être son fondement. Emmanuel Macron l’a rappelé à maintes reprises : il est pour le droit d’être qui on beut en aimant qui on veut. Face à une dictature idéologique ou  religieuse qui oblige à se conformer à un modèle, cela a bien évidemment du sens. Hormis cet état d’exception, cela n’en a aucun, être libre de faire ce que l’on veut étant la liberté du tyran et non de l’homme libre. Qui est libre veut ce qu’il fait au lieu de faire ce qu’il veut. Qui est un tyran est un esclave à force de faire ce qu’il veut sans jamais vouloir ce qu’il fait. En faisant de la liberté le droit d’être et de faire ce que l’on veut, terrorisées par une masse de petits tyrans bourrés d’addictions, les démocraties se sont ligotées et se ligotent encore. Le wokisme et les mouvements de libération sèment aujourd’hui la terreur en installant un effondrement intellectuel et moral sans précédent. On ne sait pas comment les arrêter. Il n’y a rien d’étonnant à cela. La liberté ayant été définie comme le droit d’être et de faire ce que l’on veut, ils sont dans leur bon droit. Tant que la liberté sera réduite à un droit abstrait sans lien avec une éthique et une culture, nous connaitrons les vertiges de la liberté absolue.

La tolérance est-elle en réalité une valeur piège lorsqu’on ne la défend que pour s’éviter des problèmes ?

Michel Maffesoli : La conception moderne de la tolérance est individualiste effectivement. On connaît le grossier adage des hommes politiques de la troisième république : « la tolérance, il y a des maisons pour cela ». Mais la tolérance je dirais non plus individualiste, mais communautaire ou même commune est en fait, fondamentalement, le respect de l’autre, le respect de l’autre de la tribu, c’est l’éthique, mais aussi le respect des autres tribus.

C’est cette tolérance qui peut être la barrière qui nous protège de la guerre tribale qui peut s’installer dès lors que le socle de croyances, de mythes, de traditions n’est plus homogène et unique.

La tolérance c’est ce qui permet non pas l’unité de la Nation, mais l’unicité, c’est-à-dire l’équilibre entre diverses communautés qui se respectent.

Dans cet esprit de tolérance (d’amour de l’autre dit le catholicisme) c’est le respect de l’autre qui instaure des freins par rapport à l’expression individuelle ou collective de chacun. C’est parce que je respecte la croyance des autres qui respectent ma croyance que le blasphème ne devrait pas être interdit, mais réfréné.

C’est par esprit de tolérance que je n’emploie pas contre l’autre les armes que je ne voudrais pas qu’il emploie contre moi.

La tolérance est une manière éthique de réguler les comportements sociaux. Elle n’est absolument pas l’acceptation de toutes les transgressions morales. Elle est un respect de règles qui ont pour sens un profond altruisme. 

Bertrand Vergely : La tolérance est née avec le protestantisme quand, face à une religion établie, le droit que puisse exister une autre religion a été réclamé. Par extension,  avec la Révolution Française, la tolérance est devenue le droit, face à une politique établie, que puisse  exister une autre politique. Aujourd’hui, avec la démocratie, la tolérance désigne le fait que, face à une culture établie avec ses opinions, puissent exister d’autres cultures avec d’autres opinions. L’histoire le montre : la tolérance apparaît afin de résister à des religions et à des politiques autoritaires ne reconnaissant qu’elles. Destinée à lutter contre l’autoritarisme tant religieux que politique, la tolérance en tant que telle est vide. On croit que tolérer consiste à tout tolérer sinon on est intolérant. Personne n’a jamais tout toléré et personne ne tolère tout, à commencer par les partisans de la tolérance lesquels sont intolérants à l’intolérance. Les provocateurs ont l’art d’utiliser la notion de tolérance. Quand ils provoquent et qu’ils sont contestés, ils en appellent à la tolérance contre l’intolérance en se faisant passer pour des victimes afin de faire passer l’hystérisation de la liberté comme indépendance ou comme droit.

Salman Rushdie disait qu’il est "très bien de rappeler que la plupart des musulmans ne sont pas des extrémistes. Il était également vrai que la plupart des Russes n'étaient pas des partisans du Goulag ou que la plupart des Allemands n'étaient pas des nazis. Pourtant, l'Union soviétique et l'Allemagne hitlérienne ont bien existé. Ainsi, lorsqu'une déviance grandit à l'intérieur d'un système, elle peut le dévorer, et tel est ce qui se passe avec le fondamentalisme en islam". Sommes-nous victimes de ce présupposé constant de la gauche sur la toxicité du monde occidental qui l’aveugle sur la réalité des menaces auquel il fait face ?

Michel Maffesoli : Je ne crois pas qu’il faille amalgamer fondamentalisme et terrorisme. Le terrorisme est l’utilisation de méthodes assassines pour parvenir à ses fins, le fondamentalisme est un mode de réception de la tradition religieuse qui s’en tient à la lettre et refuse les évolutions historiques. Il y a des fondamentalistes chrétiens (nombre d’évangélistes par exemple) qui sont profondément pacifiques, il y a des fondamentalistes juifs ou musulmans qui ne sont pas conquérants.

D’autre part, une part de l’islamisme tel qu’il est vécu et pratiqué dans notre pays a une origine endogène. L’islamisme importé, notamment des conflits internationaux est plus facile à juguler. L’islamisme endogène, celui qui touche certains jeunes, soit d’origine musulmane, soit de conversion récente doit sans doute plus à une absence de religion, à un vide spirituel et rituel, à un manque de mythes partagés qu’à ce « trop de religion » qu’est le fondamentalisme.

Dès lors ce qui doit être effectivement interrogé dans nos sociétés c’est cette idéologie anti-religieuse, ce rationalisme morbide, ce refus des traditions et des récits légendaires qui permettent aux enfants et aux jeunes de grandir en étant enracinés dans un collectif.

Les jeunes élevés dans un vide de croyances peuvent être la proie de n’importe quels vendeurs de sacralité ou de pseudo religiosité.

Il est vrai que les religions monothéistes ont une tendance à faciliter les comportements inquisitoriaux  ou colonisateurs. L’Islam particulièrement qui fut une religion de conquête et de razzias. Mais n’oublions pas les croisades, les colonialismes passés ou actuels.

La question est plutôt de ce qui favorise ou non la soumission des foules, le suivisme aveugle de chefs déchaînés.

Nous ne sommes pas à l’abri de tels phénomènes, les années qui viennent de se passer et ce qu’il faut bien appeler la stratégie de la peur pratiquée par les gouvernements de nos pays occidentaux pour obtenir un asservissement volontaire, au mépris de tout esprit d’entraide, de solidarité, de respect des autres doit nous donner à réfléchir sur notre propre propension au totalitarisme. Et là encore c’est bien la tolérance qu’il faut promouvoir, non pas celle qui permet tout, mais celle qui promeut en vertu première le respect mutuel.

Bertrand Vergely :Aujourd’hui, sur la base de quelque chose de juste, on voit poindre des choses fausses. Les musulmans ne sont pas des islamistes. Ce n’est pas une raison pour ne pas dénoncer l’islamisme. Or, sous prétexte de ne pas incriminer les musulmans à propos de l’islamisme, l’antiracisme prend un certain plaisir à ne pas incriminer l’islamisme lui-même. Si tout musulman n’est pas un islamiste, tout islamiste n’est pas un musulman au sens courant. En confondant la critique de l’islamisme avec celle de l’islam, le wokisme provoque. Se sentant coupable d’avoir colonisé parce que toute une gauche a l’art de le culpabiliser en permanence à ce sujet, l’Occident tend à ne plus oser rien dire face à la menace islamiste de peur de passer pour raciste et islamophobe. Une fois encore, tout est une question de limite posée au départ. Quand on définit clairement ce qu’est l’islamisme et les raisons pour lesquelles il n’est pas question d’oublier ses crimes ni de l’en exonérer, la question étant non pas l’islam mais les crimes commis en son nom par quelques-uns, on évite d’innocenter l’islamisme là où il n’a pas à l’être et de culpabiliser l’islam là où il n’a pas à l’être non plus. On évite à l’Occident de se culpabiliser là où il n’a pas à l’être lui aussi.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !