Tristes soldes 2015 : pourquoi la crise est loin d’être la seule responsable<!-- --> | Atlantico.fr
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Les soldes commencent le 7 janvier
Les soldes commencent le 7 janvier
©Reuters

Peu de monde derrière le rideau

Les soldes d'hiver se déroulent cette année du 7 janvier au 17 février. Selon une étude YouGov, 39% des Français revoient leur budget à la baisse. 47% d'entre-eux l'expliquent par une augmentation de leurs charges mensuelles. Mais au-delà du niveau de vie, les promotions continues des grandes enseignes, et les soldes importées de l'étranger comme le Black Friday ou le Cyber monday sont la cause de profonds changements de la part des consommateurs.

Christophe Benavent

Christophe Benavent

Professeur à Paris Ouest, Christophe Benavent enseigne la stratégie et le marketing. Il dirige le Master Marketing opérationnel international.

Il est directeur du pôle digital de l'ObSoCo.

Il dirige l'Ecole doctorale Economie, Organisation et Société de Nanterre, ainsi que le Master Management des organisations et des politiques publiques.

 

Le dernier ouvrage de Christophe Benavent, Plateformes - Sites collaboratifs, marketplaces, réseaux sociaux : comment ils influencent nos Choix, est paru en mai  2016 (FYP editions). 

 
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Atlantico : Les Français consommeront moins pour les soldes de janvier 2015. Dans quelle mesure ce résultat est-il imputable à la crise économique, et à nos comportements de consommateur ?

Christophe Benavent : D'abord rien de certain dans ce chiffre que certains estimaient à 234 en 2013. Il indique simplement une intention, et il n'est pas certain qu'il soit véritablement en baisse. En revanche l'enquête semble signaler une intention de dépenser moins et à minima, ont simplement une attitude moins favorable à cette période commerciale.

Quelles en sont les raisons ? Plusieurs d'entre elles sont à prendre en compte. La première relève probablement de la stagnation du pouvoir d'achat depuis 2007 qui va de pair avec une stagnation en volume de la consommation globale. Une seconde raison est relative à une évolution de la structure de la consommation : alors que les soldes concernent en premier lieu le textile, il apparait que c'est un poste en diminution depuis 2006, c'est à dire avant le déclenchement de la crise financière. La raison ne serait pas économique mais culturelle. On peut imaginer que la valeur symbolique des marques textiles se réduise au profit d'autres marqueurs sociaux. L'accroissement considérable et continu des dépenses dans le domaine des produits électroniques (TV, smartphone, tablette et ordinateur) compensent d'une certaine manière cette désaffection. Une troisième raison est une évolution sensible de l'offre temporelle du commerce. Par exemple une marque telle que Zara a abandonné depuis longtemps le rituel des saisons qui donne une raison d'être aux soldes saisonnière, pour favoriser une introduction continue de nouveaux produits. De manière plus générale, la pratique des promotions devient continue dans le temps. On comprendra facilement que l'attrait des soldes saisonnières se réduise. Une quatrième raison, difficilement mesurable encore, appartient sans doute à l'émergence de modes de consommation alternative : le prêt, la réparation, les biens de seconde main, la revente des cadeaux concurrencent sur le marché de l'aubaine les soldes traditionnelles.

De manière générale, que peut-on dire sur la consommation des ménages français depuis la crise ? 

Les français ne consomment pas moins. Si l'on prend les données mensuelles de l'Insee (corrigée des variations saisonnières et de l'inflation), le volume de consommation de produits manufacturés (hors produits pétroliers) est de l'ordre de 36,5 milliards mensuels. Il est stationnaire depuis juin 2007, c'est à dire un peu avant l'apparition de la crise financière. Depuis décembre 2012 ce chiffre est en légère hausse. De manière globale, puisque le taux d'épargne est stable, c'est à la stagnation des revenus qu'il faut l'attribuer. Il est également nécessaire de s'interroger sur les inégalités. On sait que sur cette période les 10% qui gagnent le moins ont connu une baisse de leur pouvoir d'achat (de l'ordre de 4 à 8% sur 5 ans), que les revenus médians n'ont pas bougé, tandis que le pouvoir d'achat s'est accru nettement pour les 10% et surtout les 1% les plus riches.

Hors ceux qui consomment ne sont pas les plus riches, l'accroissement de leur revenus va plutôt à l'épargne. Une hausse de la consommation sensible ne pourrait se réaliser que si les plus modeste (disons les 2/3 des français), connaissaient un gain de revenu suffisamment élevé pour aller au-delà de la reconstitution de leur épargne qui a été entamée (pour les plus pauvres) afin de maintenir la consommation ordinaire. Malheureusement on ne dispose pas de statistiques fine (éclatement par décile de revenu) pour être plus précis dans l'analyse. Un second problème est la question des arbitrages. Manifestement une priorité est donnée aux dépenses de santé et d'électroniques. Pour ce dernier poste c'est au détriment des biens culturels et de loisirs, mais aussi du textile. On en comprend parfaitement la logique : les produits électroniques sont des instruments qui permettent de consommer gratuitement d'autres biens hédoniques (musiques, cinémas, livres, journaux) mais aussi de disposer de de marqueurs symboliques : un smartphone est aussi efficace que des vêtements de marques dans la construction de l'identité apparente.

Les changements démographiques ont modifié le modèle familial. De familles traditionnelles avec deux parents et deux enfants, la famille a désormais le visage d’une mère seule éduquant ses enfants. Par ailleurs, la société contient plus de célibataires que de couples. Cela amène-t-il des changements dans la manière de consommer ?

Oui à l'évidence. C'est un élément qui joue sur la manière d'acheter : on préfère le supermarché à l'hypermarché par exemple, cela favorise le snacking contre des repas complets, des packagings unitaires plutôt que familiaux, cela encourage la consommation de produit et de services de communication. Pour ce qui est du visage de la famille, soyons plus prudent : la famille a désormais plusieurs visages et surtout ne s'identifie pas obligatoirement au foyer. La mère seule qui élève sont enfant reçoit l'aide des grands parents, et l'enfant passe du temps non seulement chez lui mais aussi chez ses grands-parents. Sans compter le modèles des familles recomposées qui s'organisent sur deux voire trois lieux d'habitation (foyers), ou les retraités aisés qui partagent leur vie entre le domicile principal et une résidence secondaire. On peut ainsi faire l'hypothèse d'un élargissement spatial de la consommation.

La réduction du budget pour les soldes est-il la conséquence du fait que des réductions sont régulièrement proposées sur internet ? Quel est l'impact d'une diminution de la consommation en période de soldes pour les entreprises ? 

J'ai évoqué le cas de Zara. Les conséquences sont un changement de mode de gestion. Les soldes étaient pour les commerces fonctionnant avec un rythme saisonnier (celui de la mode ou des rituels sociaux de consommation comme noël), le moyen de reconstituer une trésorerie et de réaliser les profits en liquidant le stock (espérons pour eux déjà payés). Désormais c'est une gestion à flux tendu, où les nouveaux produits sont introduits de manière continue et les promotions pratiquées de manière constante pour animer les rayons. Cela est plus complexe, nécessite une grande finesse commerciale, fait de la fidélisation un impératif et de l'utilisation des systèmes de gestion de la relation client un impératif vital. En résumé le management à flux tendu qui s'est emparé de l'appareil productif à la fin du vingtième siècle, s'impose désormais à l'ensemble du commerce.

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