Très chers ambassadeurs "people" : cette très embarrassante course entre les agences onusiennes pour récupérer la star la plus glamour<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Très chers ambassadeurs "people" : cette très embarrassante course entre les agences onusiennes pour récupérer la star la plus glamour
©Reuters

Bonnes feuilles

Pour la première fois, une enquête inédite brise l’omerta qui règne au cœur d’une organisation moins vertueuse qu’elle le proclame : l’ONU. Au terme d’un long travail d’investigation, la journaliste Pauline Liétar en dévoile les pratiques hallucinantes… et courantes : les soutiens politiques s’achètent, les gaspillages sont légion. Extrait du livre "ONU, la grande imposture", de Pauline Liétar, aux éditions Albin Michel (1/2).

Pauline Liétar

Pauline Liétar

Pauline Liétar est journaliste. Elle a commencé son parcours dans la presse écrite et a ensuite réalisé de nombreux reportages et enquêtes pour différentes émissions comme Envoyé Spécial, Spécial Investigation, Sept à Huit. Son documentaire sur « L’argent de l’ONU » a été réalisé pour Canal+.

Voir la bio »

Des ambassadeurs difficiles à gérer

Parmi les 182 ambassadeurs des agences et programmes de l’ONU, certains sont dormants, c’est‑à-dire… pas très actifs. Comme Barbara Hendricks, la plus ancienne ambassadrice du HCR, nommée en 1987 puis désignée ambassadrice honoraire à vie en 2002. « Tant que je vivrai, déclarait-elle, le HCR pourra compter sur moi, et je pourrai compter sur lui[1]. » « Mais là, elle ne fait presque plus rien », témoigne un employé. Elle a participé à deux événements en 2015 ; depuis, difficile de savoir quelles ont été ses activités.

Le comportement doit être scruté à la loupe tout au long du mandat. Pendant plusieurs mois, la joueuse de tennis russe Maria Sharapova a ainsi été privée de son titre d’ambassadrice de l’ONU après avoir été suspendue par la Fédération internationale de tennis pour dopage.

Mais les mascottes sont beaucoup trop nombreuses pour que toutes soient rigoureusement surveillées.

Ainsi en 2013, la chanteuse bimbo Christina Aguilera s’est attiré les moqueries quand elle a voyagé au Rwanda pour le compte du Programme alimentaire mondial. Naïvement, elle s’est dite heureuse d’aider un peuple qui souffre. « Les gens du Rwanda m’ont touchée d’une manière que je ne peux pas exprimer ou dire en mots. […] En tant que mère, savoir qu’il y a des enfants qui vont au lit sans manger, c’est inacceptable. […] Ils ont besoin de notre aide, et je suis fière du travail que nous faisons là-bas[2]. » Convaincue que son statut de star américaine était utile à un pays qui connaît une forte croissance.

En plus, son voyage a été couvert par le magazine People qui vantait le courage de la star d’aller dans un « pays déchiré par la guerre »… Alors que la guerre civile y était terminée depuis vingt ans.

Avec les ambassadeurs people, « la difficulté, c’est qu’on peut perdre le contrôle à tout moment », pointe Mark Wheeler, de la London Metropolitan University, qui a écrit sur les rapports entre célébrité et diplomatie. « Le people en question peut nuire à la cause, comme quand [la chanteuse] Geri Halliwell, à qui on avait fait appel pour parler des maladies sexuellement transmissibles, a fini par dire n’importe quoi[3]. »

Et aussi à embarrasser des dignitaires étrangers qui la recevaient. Ainsi en 2009, en visite au Népal, la rousse incendiaire, connue grâce au groupe Spice girls et ses tenues sexy, ne s’encombre pas des formalités et embrasse le très prude Premier ministre. Au-delà des traditions culturelles et du protocole, son geste a choqué aussi parce qu’elle venait justement faire la promotion de mesures d’hygiène pour éviter la grippe A. « Embrasser et prendre dans les bras un étranger, ce n’est pas exactement le bon moyen pour faire de la prévention », note un invité, présent à la réception. Qu’importe, Geri Halliwell a trouvé le Premier ministre népalais « vraiment cool ». « Ma présence, continue-t‑elle, apparemment lui a donné la confiance nécessaire pour parler des violences faites aux femmes. Parce qu’il y avait une présence occidentale[4]. » La chanteuse du girls band a peut-être donné un peu trop d’importance à son rôle. La campagne de prévention contre les violences domestiques était prévue de longue date !

Des égéries qui coûtent cher

Si, bien sûr, il n’y a pas de compensation financière pour les people et que ceux-ci font en plus souvent des dons, leurs activités génèrent quand même des frais pour l’organisation de conférences, de voyages, voire la fabrication de goodies…

« Il y a une course entre les agences onusiennes. À qui aura la star la plus glamour et à qui aura les plus beaux tee-shirts », commente Kilian Kleinschmidt. Il faut transporter les photographes pour couvrir l’opération, donner des sacs et des casquettes à tout le monde, loger les équipes… Bref, des coûts dignes d’un séminaire.

Le Guardian a dévoilé dans une enquête que le sommet de Londres organisé en 2014 par Angelina Jolie pour lutter contre les viols dans les zones de conflits avait coûté plus de 7 millions d’euros, soit cinq fois le budget que le Royaume-Uni dédie chaque année à cette lutte. Pour ce sommet, 1 700 délégués de 123 pays ont été invités à Londres. Des ministres des Affaires étrangères, des juristes, des policiers… Et le détail des frais laisse pantois : 417 000 euros ont été dépensés pour l’alimentation et 800 000 euros pour les hôtels, les transports et taxis, soit l’équivalent de l’aide totale promise à la République démocratique du Congo.

Pour un résultat inexistant puisque, selon l’enquête, ces dépenses n’ont eu aucun impact sur le terrain, où le nombre de victimes de viols n’a cessé de croître. Pire même, aujourd’hui les associations locales manquent cruellement d’argent pour soigner les femmes victimes de violences sexuelles et faire reconnaître leurs droits à une indemnisation ; notamment à Minova, dans l’est de la République démocratique du Congo. Elles auraient certainement fait bon usage de ces 7 millions d’euros.

Quel impact ?

Marissa Buckanoff, chef du programme Relations avec les célébrités à l’Unicef, estime que la couverture médiatique, l’intérêt des médias sociaux et les fonds récoltés offrent de bons indices. « C’est très rentable : nous n’atteindrions jamais les chiffres que nous atteignons sans leur aide[5] », a-t‑elle dit. Mais difficile pour les Nations unies d’évaluer précisément le retour sur investissement de ses ambassadeurs.

« Les ambassadeurs de bonne volonté, ce sont de super-outils de relations publiques. Ils font un très bon boulot même si beaucoup ne font plus grand-chose. Quand ils vont dans un pays, ils permettent d’augmenter la visibilité de l’ONU. Et quand ils font des discours dans les pays sous-développés, cela touche la population. Le concept général est bon. Ce sont des gens dont l’image vaut très cher et on trouve un arrangement intéressant et à bas prix avec eux », se réjouit un haut fonctionnaire.

Une opération jugée efficace en interne : le recrutement de Daniel Craig, qui incarne James Bond comme premier mandataire mondial des Nations unies pour l’élimination des mines et engins explosifs. « En tant que 007, M. Craig avait l’autorisation de tuer ; aujourd’hui, nous lui donnons l’autorisation de sauver des vies[6] », a déclaré Ban Ki-moon, tout sourire. « Le recrutement de James Bond, c’est un bel outil de levée de fonds, ça a pas mal fait parler de la cause. Et puis c’était sympa en interne pour les employés », témoigne un spécialiste.

Le seul rapport global existant sur l’efficacité de l’utilisation de ces collaborateurs particuliers date de 2006. Les inspecteurs du Corps commun d’inspection – un organisme de surveillance indépendant et externe aux Nations unies –, chargés d’évaluer le programme, ont constaté qu’il y avait trop d’ambassadeurs. Ils ont recommandé « une rationalisation » et une limitation de leurs activités à une durée de deux ans « renouvelable sous réserve d’une évaluation finale positive du travail réalisé ». Le rapport recommande également que les intéressés financent une plus grande partie de leurs voyages. Des frais la plupart du temps tout à fait dérisoires pour les célébrités concernées.

Mais certains ambassadeurs ne seraient pas de si bonne volonté que ça. Ils auraient même carrément des oursins dans les poches.

Depuis 2005, le footballeur David Beckham arpente le monde sous le drapeau de l’Unicef, l’agence de l’ONU dédiée à l’enfance. Régulièrement, il est pris en photo, jouant au foot avec des enfants pauvres, se construisant ainsi la réputation d’une star généreuse et altruiste. Mais en février 2017, dans le cadre des Football Leaks, une enquête de Mediapart[7] écorne la belle image. Selon les informations du site Internet, le millionnaire du ballon rond aurait refusé de donner de l’argent à son propre fonds, le Fonds 7, au numéro de son célèbre maillot, lancé avec l’Unicef. « Je n’ai pas envie de verser mon argent personnel pour cette cause », aurait-il écrit à Simon Oliveira, un proche en charge de ses intérêts. Celui-ci lui aurait alors proposé de participer à la place à un événement caritatif, payé un million d’euros, qui serait ensuite reversé sur ce fonds. « Verser ce million sur le fonds, c’est comme mettre mon propre argent. S’il n’y avait pas ce fonds, l’argent serait pour moi. Ce putain d’argent est à moi », aurait répondu David Beckham.

Pire, selon l’enquête, il aurait même tenté d’abuser l’Unicef en essayant de se faire défrayer des déplacements déjà payés. Même si elle conteste cette présentation, lors de sa tournée en Asie la star aurait demandé à l’Unicef le remboursement de son trajet en avion à 8 000 euros, pour une mission au Cambodge, à laquelle David Beckham n’a pas assisté. Or l’aller-retour en jet privé était déjà financé par ses sponsors. « Il a voyagé en jet privé et le Fonds n’a pas à payer pour un billet qu’il n’a pas pris », aurait répliqué l’Unicef.

Le 4 février 2017, l’Unicef a tout de même pris la défense du footballeur, rappelant à quel point l’organisation était fière de le compter parmi ses ambassadeurs. « En plus de donner généreusement de son temps, de son énergie et son soutien pour aider le travail auprès des enfants, David a également fait des dons significatifs à titre personnel. »

Le joueur a en outre répliqué via son porte-parole. « David a soutenu l’Unicef et plusieurs autres organisations caritatives pendant de nombreuses années, y compris en donnant l’intégralité de ses salaires lorsqu’il jouait au PSG. » La tentation de la com – et du storytelling – a la vie dure. Et à l’ONU, s’il y a quelque chose que l’on redoute plus que tout, ce sont les scandales qui mettent en péril l’image de l’organisation et de ses agences.



[1]Sur le site unhcr.org.

[2]People Magazine, 25 septembre 2013.

[3]irinnews.org, 28 octobre 2013.

[4]The Guardian, 25 septembre 2009.

[5]irinnews.org, 28 octobre 2013.

[6]New York, le 14 avril 2015.

[7]Du 3 février 2017.

Extrait du livre "ONU, la grande imposture", de Pauline Liétar, aux éditions Albin Michel

© Albin Michel

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !