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Travaille-t-on moins en France qu’ailleurs ? Une clarification
©mari matsuri / AFP

Explications

La problématique à résoudre par la France est beaucoup moins une insuffisance d’heures de travail par personne employée, puisque celles-ci sont même supérieures à celles observées en Allemagne, qu’un taux d’emploi beaucoup trop réduit de la population en âge de travailler.

Eric Dor

Eric Dor

Eric Dor est docteur en sciences économiques. Il est directeur des études économiques à l'IESEG School of Management qui a des campus à Paris et Lille. Ses travaux portent sur la macroéconomie monétaire et financière, ainsi que sur l'analyse conjoncturelle et l'économie internationale

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Dès l’abord, il convient de préciser ce dont on parle. La quantité de travail fournie par une population dépend de plusieurs facteurs. Il y a d’abord le taux d’emploi de la population en âge de travailler, qui dépend du taux d’activité et du taux de chômage. Ensuite, il y a la quantité d’heures prestées par ceux qui ont un emploi. Il convient également d’examiner l’efficacité des heures ainsi prestées, et donc de mesurer la productivité du travail. Cette note mesure précisément toutes ces propriétés du marché du travail en France et les compare avec les autres pays européens. Des données très récentes sont systématiquement utilisées.

Le taux d’emploi

D’abord, il y a le taux d’emploi, c’est-à-dire le pourcentage de la population en âge de travailler qui a effectivement un emploi. Ce taux d’emploi dépend lui-même du taux d’activité et du taux de chômage.

Le taux d’activité est le pourcentage de la population en âge de travailler qui souhaite réellement travailler et est disponible. Pour les jeunes de 15 à 23 ans, par exemple, le taux d’activité est assez réduit car beaucoup d’entre eux préfèrent poursuivre des études plutôt que travailler. La population en âge de travailler qui souhaite réellement travailler, et est disponible, est la population active. Le taux d’activité est ainsi la population active en pourcentage de la population en âge de travailler.

Le taux de chômage est le pourcentage de la population active qui est sans emploi.

Le taux d’emploi est ainsi déterminé par cette identité :

Taux d’emploi = taux d’activité x (100% - taux de chômage)

Le taux d’emploi détermine ainsi, pour une population donnée en âge de travailler, combien de personnes travaillent. Ces personnes en emploi peuvent avoir un statut de salarié ou d’indépendant. Pour chacun de ces statuts, elles peuvent être à temps plein ou à temps partiel.

Les données de l’enquête sur la force de travail, réalisée dans tous les pays de l’Union Européenne, permettent de mesurer ces concepts. La population en âge de travailler est définie par l’OIT comme celle âgée de 15 à 64 ans. En France, en 2018, il y avait en moyenne 40 924 milliers de personnes en âge de travailler d’après cette définition. La population active de 15 à 64 ans était en moyenne de 29 437,9 milliers de personnes. Le taux d’activité était ainsi de 71,93%. La population active de 15 à 64 ans se répartissait en milliers de personnes entre 26 744,5 en emploi et 2 693,4 au chômage. Le taux d’emploi en France était ainsi de 65,35% en 2018 pour la population âgée de 15 à 64 ans.

On avait bien

ou encore

65,35% = 71,93% x (100% - 9,15%)

Comment la France se compare-t-elle aux autres pays de l’Union Européenne du point de vue du taux d’emploi ? Le taux d’emploi en France est très inférieur à la moyenne de l’Union Européenne, qui est de 68,6%, ou de la zone euro, qui est de 67,4%. Le taux d’emploi en France est aussi très inférieur à celui de l’Allemagne, qui est de 75,9%.

Hors de l’Union Européenne, il faut remarquer que le taux d’emploi de la Suisse est de 80,1% !

Le taux d’activité

Le faible taux d’emploi de la France provient d’abord d’un taux d’activité relativement réduit, comparé aux autres pays de l’Union Européenne.

Le taux d’activité en France, 71,93%, est inférieur à la moyenne de l’Union Européenne, 73,7%, et de la zone euro, 73,5%. Il est aussi très inférieur à celui de l’Allemagne, 78,6%. En Suisse, le taux d’activité est de 84,2% !

C’est pour les classes d’âge de 15 à 19 ans et à partir de 60 ans que le taux d’activité en France est inférieur à la moyenne de l’Union Européenne et à celle de la zone euro. C’est à cause de ces classes d’âge que le taux d’activité global de 15 à 64 ans est inférieur en France aux moyennes de l’Union Européenne et de la zone euro.

C’est même pour les classes d’âge de 15 à 24 ans et à partir de 45 ans que le taux d’activité en France est inférieur à celui de l’Allemagne.

Taux d’activité par classes d’âge

France

Allemagne

Union européenne

Zone euro

15 à 19

14,4

29,1

20,4

19,4

20 à 24

63,6

69,7

62,0

60,5

25 à 29

85,7

83,5

82,5

81,8

30 à 34

86,9

86,5

85,8

86,0

35 à 39

88,5

88,0

87,2

87,2

40 à 44

89,4

89,4

88,2

87,8

45 à 49

89,3

90,0

87,2

86,9

50 à 54

86

88,3

84

83,9

55 à 59

77,2

83,0

75,8

76,3

60 à 64

33,5

62,4

46,9

47,1

au moins 65

3,1

7,5

6,2

5,3

Certains pays comme l’Allemagne arrivent mieux à former une partie des jeunes par le biais d’une intégration au marché du travail qui a lieu très tôt. Il semblerait également que beaucoup de travailleurs partent à la retraite relativement tôt en France, comparée aux autres pays européens.

Le taux de chômage

Le taux d’emploi en France est également déprimé par un taux de chômage supérieur à la moyenne de l’Union Européenne.

Le taux de chômage en Allemagne est inférieur à celui observé en France pour toutes les classes d’âge. La différence avec l’Allemagne est particulièrement forte pour les jeunes de 15 à 29 ans. Le taux de chômage en France est également supérieur à la moyenne de l’Union Européenne pour toutes les classes d’âge.

taux de chômage par classes d’âge en 2018

pourcentage de la population active

France

Allemagne

Union européenne

Zone euro

15 à 19

25,9

7,5

19,1

19,0

20 à 24

19,5

5,7

14,0

16,3

25 à 29

12,6

4,6

9,2

11,4

30 à 34

8,8

3,9

6,9

8,6

35 à 39

8,0

3,5

6,2

7,6

40 à 44

7,3

2,9

5,7

7,2

45 à 49

6,5

2,6

5,5

6,7

50 à 54

6,3

2,4

5,2

6,2

55 à 59

6,6

2,6

5,2

6,2

60 à 64

7,5

3,3

5,2

6,2

                                   Données Eurostat

La combinaison de ces propriétés du taux d’activité et du taux de chômage implique que le taux d’emploi en France est inférieur à la moyenne de l’Union Européenne pour les classes d’âge de 15 à 39 ans, et à partir de 60 ans. Pour toutes les classes d’âge, le taux d’emploi en France est inférieur à celui de l’Allemagne.

taux d’emploi par classe d’âge

pourcentage de la population

France

Allemagne

Union européenne

15 à 19 ans

11

29

17

20 à 24 ans

52

67

54

25 à 29 ans

75

80

75

30 à 34 ans

79

84

80

35 à 39 ans

81

86

82

40 à 44 ans

83

87

83

45 à 49 ans

83

87

83

50 à 54 ans

80

87

80

55 à 59 ans

72

82

72

60 à 64 ans

32

62

45

65 ans ou plus

3

8

6

                                            données Eurostat

Quantité d’heures travaillées par les personnes en emploi

Ensuite, il y a la quantité d’heures travaillées par ceux qui ont un emploi.

D’après l’INSEE, sur base de l’enquête emploi, la durée annuelle moyenne effective de travail des salariés à temps complet a été de 1678,9 heures en 2018 en France. En moyenne, un salarié à temps complet a travaillé 216 jours en 2018 en France. La durée annuelle moyenne de travail des salariés à temps partiel a été de 985 heures en 2018 en France. Au total, en France, les salariés à temps complet ou partiel ont presté une moyenne de 1549 heures en 2018. De leur côté, en moyenne, les indépendants ont travaillé 2065,3 heures en 2018 en France. Ceux à temps complet ont travaillé 2300 heures en moyenne, et ceux à temps partiel ont presté 851 heures. Les données de cette enquête de 2003 à 2018 sont publiées par la DARES.

En Allemagne, d’après l'Institut für Arbeitsmarkt und Berufsforschung, IAB, de l’agence fédérale de l’emploi, la durée annuelle moyenne de travail des salariés à temps complet a été de 1647,3 heures en 2018. Les salariés à temps partiel ont presté en moyenne 727,7 heures en 2018 en Allemagne. Au total, les salariés à temps complet ou partiel ont presté une moyenne de 1287,4 heures en Allemagne en 2018. Les indépendants, quant à eux, à temps plein ou à temps partiel, ont travaillé en moyenne pendant 1915 heures en 2018 en Allemagne.

D’après ces données, la durée annuelle moyenne de travail des salariés à temps complet est à peu près la même en France et en Allemagne. Pour les salariés à temps partiel, la durée annuelle moyenne de travail en France est bien supérieure à celle observée en Allemagne. La durée annuelle moyenne de travail des indépendants en France est également très supérieure à celle observée en Allemagne.

En ce qui concerne les travailleurs salariés à temps plein, ces résultats peuvent sembler contradictoires avec ceux de la publication de Rexecode de 2016, sur la durée du travail comparée en Allemagne et en France jusqu’en 2015. Cette publication comparait les durées annuelles du travail des salariés à temps complet de l’enquête emploi de l’INSEE pour la France, et celles publiées à l’époque par Eurostat sur base de l’enquête sur la force de travail pour l’Allemagne. Ces données de l’enquête sur la force de travail indiquaient une durée annuelle moyenne du travail des salariés en Allemagne très supérieure à celle estimée par l’IAB. Il en résultait que la durée annuelle moyenne du travail des salariés à temps complet en Allemagne ainsi estimée était supérieure à celle de la France. Il y a toutefois un problème de fiabilité de ces données. Normalement, l’enquête sur la force de travail réalisée en Allemagne doit être cohérente avec l’enquête emploi de l’INSEE pour la France. Cependant, une excellente publication de l’INSEE, en 2016, a mis en garde contre la grande fragilité d’une comparaison directe de ces données, et expliquait pourquoi le mode d’administration du questionnaire en Allemagne conduisait à y soupçonner une surestimation de la durée du travail. Il est utile de remarquer qu’Eurostat a depuis abandonné la publication de ces estimations de la durée annuelle moyenne du travail pour les salariés à temps complet sur base de l’enquête sur les forces de travail.

Estimation de la durée annuelle moyenne du travail des salariés à temps complet en heures

France

Allemagne

Insee enquête emploi

IAB

Eurostat enquête force de travail

2018

1 679

1 647,3 

2017

1 690

1 643,7 

2016

1 691

1 643,9 

2015

1 651

1 652,4 

1845

2014

1 663

1 650,7 

1849

2013

1 664

1 645,3 

1847

2012

1 681

1 655,3 

1862

2011

1 683

1 677,5 

1885

2010

1 680

1 663,5 

1903

2009

1 641

1 635,8 

2008

1 673

1 686,8 

2007

1 659

1 693,1 

2006

1 661

1 692,2 

2005

1 661

1 662,6 

2004

1 632

1 673,3 

2003

1 621

1 658,8 

Indépendamment des enquêtes et avec d’autres méthodologies, les comptes nationaux fournissent également des données qui permettent de calculer des estimations de la durée annuelle du travail pour l’ensemble des salariés, sans distinguer ceux à temps complet et ceux à temps partiel, et pour les indépendants.

Ces données des comptes nationaux impliquent que la durée annuelle moyenne du travail des salariés, en mélangeant ceux à temps complet et à temps partiel, a été de 1429 heures en France et 1305 heures en Allemagne en 2018. Pour la France c’est moins que les estimations de l’INSEE qui indiquent 1549 heures. Cette différence de résultats, due aux disparités méthodologiques entre les enquêtes et les comptes nationaux, est bien connue. Par contre pour l’Allemagne cette estimation est très proche de celle de l’IAB, 1287,4 heures.

De toute manière, ces résultats issus des comptes nationaux confirment qu’en agrégeant les travailleurs à temps partiel et ceux à temps plein, la durée annuelle moyenne du travail des salariés en Allemagne est inférieure à celle observée en France. Ce résultat est d’abord dû à un recours moins intensif au temps partiel en France qu’en Allemagne. L’autre cause est la durée annuelle du travail des salariés à temps partiel qui est inférieure en Allemagne qu’en France.

La proportion de salariés qui est à temps partiel en France est de 18,76%, inférieure à la moyenne de l’Union Européenne qui est de 20.26%, et surtout à celle de l’Allemagne, 28,76%.

Si les salariés prestent en moyenne davantage d’heures par an en France qu’en Allemagne, cela reste cependant inférieur à la plupart des autres pays de l’Union Européenne.

La durée annuelle moyenne du travail estimée par les comptes nationaux pour les indépendants en France est de 2324 heures en 2018, supérieure à celle en Allemagne, 1915 heures, et à la moyenne de l’Union Européenne, qui est de 1987 heures.

Au total, les données des comptes nationaux impliquent une durée annuelle moyenne du travail estimée de 1520 heures en France, et 1362 heures en Allemagne en 2018, pour l’ensemble des salariés et des indépendants, qu’ils soient à temps complet ou à temps partiel. La moyenne de l’Union Européenne a été de 1631 heures.

C’est en Allemagne que la quantité moyenne d’heures prestée par personne au travail est la moins grande de toute l’Union Européenne, à cause d’un recours massif au temps partiel. Si cette quantité d’heures est supérieure en France à celle de l’Allemagne, elle reste cependant inférieure à celle de la plupart des autres pays de l’Union Européenne.

Il est utile de diviser le volume annuel total d’heures de travail prestées par la population. Cela permet de dé  terminer le volume annuel d’heures sur le produit desquelles chaque résident d’un pays peut compter en moyenne pour assurer son niveau de revenu. On observe que le volume d’heures travaillées par résident en France est inférieur à celui de tous les autres pays de l’Union Européenne en 2018.

Ces calculs permettent de prendre la mesure du défi pour la prospérité du pays. En France, il faut subvenir à la prospérité matérielle annuelle moyenne d’un résident avec le produit de 635 heures de travail, contre 729 heures en Allemagne, ou 863 heures en moyenne dans l’Union Européenne.

Pour avoir un bon niveau de prospérité moyenne, la France est donc obligée d’avoir une forte productivité du travail.

Une des raisons du faible volume d’heures travaillées par résident en France est que la part de la population en âge de travailler dans la population totale y est la moins grande de toute l’Union Européenne.

C’est surtout dû à la part des jeunes de moins de 15 ans dans la population, qui est supérieure en France à celle de presque tous les autres pays de l’Union Européenne, dont la moyenne est 15,56%.

La part de la population d’au moins 65 ans est également assez forte en France mais très légèrement inférieure à la moyenne européenne, qui est de 19,73%.

L’autre cause du volume d’heures travaillées par résident très réduit en France, est le taux d’emploi de la population en âge de travailler, qui est inférieur à celui de la plupart des autres pays de l’Union Européenne.

La productivité du travail

Il est conventionnel de mesurer la productivité du travail par le quotient de la valeur ajoutée brute en euros aux heures prestées. On obtient ainsi une productivité horaire. Cependant, telles quelles, il est difficile de les comparer entre pays, car les niveaux de prix y sont différents. Il convient donc d’exprimer les valeurs ajoutées brutes en unités de parité de pouvoir d’achat.

Tous secteurs confondus, la productivité du travail est plutôt forte en France. Sur 28 pays, elle est supérieure à celle de 21 pays de l’Union Européenne. Elle est toutefois très légèrement inférieure à celle de l’Allemagne.

Pour le secteur manufacturier, la productivité du travail en France est bien inférieure à celle de l’Allemagne. Une partie de l’explication est à trouver dans un niveau de gamme moyen des produits qui est supérieur en Allemagne, avec donc une meilleure valeur ajoutée.

Il y a toutefois des secteurs où la France excelle et a une productivité supérieure à celle de l’Allemagne. C’est le cas des services d’hébergement et restauration.

La productivité du travail en France est également supérieure à celle de l’Allemagne pour l’industrie alimentaire.

La problématique à résoudre par la France est beaucoup moins une insuffisance d’heures de travail par personne employée, puisque celles-ci sont même supérieures à celles observées en Allemagne, qu’un taux d’emploi beaucoup trop réduit de la population en âge de travailler. Bien sûr, même s’il supérieur à celui de l’Allemagne, le volume d’heures prestée par personne au travail en France est inférieur à celui de 23 autres pays de l’Union européenne. C’est cependant assez bien compensé par une meilleure productivité en France que dans ces pays. Les gros problèmes de la France sont surtout la participation trop réduite de la population en âge de travailler au marché de l’emploi, et un taux de chômage trop grand de la population active. Comme la part de la population en âge de travailler est relativement réduite en France, tout cela se conjugue pour impliquer une masse d’heures travaillées par résident qui est inférieure en France à celle de tous les autres pays de l’Union européenne.

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