Transport maritime : le catastrophique naufrage des ports français<!-- --> | Atlantico.fr
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Le port du Havre en janvier 2021.
Le port du Havre en janvier 2021.
©Sameer Al-DOUMY / AFP

Transbordement

Depuis 2016, la France est passée derrière la Grèce, l’Allemagne, la Belgique ou le même l’Espagne en termes de nombre de conteneurs passés par les ports. Les raisons de cette faiblesse sont variées.

Paul Tourret

Paul Tourret

Paul Tourret est docteur en géographie et directeur de l'Institut Supérieur d'Economie Maritime (ISEMAR).

Cet observatoire des industries maritimes, localisé à Nantes Saint-Nazaire, offre au travers de son site internet de très nombreuses analyses sur l'économie maritime. Chaque année, l'ISEMAR participe à un ouvrage de référence publié par le Marin, l'Atlas des Enjeux Maritimes.

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Atlantico : Depuis 2016, la France est passée derrière la Grèce, l’Allemagne, la Belgique ou le même l’Espagne pour le nombre de conteneurs passés par les ports, bien que nous ayons l’une des façades maritimes les plus importantes d’Europe. Comment sommes-nous arrivés à une telle situation ?

Paul Tourret : Un marché portuaire est toujours composé d’une demande d’hinterland, mais il faut y ajouter l’activité de transbordement. Il s’agit pour de conteneurs qui arrivent dans un port et qui repartent directement. Si la Grèce est passée devant la France à ce propos, cela suit une certaine logique. Le pays compte six millions d’habitants or le port du Pirée est devenu le hub de transbordement de l’entreprise chinoise Cosco ce qui lui fait gagner quatre millions de containers.

Si l’on regarde qui fait du transbordement en Europe, il s’agit de la Grèce, Malte, l’Italie du Sud, l’Espagne, Rotterdam, Anvers et l’Allemagne du Nord. Qui n’en fait pas ? La France, la Grande-Bretagne et les pays scandinaves. Si l’on prend le port espagnol de Valence, il y transite 5 millions de conteneurs, 2 millions de conteneurs pour le marché domestiques et presque 3 millions de conteneurs de transbordement (1,5 million sur le quai et 1,5 million qui repartent).

La bonne santé des ports grecs et espagnols est due au transbordement alors que les ports néerlandais, belges ont des hinterlands plus larges que leur pays, le Nord-Ouest. Les ports allemands dominent l’Europe centrale. La performance portuaire des ports étrangers est alors valorisée par le transbordement international. En comparaison, Marseille ou Le Havre sont des ports uniquement nationaux…

Si l’on regarde le port français le plus emblématique : Le Havre. Il y a 3 millions de conteneurs qui y transitent, en fait il y n’y en a environ que 600 000 qui sont dus au transbordement. Il y a très peu de transbordement dans les ports français.

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Lorsque l’on analyse la performance des ports français on ne doit pas oublier qu’ils sont sans transbordement (nonobstant Le Havre) et qu’ils sont liés à une activité domestique. Si l’on reprend les chiffres de croissance des ports français depuis 10 ans, c’est 3% par an. Cela correspond à la croissance « démographico-économique » française. La croissance des ports est à l’aune de la performance française et il n’y a pas de phénomène de « survitamination » par rapport à des ports européens qui s’appuient sur des commerces extérieurs performants.

Nous avons donc un premier problème, il nous manque des conteneurs qui sont à Anvers. Une partie de l’Île-de-France, du bassin lyonnais et du Grand-Est utilise Anvers. Si les ports étrangers nous mangent déjà une part de marché sur le quart nord-est du pays, comment performer sur l’Allemagne ou la Suisse… (c’est néanmoins un objectif légitime). La performance est liée à la nature même de la géographie.

On a un dernier problème : la nature du commerce extérieur. La France a un commerce extérieur fort avec ses voisins, mais peu au grand international. À ce propos, il se limite aux alcools, aux produits agroalimentaires, au luxe et quelques produits industriels comme les pneus. Au final c’est autour de 1,7 million de conteneurs pleins. Les Italiens ont en comparaison 2,5 millions de conteneurs de plus parce qu’ils ont plus d’agro-alimentaires et de produits manufacturés exportes dans le monde.

De plus, à l’import, nous n’avons que 1,7 million de conteneurs, et ce n’est pas normal car les Italiens et les Espagnols ont les mêmes chiffres que nous alors qu’ils sont moins nombreux que nous. Cela confirme la concurrence portuaire européennes évoquée précédemment.

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En résumé, nous avons des ports sans transbordement, qui sont concurrencés par les ports adverses. Il manque des parts de marchés intérieurs alors que notre commerce extérieur océanique est plus faible.

Selon Eurostat le port du Havre est passé de la 10e à la 12e place européenne en termes de volumes de conteneurs et nous prévoyons de faire de la France le premier port d’Europe à l’horizon 2030 alors cet objectif est-il réalisable ?

Il faut déjà commencer par récupérer nos parts de marché intérieur avant d’essayer de conquérir l’Europe même si la Suisse est atteignable. Pourtant à terme il sera pour un certain nombre de raisons (impacts environnementaux, coûts de l’énergie), il sera plus intéressant d’aller à Marseille ou au Havre pour atteindre l’Allemagne du Sud. Mais, pour l’instant, il n’y a pas de perspectives positives pour les ports français qui permettent d’imaginer cette dimension européenne. Mais se donner des perspectives est une bonne chose. Il faut être pragmatique.

Que devons-nous faire pour redynamiser le secteur ?

Il nous manque à l’import comme à l’export une part du grand international qui est détourné sur Anvers. Pour le récupérer, il faut obtenir des meilleures performances, améliorer les capacités logistiques dans les ports et l’intermodalité fluviale et ferroviaire. C’est le cas depuis une décennie et les stratégies d’axe permettent de fortifier cela (axe Rhône, axe Seine, axe Nord). Le but des ports français ce n’est pas de devenir des leaders européens, mais de réussir à mieux maîtriser le marché national difficile et notamment le grand quart nord-est. Le combat français c’est d’abord récupérer les 800 000 à un million de conteneurs qui se trouvent à Anvers. Cela avance plutôt depuis 20 ans et le combat continue. Nous avons des ports qui ont envie de progresser, des acteurs de l’intermodalité engagée et des grands armateurs qui nous font confiance, etc. Il faut s'appuyer dessus.

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