Trafics, abus, voire travail forcé : quand la volonté de protéger les enfants migrants se retourne contre eux<!-- --> | Atlantico.fr
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Des migrants mineurs sauvés pendant leur traversée.
Des migrants mineurs sauvés pendant leur traversée.
©SAMEER AL-DOUMY / AFP

L'exploitation des enfants

C’est le cas aux Etats-Unis où la distinction entre adultes et mineurs a poussé nombre de ces derniers vers une forme d’exploitation économique. La situation en France et en Europe n’est pas loin d’y ressembler.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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Patrick Stefanini

Patrick Stefanini

Patrick Stefanini est un haut fonctionnaire français, membre du Conseil d'État et ancien directeur général des services de la région Île-de-France. Sa carrière se situe entre l'administration et la politique. Diplômé de l'ENA en 1979, il soutient Chirac avant de devenir un proche conseiller d'Alain Juppé lorsque ce dernier est entré à Matignon en 1995. Il s'est démarqué notamment lors de batailles électorales réputées difficiles ; il fut ainsi l'artisan de la victoire de Jacques Chirac à la présidentielle en 1995, de celle de Valérie Pécresse aux élections régionales de 2015, avant donc de conduire François Fillon à la victoire de la primaire, fin 2016. En mars 2017, il renonce à ses fonctions de directeur de campagne de François Fillon. Patrick Stefanini est directeur de campagne de Valérie Pécresse dans le cadre de l'élection présidentielle de 2022.

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Atlantico : Quelle est la politique vis-à-vis des mineurs isolés aux Etats-Unis ? Et dans quelle mesure est-elle contreproductive ?

Gérald Olivier : En anglais ces personnes sont désignées comme des "unaccompagnied minors", « mineurs non-accompagnés », une expression qui est tout sauf neutre car elle élude d’emblée la moitié du problème, à savoir que ce sont des immigrants clandestins, des personnes entrées illégalement sur le territoire américain. Parce qu’il s’agit de personnes de moins de 18 ans, on ne peut pas les renvoyer dans leur pays d’origine. Ils sont pris en charge non pas par les services d'immigration, mais par un organisme du ministère de la santé appelé l'Office de Réinstallation des Réfugiés (ORR). Ils sont accueillis dans des centres où des médecins et des assistants s'occupent d'eux et leur fournissent une aide de base. Ils sont nourris et logés tant qu'ils restent dans ces centres et on cherche à contacter des proches qu’ils pourraient avoir aux États-Unis. En l'absence de parents, on cherche à les placer dans des familles d'accueil que les Américains appellent des "sponsors". Cependant, le nombre croissant de ces mineurs non accompagnés a poussé les services de santé à devoir se débarrasser toujours plus vite, sans bien vérifier la nature et les intentions des « sponsors » ce qui a entraîné des abus et  l'exploitation de ces mineurs par certains sponsors qui les font travailler à leur profit..

Le problème est complexe car plusieurs ministères se chevauchent dans leurs responsabilités. Le ministère de la sécurité intérieure, appelé DHS, est chargé de contrôler la frontière et donc limiter l'immigration clandestine. Or sous Biden la frontière est devenue une passoire. Le chiffre des interpellations de de clandestins depuis janvier 2021 le démontre. Ce qui induit des pressions sur tous les services en aval.

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Ensuite, le département de la santé prend le relais dès que ces mineurs sont identifiés et interpellés.

Enfin, le département du travail est responsable de contrôler le travail des adolescents, qui est encadré par des lois strictes. Je rappelle que faire travailler des adolescents aux Etats-Unis est parfaitement légal. L’âge légal pour travailler est 14 ans, mais il est illégal de faire travailler des adolescents dans des travaux pénibles, dangereux, la nuit ou sur des horaires trop longs. Il revient donc au  département du travail de vérifier que les entreprises respectent la loi, ce qui n’est manifestement pas le cas, pour certains de ces mineurs isolés… Donc, oui, ces abus sont la conséquence perverse d’une politique à la fois laxiste et généreuse.

À quel point ce phénomène d'exploitation et d'abus est-il important ?

Gérald Olivier : Cette question est apparue subitement sur les radars de l'actualité le mois dernier lorsque le New York Times a publié une grande enquête sur le sujet. Tous les médias ont repris le sujet, privilégiant l’angle émotionnel, s’inquiétant des conditions de vie de ces mineurs – qui au passage ont pour 84% d’entre eux entre 13 et 17 ans et sont à 68% de sexe masculin -  , de la dureté de leur vie et du fait qu'ils ne vont pas à l'école…  

Cette situation est nouvelle sans l'être. Les passages clandestins de la frontière ne datent malheureusement pas de l'époque de Biden. Ils ont considérablement augmenté ces derniers temps du fait de la politique délibérée de l’administration démocrate favorable à des frontières ouvertes (« open border policy »).  Il y a toujours eu des mineurs  isolés parmi les immigrants clandestins. Simplement leur nombre a explosé avec le reste de l’immigration clandestine. Les chiffres ont été multipliés par 10 entre 2020 et 2022. En 2020 dernière année de la présidence Trump moins de 10 000 mineurs ont été interpellés à la frontière. En 2022 il y en a eu 130 000. Et ce chiffre pourrait monter jusqu’à 250 000.

Ce sont des chiffres effrayants qui illustrent que désormais ce phénomène est organisé et géré d’un bout à l’autre de la chaîne par des réseaux, y compris des réseaux mafieux. Lors d’audiences récentes devant le Congrès, une intervenante qui s’est occupé de ces jeunes pendant des années, a accusé l’administration américaine et un certain nombre d’ONGs d’être complices dans du trafic d’enfants.

Côté mexicain de la frontière le passage des mineurs est monnayé et comme les jeunes ne peuvent pas payer d’avance, ils s’engagent à rembourser ensuite en travaillant pour des personnes pre-désignées aux Etats-Unis. C’est une forme de servitude volontaire. Parfois ces jeunes sont envoyés aux Etats-Unis par leurs parents, avec pour mission de gagner de l’argent et de le leur renvoyer. Ils agissent en soutien de famille.

Côté américain de la frontière, des ONGs, officiellement soucieuses de venir en aide à ces personnes vulnérables et isolées, agissent en complices de ces réseaux mafieux car au mieux l’aide qu’elles apportent fonctionne comme un appel d’air, au pire elles profitent de subventions publiques diverses et s’enrichissent sciemment à partir de ces trafics d'enfants.

Dans quelle mesure la volonté d’être charitable se retrouve-t-elle contreproductive ?

Gérald Olivier : Encore une fois, la question de ces mineurs non accompagnés, est d’abord une question migratoire. Ces personnes sont certes mineures, mais ce sont aussi des immigrants clandestins. Le problème initial n'est donc pas la protection de l’enfance, mais la sécurité de la frontière.  En insistant sur l’aspect politique sociale, droit du travail, protection de l’enfance on oblitère – délibérément à mon avis- tout un pan du problème.

Sous la présidence de Donald Trump, la frontière était contrôlée et sécurisée, décourageant les gens de tenter d’entrer aux Etats-Unis. Tout cela a changé le jour où Joe Biden est entré à la Maison Blanche. Il a signifié que les demandeurs d’asile ne seraient plus automatiquement renvoyés chez eux, entraînant un afflux massif d'immigrants clandestins à travers la frontière sud des États-Unis. Ce sont des personnes qui viennent d’Amérique centrale mais pas seulement. On rencontre des personnes du Brésil, du Venezuela, de Haïti et même d'Asie et d’Afrique désormais. Ils viennent en avion ou bateau jusqu'au Mexique avec l’intention de traverser la frontière américaine à pied.

Pour l’administration Biden et les Démocrates cette politique n’est pas que charitable. Elle cache des intérêts idéologiques et politiques bcp plus terre à terre. Les Démocrates les plus radicaux veulent transformer la société américaine et réduire l’influence et la place de  l’ancienne majorité blanche d’origine européenne. Ils veulent une société multiculturelle et métissée. D’où le tapis de bienvenu déroulé pour ces populations bigarrées. Des clandestins pris en charge par des ONGs et des agences staffées de militants Démocrates ce sont des électeurs démocrates en puissance. Un jeune de 15 ans arrivé en 2020, peut potentiellement voter à la présidentielle de 2024, car il aura alors 18 ans. Et dans certains Etats, comme la Californie, il n’est plus nécessaire d’apporter la preuve de sa citoyenneté américaine pour se faire inscrire sur les listes électorales.

Et rappelons enfin que l’immigration clandestine fournit une main d’œuvre nombreuse, malléable, voire corvéable, qui maintient une pression à la baisse sur les salaires et profite au grand comme au petit capital. Les officines immigrationnistes sont souvent financées en sous main par Wall Street. C’est l’ironie suprême. Les radicaux de gauche qui se veulent anti-capitalistes sont les meilleurs alliés d’un capitalisme débridé par leurs positions immigrationnistes…  Le New York Times a beau jeu de dénoncer les entreprises qui exploitent le travail des mineurs, alors qu’il est complice de cette exploitation en soutenant la politique d’ouverture des frontières de l’administration. Il y a beaucoup d’hypocrisie dans ce débat.  

Aux Etats-Unis, la politique d’encadrement des mineurs migrants a favorisé les abus en tout genre et notamment le travail forcé. Qu’en est-il en France et en Europe ?

Patrick Stefanini : En France, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Au milieu des années 2000, nous avons vu arriver des mineurs étrangers isolés, désormais appelés "mineurs non accompagnés". Au départ, la France disposait d'un petit lieu d'accueil à Taverny, dans le Val-d'Oise, relativement proche de l’aéroport de Roissy, mais cela est rapidement devenu insuffisant. En 2007-2009, lorsque j'étais secrétaire général du ministère de l'immigration, nous avions déjà des problèmes de saturation de notre dispositif d'accueil. En liaison avec le ministère de la justice, nous avons entrepris de répartir ces mineurs dans différents centres en province afin de désengorger le centre d'accueil de Taverny. Depuis, le phénomène a pris une ampleur considérable et il y a désormais plus de 40 000 mineurs non accompagnés en France. Quand ils arrivent en France, la question se pose d'abord de savoir s'ils sont vraiment mineurs ou pas, car les obligations de la France et des départements en matière d'accueil diffèrent selon qu'il s'agit de mineurs ou de majeurs. Les mineurs sont à la charge des départements et bénéficient de l'aide sociale à l'enfance, alors que les majeurs peuvent être éloignés du territoire français s'ils sont en situation irrégulière. On a constaté qu'il existe de véritables filières qui ont pour objectif d'amener en France des mineurs pour que ces derniers, une fois installés et pris en charge par les départements, puissent faire venir des membres de leur famille. Et les mineurs avaient avec eux l’adresse à laquelle ils devaient s’adresser, fournie par les filières qui les emmenaient. Nous n’étions plus du tout dans le cas de mineurs fuyant la guerre ou des troubles dans leur pays. Les mineurs venaient au départ principalement de trois ou quatre pays africains : le Mali, la Guinée-Conakry notamment. La première problématique a été celle de la prise en charge financière de la détermination de leur âge, qui est à peu près résolue grâce à un dispositif de partage du fardeau mis en place par le gouvernement d'Édouard Philippe. Même s’il ne convient pas encore parfaitement aux départements, il les a soulagés un peu.

Le deuxième problème réside dans l'extension du phénomène à d'autres pays d'origine, notamment le Maghreb : une partie mineurs originaires du Maghreb sont maintenant victimes de véritables réseaux de prostitution ou de trafic de stupéfiants. Au cours des dernières années, la présence de mineurs originaires du Maghreb s'est accrue dans les trafics de drogue, et on observe parfois une forte addiction de ces jeunes à ces substances, en particulier en région parisienne.

Où en est-on actuellement ?

Patrick Stefanini : Il est évident que la situation ne s'est pas améliorée. Les départements sont souvent démunis, mais ils sont très attachés à leur mission d'aide sociale à l'enfance, et cela inclut les jeunes d'origine étrangère. Les présidents de conseils départementaux sont conscients de cette responsabilité et la prennent très à cœur, sans faire de distinction entre les situations familiales dramatiques des jeunes étrangers et celles des jeunes Français confiés à l'aide sociale à l'enfance. Bien qu'ils puissent protester contre les conditions financières de l'accueil de ces mineurs et le fait que l'État ne prend pas complètement en charge la phase initiale de leur séjour en France, ils ne remettent pas en cause leur responsabilité envers eux. Certains départements vont même au-delà de leurs obligations légales en accompagnant ces mineurs une fois qu'ils sont devenus majeurs.

Pour stopper l'immigration illégale, il est impératif de briser les filières, mais cela nécessite une collaboration étroite avec les pays d'origine. La France travaille activement avec plusieurs pays africains en envoyant des attachés de sécurité intérieure pour élaborer des politiques de coopération avec les autorités de ces pays dans le but de mettre fin aux filières.

Néanmoins, la question de l'expulsion des mineurs demeure problématique et la question qui doit se poser est la suivante : devons-nous continuer avec le tabou actuel sur la question ? Contrairement à certaines idées reçues, la législation européenne ne nous oblige pas à accueillir les mineurs. C’est bien la loi française, et elle seule, en particulier celle relative à l'entrée et au séjour des étrangers qui interdit expressément l'expulsion des mineurs et leur refoulement à la frontière. Toutefois, si le phénomène migratoire continue de s'accentuer, la question se pose de savoir si ce principe législatif doit continuer à être respecté. Cette question délicate, douloureuse, soulève des enjeux philosophiques et moraux liés à notre civilisation qui valorise la protection des plus faibles, qu'ils soient âgés ou jeunes.

Est-ce qu’au-delà de ça la leçon à tirer c'est que toute tentative d'accompagnement les mineurs non accompagnés ou d’accueil plus ouvert crée un appel d’air ?

Patrick Stefanini : Je ne vois pas les choses comme ça. Une stratégie efficace pour maîtriser les flux migratoires en France implique un strict contrôle de nos frontières extérieures, car l'éloignement des clandestins est difficile, notamment car les pays d'origine refusent souvent de délivrer des laissez-passer consulaires. Les mineurs non-accompagnés qui viennent en France proviennent souvent de pays d'Afrique francophone, en passant par l'Espagne et l'Italie, sans que ces pays ne fassent beaucoup d'efforts pour les retenir. Nous ferions bien de conforter nos relations avec nos voisins pour qu’ils en fassent plus dans le contrôle de leurs propres frontières. Il est donc primordial que la France mette en place un contrôle strict de ses frontières intérieures, ainsi que des politiques de coopération avec l'Espagne et l'Italie pour les aider à mieux contrôler leurs frontières extérieures. La crise de la COVID-19 a ralenti les flux migratoires en 2020 et 2021, mais ils ont battu tous les records en 2022 et sont attendus au même niveau en 2023. Il faut donc casser les filières de migration illégale et développer des relations de coopération avec les pays d'origine pour contrôler ces mouvements migratoires. Et pas forcément revoir à la baisse nos conditions d’accueil.

En termes de politique étrangère, les 10 dernières années, surtout les 5 dernières, ont été marquées par la détérioration de nos positions en Afrique, en grande partie en raison de raisons géopolitiques liées à la Chine et la Russie. De plus, la puissance de la France a diminué par rapport à il y a 30 ans, ce qui a entraîné une augmentation des réticences des pays d'origine à coopérer avec les autorités françaises. Pour maîtriser le problème de l'immigration, nous devons coopérer beaucoup plus étroitement avec les États d'origine pour briser les filières et empêcher le départ de mineurs. Nous devons également coopérer beaucoup plus intensément avec l'Italie et l'Espagne. Cependant, pour cela, il est important de ne pas mépriser le gouvernement italien et de mieux dialoguer avec le gouvernement espagnol. Ouvrir le débat sur l'expulsion des mineurs est un sujet complexe qui diviserait la société française. Nous devons plutôt nous concentrer sur la maîtrise de nos frontières extérieures et intérieures.

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