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Traditions : comment l’enfant est devenu le héros de Noël
©INA FASSBENDER / AFP

Bonnes feuilles

Martyne Perrot publie "Le cadeau de Noël, histoire d’une invention" aux éditions Autrement. Chaque hiver, les cadeaux de Noël foisonnent, hâtivement déballés, puis, parfois, revendus aussi vite. Martyne Perrot livre un récit minutieux de la naissance et de l’évolution de ces objets situés quelque part dans un interstice entre le rêve et le négoce. Extrait 2/2.

Martyne Perrot

Martyne Perrot

Chercheur au CNRS, sociologue et ethnologue, Martyne Perrot a étudié les mutations du monde rural, les objets migrants de la mondialisation et la fête de Noël dans ses multiples dimensions. Elle a publié notamment Les Mariées de l’île Maurice (Grasset, 1983), Paysage au pluriel (éd. MSH, en collab.) et Ethnologie de Noël (Grasset, 2000), Faire ses courses (2009) et Faut-il croire au Père Noël ? (2010).

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Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’enfant est devenu le héros de la fête de Noël et lui offrir des cadeaux, un devoir annuellement répété. On sacrifie pour lui plaire au rituel des courses, on invente des mises en scène sophistiquées pour ne pas le décevoir. 

Cette célébration de l’enfance et du merveilleux, sur fond de romantisme et de valorisation de la vie privée, a eu des retombées dont on a vu quels bénéfices en avait tiré le commerce. La charité en constitue l’autre versant. Très tôt, les enfants de la bourgeoisie sont entraînés à l’exercer. Un nouveau genre littéraire reflète ces préoccupations et joue un rôle pédagogique : les romans édifiants pour la jeunesse dont l’intrigue se déroule à Noël. Ces romans ont en commun de mettre tous en lumière les inégalités sociales et les contrastes entre richesse et pauvreté, affection et abandon, convivialité et solitude. 

Apparaissent alors deux mondes de l’enfance : celui du dedans, en pleine lumière dans la chaleur du foyer devant l’âtre ou au pied d’un sapin resplendissant ; et celui du dehors et de la nuit, du froid et de la neige. Les « misérables » et les « sans- famille » deviennent alors un motif littéraire et iconographique très populaire. Dans les illustrations et les livres pour la jeunesse s’impose cette imagerie où les fenêtres des demeures cossues deviennent un écran entre les deux univers sociaux. On y voit souvent les enfants pauvres y coller leur nez pour admirer le Noël des enfants riches. Leur histoire affligeante fournit le thème de contes et de récits pour la jeunesse à lire « au coin du feu ». Voici l’un d’eux, raconté par le poète allemand Rückert :

« Un enfant étranger parcourt les rues d’une ville le soir de Noël pour contempler les lumières qui brillent. Il s’arrête devant chaque maison, il voit les appartements éclairés où s’élèvent des arbres garnis de bougies. Le malheur le poursuit partout. Il pleure. Il frappe à toutes les portes, aux fenêtres, aux volets, mais personne ne lui ouvre. Les habitants sont sourds. Chaque père songe à ses enfants ; la mère leur distribue ses présents ; elle ne pense pas à autre chose. Alors l’enfant implore le Christ : “Oh, sois mon conseiller !” Alors, dans une ruelle sombre et écartée, précédée d’une lumière, se tient un autre enfant vêtu d’une robe blanche. Sa voix est douce. C’est le Christkindel : “Pour moi, lui dit-il, tous les hommes sont égaux.” Il lui offre dans cette ruelle un arbre de Noël si éclatant qu’aucun ne l’égale. Quelle émotion lorsque l’enfant aperçut son arbre de Noël ! Des Anges lui tendirent leurs mains et l’attirèrent dans un océan de lumière. Il oublia ses douleurs au ciel. »

On retrouve ici une croyance populaire allemande qui veut que le Christ accorde une place au Paradis à tous les enfants qui n’ont pas eu leur arbre de Noël. En 1845, dans La Petite Fille aux allumettes, Hans Christian Andersen  fait aussi quitter le monde injuste et cruel des vivants à sa jeune héroïne pour des cieux plus heureux, juste après qu’elle a rêvé d’un sapin étincelant :

« Plus riche et plus grand encore que celui qu’elle avait vu à la Noël dernière, à travers la porte vitrée, chez le riche marchand. Mille chandelles brûlaient sur les branches vertes, et des images de toutes les couleurs, comme celles qui ornent les fenêtres des magasins, semblaient lui sourire. La petite éleva les deux mains : l’allumette s’éteignit ; toutes les chandelles de Noël montaient, montaient, et elle s’aperçut alors que ce n’était que les étoiles. L’une d’elles tomba et traça une longue raie de feu dans le ciel. » 

L’enfant riche au secours de l’enfant pauvre 

Les livres édifiants destinés aux enfants de la bourgeoisie sont tissés de ces histoires où la découverte de la pauvreté, le soir de Noël, est à l’origine d’une prise de conscience et d’une action charitable. Publié en 1868, Les Quatre Filles du Dr March, le très célèbre roman de Louisa May Alcott, en livre une illustration pleine d’empathie et de compassion, version américaine.

L’intrigue se situe en pleine guerre de Sécession, le père est un pasteur nordiste, antiesclavagiste donc, et parti sur le front comme aumônier. Ses quatre filles – Meg, Jo, Beth et Amy – sont restées avec leur mère et la servante, Hanna, « plus une amie qu’une domestique ». Riche autrefois, puis ruinée lorsque Mr March a aidé un ami dans ses affaires, la famille est heureuse, malgré tout, et n’oublie pas d’aider plus pauvre qu’elle. À l’approche de Noël, Mrs March, qui n’a plus guère d’argent, a l’idée d’offrir à chacune de ses filles un de ces petits livres « où une mère très intelligente avait rassemblé tous les conseils de sagesse, de ceux qu’on a désigné sous le nom de Morale familière, qui pouvaient être utiles à ses enfants ». Après avoir réfléchi à ce qu’elles- mêmes, en retour, pourraient bien offrir à leur mère (qui s’est absentée pour aller visiter une famille pauvre), les quatre jeunes filles découvrent, au retour de celle- ci, que le plus beau des cadeaux sera une action charitable.

« “Je vous souhaite un joyeux Noël, moi aussi, mes enfants ! Je suis contente que vous ayez commencé tout de suite la lecture de vos livres, et j’espère que vous conserverez cette bonne habitude. Mais j’ai une proposition à vous faire avant que nous ne nous mettions à table. Il y a tout près d’ici une pauvre femme qui a maintenant sept enfants. Le dernier n’a que quelques jours, et les six autres sont couchés les uns contre les autres dans un seul lit, afin de ne pas geler, car ils n’ont pas de feu. Ils n’ont rien à manger, et l’aîné des petits garçons est venu me dire ce matin qu’ils mouraient de froid et de faim. Voulez- vous, pour cadeau de Noël, donner votre déjeuner à cette malheureuse famille, mes enfants ? C’est une proposition que je vous fais, pas même une prière, encore moins un ordre. Vous êtes libres de dire oui ou non.” […] Les quatre sœurs avaient très faim, car elles attendaient leur mère depuis près d’une heure ; aussi furent-elles tout d’abord silencieuses. Leur hésitation dura une minute, mais seulement une minute. “Votre décision ne m’étonne pas, dit Mrs March en souriant d’un air satisfait. Vous viendrez toutes avec moi, et, en revenant, nous nous contenterons de pain et de lait pour notre déjeuner”. » 

La description du quartier et du logis des pauvres n’échappe pas au genre réaliste dramatique. Les petites rues sont « misérables et désertes, […] la pauvre chambre est nue, aux vitres brisées […]. Pas le moindre feu, les draps en loques, […] une mère malade, un bébé criant et des enfants pâles affamés essayant de se tenir chaud sous une mince couverture ». À leur arrivée, la mère de famille pauvre, qui « pleure de joie », compare les quatre filles March à des « anges ». Elles font preuve d’efficacité et d’ingéniosité, surtout Hanna, la servante, qui « fait du feu, colmate les vitres brisées avec de vieux chiffons et son propre manteau », tandis que Mrs March « prépare du thé et une bouillie d’avoine » et habille le bébé, « aussi tendrement que s’il eût été le sien ». Les quatre sœurs, pendant ce temps, donnaient « la becquée aux enfants en riant et bavardant ». Noël est néanmoins fêté le soir même chez les March, après une représentation théâtrale improvisée par les jeunes filles, grâce à la générosité d’un autre personnage, le vieux Mr Laurence : « Depuis leur revers de fortune, elles n’avaient jamais rien vu d’aussi beau. Il y avait une glace, deux même, une rose et une blanche, des gâteaux, des fruits, des bonbons et, au milieu de la table, quatre grands bouquets de fleurs de serre. Elles en eurent le souffle coupé. » 

Le récit se termine sur l’absence du père, qui n’aura pas la chance d’avoir un aussi joyeux Noël parmi les soldats de l’Union Army. Il faut ici se souvenir, à propos de la mention de l’arbre de Noël, que Louisa May Alcott est née à Germantown (Philadelphie) en Pennsylvanie, État où les immigrants allemands avaient tôt importé leurs traditions.

Extrait du livre de Martyne Perrot, "Le cadeau de Noël, Histoire d'une invention", publié aux éditions Autrement.

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