TotalEnergies / État : qui a le plus profité indûment de l’envolée des prix de l’énergie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une manifestante devant le siège de TotalEnergies le 8 février 2023.
Une manifestante devant le siège de TotalEnergies le 8 février 2023.
©MADELEINE PRADEL AFP

Profiteurs de guerre ?

Alors que le géant de l’énergie annonce des bénéfices record et le possible retour d’une ristourne sur les prix du carburant, l’Etat a vu ses caisses se remplir plus que prévu en 2022.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Le groupe TotalEnergies e son groupe a annoncé mercredi des bénéfices record en 2022, de l’ordre de 19 milliards d’euros. Ils ont choqué, notamment à gauche, mais sont-ils si importants que ça pour une telle entreprise ?

Philippe Crevel : Non, TotalEnergies est une des plus grandes compagnies pétrolières mondiales. Si on fait un ratio bénéfice sur chiffre d'affaires, les montants ne sont pas faibles, mais ne sont pas non plus extraordinaires. Des entreprises comme Apple par exemple, peuvent obtenir des résultats bien plus importants en termes de bénéfices. On peut également voir dans le secteur du luxe des ratios qui peuvent être bien plus élevés que ceux de TotalEnergies. L’entreprise a en plus comme contrainte le fait de payer des impôts sur ses bénéfices non pas dans le pays le plus avantageux pour elle, mais dans les pays de production. Il y a des limites à la remontée des bénéfices que d'autres entreprises ne connaissent pas car elles peuvent localiser leurs profits dans des pays à faible taux d'imposition comme en Irlande ou aux Pays-Bas. Je ne dis pas que TotalEnergies ne fait pas du tout d’optimisation, mais le groupe est obligé de payer des impôts pour une grande partie de ses bénéfices.

Dans une interview récente au Parisien, Patrick Pouyanné explique justement avoir « réalisé environ 350 millions d’euros de bénéfices en France » et avoir payé en 2022 « 200 millions d’euros d’impôts sur les sociétés et taxes de solidarité européenne sur le raffinage et l’électricité, à comparer aux 33 milliards d’euros d’impôts et taxes payés ailleurs », notamment dans les pays de production où le taux moyen de fiscalité est de plus de 50 %. Le débat actuel sur les profits de TotalEnergies ne reflète-t-il pas le manque de connaissances dans le fonctionnement de la fiscalité internationale ?

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Tout à fait. Evidemment, 19 milliards d'euros est une somme qui apparaît extraordinaire et qui, pour le commun des mortels, est difficilement compréhensible. Mais on parle d'une compagnie qui fait partie des dix plus grandes compagnies pétrolières mondiales, qui est présente sur toute la planète et est un des fleurons de l'économie française, avec LVMH et L’Oréal, entreprises qui réalisent également d'importants bénéfices. Nous devrions nous réjouir de la bonne rentabilité de Total comme des autres et considérer que le profit n'est pas quelque chose de malhonnête : il est lié à la rentabilité, à une bonne gestion.

D'autre part, le profit permet la rémunération du capital. Derrière ce terme, on imagine les "200 familles", mais ce sont souvent des particuliers qui en bénéficient de manière indirecte, à travers les unités de compte de l'assurance vie, les SICAV, les fonds communs de placement... Toute personne qui a des placements financiers a de fortes chances d'avoir directement ou indirectement un morceau de TotalEnergies dans son portefeuille, et ses profits contribuent à la rémunération de son épargne.

65 % des salariés de TotalEnergies sont actionnaires de l’entreprise. Ils ont reçu en 2022 7 % des dividendes, soit 700 millions d’euros. Est-ce un exemple à suivre ?

La France est un des pays où l'actionnariat salarié est parmi les plus développés. C'est quelque chose qui est méconnu mais les lois sur la participation, l'intéressement et l'actionnariat salarié depuis le début des années 1960 permettent une redistribution d'une part non négligeable des dividendes. Les salariés sont donc associés à ce bénéfice. Par ailleurs, si TotalEnergies peut effectuer des ristournes importantes sur le prix de l'essence, c'est grâce également à sa bonne santé financière. Preuve que le consommateur peut aussi être gagnant des résultats de TotalEnergies, qui ne sont pas faits exclusivement en France mais à l'échelle mondiale.

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Si TotalEnergies n’a pas profité indûment de cette manne, qu’en est-il de l’Etat ?

L'Etat a mécaniquement bénéficié de la hausse des prix du fait de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Mais il a redistribué en grande partie, voire totalement, ces gains. La TICPE a rapporté davantage qu’habituellement car les prix étaient plus élevés, mais l'Etat a mis en place des ristournes, le bouclier tarifaire, le chèque énergie, etc. Le gain pour les finances publiques est donc faible. L'Etat a également gagné au titre de l'impôt sur les sociétés : plus une entreprise réalise de bénéfice, plus le montant de l'impôt sur les sociétés est important. Sur la partie consolidée en France, qui n'est pas la totalité pour TotalEnergies, il y a donc également un gain.

Bercy estime que sur l’année, la hausse des prix aura rapporté seulement 2 milliards d’euros supplémentaires dans les caisses de l’Etat. Comment l’expliquer ?

C'est la conséquence de la politique du gouvernement en la matière. Les ristournes ont réduit le montant des gains pour l'Etat.

Cette hausse des prix a-t-elle profité indûment à quelqu’un ?

Il y a toujours en période d'inflation des comportements pas toujours honorables. Mais globalement, d'un point de vue macroéconomique, il faut noter que la population et les entreprises ont été préservées, avec une compensation - pas totale mais non négligeable – de l’envolée des prix.

Même si le sentiment est complètement différent, le consommateur français a été relativement préservé des effets de l'inflation par rapport à des consommateurs étrangers. La baisse du pouvoir d'achat pour la population française est relativement modérée : elle se situe entre 1 et 2 % de perte de pouvoir d'achat avec une inflation à 5,2 % en 2022 et qui est autour de 6-7% maintenant. L'État a compensé à peu près les deux tiers du surcoût de l'inflation. Le citoyen a donc été entre guillemets préservé, même s’il a été touché par la hausse des prix directement à travers la baisse de son pouvoir d'achat et indirectement à travers des possibles impôts à venir et un endettement public accru.

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