Thomas Robert Malthus : "Les vagues d’immigrations massives vont me donner raison"<!-- --> | Atlantico.fr
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Thomas Robert Malthus va, par ses écrits, acquérir une notoriété internationale parce qu'il va prôner une limitation des naissances.
Thomas Robert Malthus va, par ses écrits, acquérir une notoriété internationale parce qu'il va prôner une limitation des naissances.
©wikipédia

Série : les grandes interviews de l'été

Interviews virtuelles mais exclusives accordées par les personnalités ayant le plus influencé le cours de l’histoire de la France et des Français. Nous les avons retrouvées et rencontrées afin de leur demander quel jugement elles portent sur la situation politique et économique actuelle. Cinquième interview de cette série de l'été avec Thomas Robert Malthus. Ses thèses si longtemps décriées parce qu’il y prônait un contrôle des populations redeviennent à la mode avec les vagues d’immigrations massives.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Thomas Robert Malthus est né en 1766 en Angleterre et il est mort en 1834. C’est un pasteur protestant de profession, devenu très vite un économiste, professeur, qui va, par ses écrits, acquérir une notoriété internationale parce qu'il va prôner une limitation des naissances. Pour l’époque, c’est à la fois très nouveau et très iconoclaste. Surtout venant d’un pasteur protestant.

En ce début de révolution industrielle, il pense que la population ne trouvera pas à se nourrir si elle continue de croître. 

Sa perspective est très pessimiste, elle va à l’encontre des thèses classiques développées par le chef de l'école classique, Adam Smith, qui estimait que la croissance dépendait aussi de la population.

Toujours est-il que Malthus a donné dans le langage courant un adjectif, "malthusien" souvent négativement connoté (désignant un état d'esprit plutôt conservateur, opposé à l'investissement ou craignant la rareté), et une doctrine, le malthusianismequi inclut une politique active de contrôle de la natalité pour maîtriser la croissance de la population.

Par extension, l'analyse malthusienne est aujourd'hui appliquée pour justifier le combat contre les risques de l'immigration massive. Malthus est donc revenu au devant de l'actualité.

Jean-Marc Sylvestre : Thomas Robert Malthus, quels sont précisément les travaux qui vous ont permis d’affirmer avec autant de force que l'excès démographique conduisait à l'appauvrissement ?

Thomas Robert Malthus : Faut-il que la situation soit grave en Europe, avec des risques sérieux de surpopulations immigrées pour que vous ressortiez mes travaux et mes écrits et que vous vérifiez qu'ils sont encore valables. Quelle revanche pour moi après avoir été traité de vieux réactionnaire !

Mes travaux existent. J’ai prouvé "la tendance constante qui se manifeste dans tous les êtres vivants à accroître leur espèce plus que ne le comporte la quantité de nourriture qui est à leur portée". De cette "loi naturelle" j'ai conclu au danger de surpopulation du globe et préconisé la limitation des naissances par la chasteté et par le recul de l'âge légal du mariage. Ma contribution s'arrête là. 

Oui, mais vous savez bien que vos travaux ont servi la cause de tous ceux qui ont réclamé des politiques et des pratiques anticonceptionnelles...

Je n'ai jamais prôné l'usage des moyens contraceptifs, c'est contre ma morale et ma religion. Or je sais que des groupes politiques se sont appuyés sur mes travaux pour réclamer la limitation des naissances. Par ailleurs, je n'ai jamais osé appliquer ce concept des évolutions de la population en liaison avec les flux migratoires. L'existence de flux et de déplacements d'êtres humains d'une région à l'autre comme c'est le cas aujourd'hui, n'accroît pas la population mondiale mais elle la déplace. C'est un autre problème, un problème économique et politique. 

Ceci dit, reconnaissez que beaucoup d'auteurs ont vu dans vos thèses un alibi pour dégager la bourgeoisie de toute responsabilité à l'égard des pauvres et justifier l'existence des privilégiés, et des rentes. C'est la raison pour laquelle les élites ont très souvent recommandé et même sponsorisé vos écrits.

Je ne suis pas naïf. J'ai été intransigeant pour alerter les politiques sur des populations surnuméraires, mais reconnaissez aussi que j’ai fini par être moins anti populationniste que productiviste, désireux d'une croissance harmonieuse de la population et des ressources, de la production et de l'emploi. 

Il est d'autant plus paradoxal de constater qu'on appelle aussi malthusianisme, ou malthusianisme économique, les pratiques de restriction volontaire de la production, voire de destruction des richesses produites, en vue de réduire l'offre sur les marchés et de maintenir le prix. L'explication est d'ordre analogique : le malthusianisme démographique et le malthusianisme économique ont en commun l'idée de restriction volontaire. On parvient par ce biais à une notion élargie du malthusianisme, "état d'esprit affectif autant que raisonnement" je sais toutes ces interprétations, j ai été instrumentalisé. Je ne suis ni le premier ni le dernier. 

Non, le plus grave dans le débat dont vous avez été l'objet c'est que vos thèses ont été démenties par les faits. La surpopulation que vous craigniez, n'a pas entraîné de déficit de production. Au contraire. La production a créé la production.

Mon modèle n'a pas été démenti par les faits, il a été seulement retardé. Sur le fond, il est exact qu'à fécondité maximale, tous les descendants d'une génération ne peuvent pas survivre. Mais je reconnais que mes prévisions pessimistes ne se sont pas réalisées.

Je sais pourquoi. Tout simplement parce que des éléments nouveaux sont apparus. L'humanité a vécu une transition démographique "plus de la moitié de l'humanité est déjà au-dessous du seuil de remplacement" des générations.

Par ailleurs, l'humanité est passée par une période où deux hommes sur trois souffraient de malnutrition alors qu'à partir de l'an 2000, ce rapport est passé à un sur sept. Des pays d'Asie comme l'Inde, la Chine et le Vietnam ont officiellement adopté des politiques malthusiennes. Ces pays ont contrôlé l'évolution de leur population.

Mais, l'apparition des énergies fossiles est venue fausser l'équation sur laquelle j'avais basé mon raisonnement. Les ressources se sont accrues et les rendements agricoles aussi.

Enfin, les échanges se sont multipliés, avec des transports peu coûteux, mais avec des conséquences sur l'environnement climatique et social encore difficiles à mesurer.

Ce que vous appelez le réchauffement climatique va vous obliger, que vous le vouliez ou non, à ralentir les taux de croissance. Je comprends très bien tous ceux qui prônent une croissance zéro ou une autre croissance. Beaucoup d'écologistes sont ainsi malthusiens. 

Comment vous êtes-vous situé par rapport à l'école libérale, parce qu'ils vous ont fait la guerre au 19e siècle ?

J'ai eu une correspondance très fréquente avec David Ricardo et nous avons convenu que la loi des débouchés énoncée par Jean-Baptiste Say était fausse et en contradiction avec les lois de l'offre et de la demande. En fait, j'étais convaincu que l'offre ne créerait pas la demande mais que c'était l'inverse. Je suis l'un des premiers à avoir expliqué qu'il peut y avoir des crises de surproduction. C'est à dire un excès d'offre sur la demande. Et préconisé une relance de la demande pour résorber ces crises. 

En quelques sorte, le moteur, c'est la population, son niveau et son pouvoir d'achat et j'ai été très heureux d'apprendre qu'un siècle plus tard, un économiste britannique a théorisé et modélisé cette théorie de la demande.

Je suis navré d'apprendre que Keynes n'est plus à la mode, que ses théories qui ont dominé la science économique et impacté la vie politique pendant tout le 20e siècle sont aujourd'hui battues en brèches par les partisans de l'économie de l'offre. Mais faut reconnaître qu'il y a du Malthus chez Keynes.

Le chercheur qui a le plus travaillé sur vos écrits c'est Alfred Sauvy, c'est lui qui a prouvé que votre démonstration était fausse...

Je ne suis pas sûr qu'Alfred Sauvy ait beaucoup dévalué mes travaux. Au contraire, cet esprit brillant en ouvrant le débat a donné de la valeur à mes concepts. 

Que nous a dit Sauvy ? En 1943 il publie Richesse et population, où il plaide pour une politique nataliste et contre toute forme de protectionnisme corporatif ou syndical. Je reconnais que c'était courageux de sa part, parce que l'Europe était en pleine guerre mondiale avec des tendances protectionnistes très fortes. Les sociétés sont aussi structurées par des corporatismes qui étaient protégés et même encouragés.

Quand il a été nommé directeur de l'Institut National des Études Démographiques en 1945, il en a fait un établissement de recherche multidisciplinaire. Il l'a dirigé jusqu'en 1952 avec des brillants collaborateurs. Il reste directeur de la revue population jusqu'en 1975. C'est extraordinaire ce qu'il a fait. Il n'a pas passé son temps à combattre mes idées. Il a créé des lieux scientifiques pour débattre de mes idées en fait. C'est formidable. Quel honneur il m'a fait. Il parlait de moi tous les jours ou presque !

Dans un article paru dans l'Observateur en 1952, il fut le premier à parler de tiers monde. Il avait raison.

Auteur de l'expression, il l'a désavouée à la fin de sa vie en écrivant ceci :

"Que l'on permette au créateur de l'expression tiers-monde, il y a déjà près de quarante ans, de la répudier, tant elle fait oublier la diversité croissante des cas. Englober dans le même terme les pays d'Afrique Noire et "les quatre dragons" ne peut mener bien loin."

La réalité lui a donné raison. Il n'y a plus de tiers monde. Il y a des pays émergents, les BRIC et des pays encore très pauvres.

Mais pour en revenir à la population, Sauvy est d'accord avec moi pour dire que le moteur du progrès c'est la population, la demande. Et je maintiens moi qu'à terme, il faudra réguler cette population de façon pacifique. 

Est-ce qu'il n'y a pas une régulation naturelle des populations ?

Vous plaisantez j'espère... Bien sûr que si, mais sont-elles acceptables ? Ne demandez pas à un pasteur d'approuver ces régulations naturelles. Comment les hommes ont-ils limité la croissance démographique dans l'histoire. Par la guerre, par les épidémies, par les massacres, par les famines.

Il doit y avoir d'autres méthodes moins violentes. Vous ne croyez pas ?

Mais vous refusez la contraception ?

On parle de régulation naturelle, non ? Il y a des moyens, non ? L'intelligence humaine a des ressources.

La planète ne supportera pas 10 milliards d'individus vivant sur le même mode de consommation qu'aujourd'hui. Il faudra réduire la vitesse, la consommation de carburant et trouver d autres carburants, etc. il faudra faire du Malthusianisme. 

Comment jugez-vous les gouvernances occidentales ?

Les gouvernances démocratiques modernes gouvernent à court terme. Toutes ces questions de démographie, d'excédents de population, de climat et d'environnement ne sont pas traitées. Je crois que vous avez organisé la Cop 21 sur le climat. Mais il n'en est rien ressorti. Vous savez pourquoi, parce que vous avez tous peur de ressortir mes conclusions. Il faut freiner. Tout freiner. La seule chose qu'il faut accélérer, c'est l'intelligence humaine.

Vos hommes politiques ne se préoccupent pas d'être intelligent. Ils cherchent à être élus et réélus. Faut pas être intelligent pour être élu. Il faut être démagogue.

(Interview imaginaire, recueillie, reconstituée ou imaginée par JMS, août 2016)

Les livres à lire ...

Robert Malthus, Essai sur le principe de population, 1798. 

Alfred Sauvy, Théorie générale de la population (2 volumes), PUF, Paris 1956.

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