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Théo, Toula et les autres
©Capture d'écran

Variété

Si l'affaire Théo pose toujours plus de questions qu'elle n'y répond, tout n'est pas à mettre dans un même sac. Les profils sont différents et doivent être traité avec discernement.

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Le 2 février, il y a eu à Aulnay-sous-Bois l'intervention de quatre gardiens de la paix de la Brigade Spécialisée de Terrain (BST), un trafic de drogue interrompu, et l'interpellation d'un quatuor parmi lequel se trouvait Théo. Celui-ci a été maîtrisé par trois des fonctionnaires dans des conditions de brutalité qui ont été dénoncées puisque, selon Théo, une matraque lui a été délibérément enfoncée dans l'anus.

Je ne me prononce pas sur les versions contradictoires des uns et des autres (Le Parisien). L'IGPN, saisie de cette affaire, a conclu que l'atteinte grave causée à la victime l'avait été involontairement, par maladresse, du fait de l'empoignade. Ce que Me Dupond-Moretti, avocat de Théo, a vigoureusement contesté au motif qu'un viol ne pouvait résulter que d'une intention volontaire.

Depuis le déroulement de cette affaire, violences à Aulnay-sous-Bois et à Bobigny, saccages, bris de vitrines et de matériel urbains, véhicules incendiés, attaques des forces de l'ordre, casseurs, nombreuses interpellations, paroxysme du rapport conflictuel entre jeunes de ces cités et la police...

Le comble, ce sont Théo et sa famille qui ont dû appeler au calme et rappeler qu'on n'était pas en guerre ! Le président de la République lui a rendu visite sur son lit d'hôpital et même si sa démarche a été approuvée par beaucoup à droite comme à gauche, je maintiens que je la trouve inopportune. Sauf à accepter une multiplication de ces visites compassionnelles dans toute la France et d'abord auprès des fonctionnaires de police trop régulièrement blessés par de jeunes voyous ici ou là, dans des cités quasiment interdites à la loi. Dès qu'un président de la République sort de son rôle, il fait d'une affaire qui devrait rester policière et judiciaire une affaire d'Etat.

Plusieurs questions doivent être posées tant les conséquences du 2 février ressemblent à celles, trop nombreuses, qui suivent à chaque fois, dans certaines cités, l'affrontement entre une police accomplissant sa mission et des jeunes gens prêts en permanence à en découdre.

Pourquoi, d'ailleurs, cette inéluctable dégradation d'incidents particuliers en violences et en émeutes collectives ? Comme si l'état de droit, même dans sa version la plus minimaliste, n'était pas acceptable et devait être récusé par principe.

Théo est une victime. Il n'a jamais été condamné mais était-il rattaché de près ou de loin à l'environnement - message des guetteurs aux dealers - de drogue et de méfiance de la police ?

Comme Marine Le Pen, j'ai confiance par principe en la police et ne fais pas peser sur elle une présomption de culpabilité quand elle agit au demeurant dans les circonstances les plus difficiles qui soient. Elle sera coupable quand la Justice l'aura établi et si le gardien de la paix concerné l'est, il devra être sanctionné comme son acte le mérite. En tout cas, pour les cités, je n'éprouve pas cette démagogie miséricordieuse qui soutient les agresseurs et cherche à nous persuader que, brisant, saccageant et frappant, ils se révoltent contre le chômage alors qu'ils cassent du flic et haïssent seulement l'autorité qui vient s'immiscer dans leurs combines malpropres.

Pourquoi les politiques, gauche et droite confondues, sont-ils incapables, avec une énergie qui devrait relever de leur vigilance démocratique, de mettre le holà aux violences inadmissibles ? Pourquoi paraissent-ils valider le fait que la société serait coupable quand une minorité de voyous faciles à cibler, plus difficiles à interpeller, démontre clairement qu'ils sont eux-mêmes responsables et coupables ? Pourquoi chercher des excuses avant même la sanction alors que le jugement devra, lui, les intégrer si elles existent ?

Pourquoi les médias, dans leur grande majorité, attisent-ils cette incandescence en focalisant l'attention, de manière trop souvent partiale, sur les fauteurs de trouble plutôt que sur ceux qui, pour nous tous, font le sale boulot de maintenir ou de restaurer la tranquillité publique dans des lieux privatisés par des délinquants pour leur profit et leur impunité ?

Pourquoi médias et politiques, à chaque fois qu'une politique de fermeté cohérente et régulière est annoncée, formulent-ils comme première préoccupation le fait qu'elle sera impossible à mettre en oeuvre à cause de la résistance de ceux qu'elle devra concerner ? C'est inverser l'ordre et les principes. Parce que les coupables s'opposeraient à ce qui aurait pour finalité de les mettre hors d'état de nuire, il faudrait les laisser faire ? La peur qu'éprouve l'Etat avant l'action explique pourquoi celle-ci demeure lettre morte après.

Pourquoi ne pas restaurer l'autorité de l'Etat partout, avec fermeté, rigueur et en soutenant sans état d'âme les forces chargées d'en être les vecteurs et en même temps, veiller à imposer autant que possible une police de proximité qui devra être au quotidien toute d'urbanité si la situation le permet ? Au fond deux peurs se font face : la confiance ne serait pas inconcevable si à tous niveaux se manifestaient fermeté, exemplarité et contrôle.

Dans le pire il y a des lumières. Il y a Emmanuel Toula.

Au cours de l'une des manifestations violentes de Bobigny, alors que le capot d'une voiture encerclée par des jeunes et bloquée par une poubelle commençait à brûler et que sa conductrice avait seulement réussi à en sortir son petit garçon de deux ans et pas encore sa fillette de six ans, Emmanuel Toula, âgé de 16 ans, avec un infini courage s'est engouffré dans le véhicule, a détaché la ceinture de sécurité de l'enfant et l'a sauvée. Toula faisait partie des soutiens de Théo.

La préfecture de police, après en avoir crédité des policiers, a reconnu que le jeune homme était l'auteur de cette belle action (Le Figaro).

J'en tire la conclusion optimiste qu'il n'y a pas à désespérer de quelque personnalité que ce soit et qu'aucune crise humaine et sociale n'est insoluble. En tout cas il faut s'en persuader.

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