TGV, un modèle à bout de souffle : et comment s’en sortent les autres réseaux à grande vitesse allemand et japonais ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les TGV français ne sont pas rentables.
Les TGV français ne sont pas rentables.
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Pour se remettre sur les rails

Un rapport de la Cour des comptes qui sera publié le 23 octobre critiquerait la faible rentabilité des TGV français. La France n'est pas la seule à avoir des trains affichant des vitesses records, et la comparaison montre les domaines dont le rail français – qui reste malgré tout un modèle – pourrait s'inspirer.

Transae .

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Transae est une société spécialisée dans le conseil en économie des transports.

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Atlantico : L'ICE, l'équivalent allemand du TGV, utilise des matériels assez voisins pour des performances similaires. Les résultats en termes de rentabilité sont-ils pour autant les mêmes ? Si non, comment expliquer la différence ?

Transae : En Allemagne les TGV sont en réalité peu rapides. Seulement 260 km de lignes sur 1300 sont utilisés par des trains roulant à plus de 200 Km/h (contre 2400 km en France en 2013). Si les matériels et leurs performances sont assez similaires sur le papier elles ne le sont pas dans la pratique. Il ne faut pas confondre les TGV qui sont les Trains aptes à la Grande Vitesse et les LGV (Lignes à Grande Vitesse) qui leur permettent de rouler vite : à titre de comparaison, une voiture roule moins vite sur une route départementale sinueuse que sur autoroute. Les TGV dépendent de la SNCF et les LGV de RFF (Etablissement Public de l’Etat). Bientôt ces entités devraient être regroupées (réforme du système ferroviaire). Entre 1997 et 2014, TGV et LGV renvoient donc à deux acteurs différents.

Ensuite il ne faut pas confondre la rentabilité socio-économique et la rentabilité financière. La première intègre tous les avantages valorisables liés à la réalisation (au-delà des seuls aspects financiers, en intégrant notamment les gains de temps permis pour les usagers, la réduction de la pollution, …), que l’on compare à une situation future sans projet (qui s’appelle la situation de référence et qui est différente de la situation actuelle). Dans ce cas toutes nos LGV ont suivi les textes relatifs à la planification d’une grande infrastructures et ont tous fait l’objet d’une Déclaration d’Utilité Publique (DUP) prise par les autorités. Cette planification prend plus de 20 ans. La seconde concerne la manière dont le financement va se répartir entre les agents économiques. Or il n’y en a que deux qui, au final, financent de telles infrastructures : les usagers et les contribuables (actuels ou futurs). Par définition, les infrastructures ferroviaires, du fait de leurs coûts d’investissement très élevés ne peuvent pas dégager de rentabilité financière : elles ont forcément besoin d’être subventionnées par l’Etat et les Collectivités locales (contribuables nationaux et locaux), le reste étant payé par les usagers via les péages d’infrastructures et que l’on retrouve dans les prix de billets de train. Quel que soit le pays, la même question se pose et le résultat correspond à la part de financement portée par l’usager et celle portée par le contribuable. Les LGV ne sont pas auto-finançables (contrairement à certaines autoroutes dont le coût d’investissement au km est bien plus faible) mais elles doivent pouvoir capter l’optimum du "surplus du consommateur", c'est-à-dire la capacité à payer des usagers pour le service qui leur est rendu afin de minimiser la part du contribuable (c’est le principe de l’usager-payeur qui fonctionne très bien sur les autoroutes et partiellement sur les LGV).

Le réseau à grande vitesse japonais est mondialement connu pour ses performances et sa fiabilité. Cependant, le réseau de sociétés publiques exploitant ces lignes est très endetté. Le pays a-t-il fait le choix de la dette pour assurer la performance ?

Le Japon ne déroge pas aux principes précédents. Les notions de performances et de fiabilité renvoient surtout aux services ferroviaires plus qu’à l’infrastructure. En France, les TGV sont fiables et performants. Au Japon ils le sont peut-être plus car ils s’arrêtent moins en gares intermédiaires et parce que les TGV japonais restent toujours sur les LGV (pas d’interfaces avec les lignes dites classiques). Globalement, dans un pays, plus on réalise des grands projets non auto-finançables plus on crée de la dette. On n'est en effet pas en mesure de valoriser les effets non monétarisables des LGV : développement économique éventuel, impact touristique… Si l’on prenait en compte ce type d’impacts non mesurables ceci améliorerait le bilan des projets : c’est le principe que l’on retrouve lorsque l’on fait des investissements dans les stades pour l’Euro 2016 : les retours en TVA vont être intéressants et pourtant on ne les intègre pas dans le plan de financement des stades…La TVA sur les billets des 100 millions de voyageurs annuels des TGV n’apparait pas non plus car elle n’est pas affectable… Hier le ministre français M. Fabius discutait avec les Chinois pour la localisation d’une plate forme logistique de la société Alibaba. La question des infrastructures, comme pour Amazon, est centrale. Si les infrastructures n’existaient pas, ce type de localisation et les effets positifs associés n’existeraient pas non plus.

La Cour des comptes s'apprêterait à critiquer, dans un rapport prévu pour le 23 octobre, une rentabilité faible des principales lignes à grande vitesse de France. Quelle est la part réelle de responsabilité de l'exploitant français dans cette faible rentabilité ?

La France aura construit plus de 2600 km de LGV en 2017 pour un coût total d’investissement de l’ordre de 50 milliards d’euros (conditions économiques 2012), soit un coût d’environ 19 M€ du km (CE 2012). Les LGV les plus intéressantes ont été réalisées plus rapidement, comme pour les autoroutes, ensuite on entre plus dans une logique de maillage du réseau. Les projets les plus intéressants ont déjà été réalisés. L’exploitant fait circuler les trains et ne décide pas de la réalisation d’un grand projet qui dépend de décisions régaliennes. Ce débat concernant la rentabilité des projets ne date pas d’aujourd’hui. Il existait déjà au 19ème siècle et il constitue la base de l’économie des transports. Plus récemment, il était déjà présent dans le rapport Pébereau en 2005 qui expliquait qu’il est très difficile de prévoir ce qu’il va se passer à très long terme et de le prendre en compte dans les décisions d’investissement. Par ailleurs, en 2011 le rapport relatif à la "Commission Mobilité 21" présidée par M. Duron a hiérarchisé la priorité des projets, et repoussé la plupart des grands projets ferroviaires. L’accent est mis sur le GPMR : Grand Programme de Modernisation du Réseau existant. Donc les choix sont très clairs.

Les critiques en France pointent notamment un tracé de lignes parfois peu rationnel (notamment la ligne qui traverse l'Est de la France), et une ingérence politique qui nuit à l'efficacité économique. Quelle est selon vous l'impact réel de ce "clientélisme" ? Explique-t-il une partie importante, ou au contraire mesurée, du manque de rentabilité ?

Tous les grands investissements suivent des règles de planification très strictes : Pré-études fonctionnelles, Etudes Préliminaires, Avant Projet Sommaire, Enquête d’Utilité Publique (au cours desquelles les études techniques prennent une part importante)… Les projets font l’objet de contre-expertises poussées renforcées par le décret de décembre 2013. Comment mettre en évidence ce type d’ingérence ? La question de la rentabilité doit être vue sur le long terme en intégrant aussi toutes les recettes futures mais aussi (ce qui n’est pas possible), les effets non valorisables comme indiqué ci-dessus. L’aménagement du territoire reste cependant une décision d’ordre politique.

La difficulté principale est qu'il est nécessaire que le TGV reste un mode de transport très rapide. Il n'a pas vocation a s'arrêter tous les 100km pour desservir toutes les villes situées sur son trajet. Sinon cela revient à perdre le temps que l'on souhaitait gagner alors même que le coût de l'infrastructure dépend justement des niveaux de vitesse que l'on fixe. En d'autres termes le TGV et la LGV ne peuvent pas être des omnibus sinon ils perdent leur essence.

Quelles seraient les leçons que pourrait tirer l'exploitant français des lignes à grandes vitesses des exemples étrangers qui marchent ? Pourrait-il ainsi augmenter sa rentabilité ?

Globalement ce sont surtout les étrangers qui prennent exemple sur le cas français. Il faut arrêter de s’auto-flageller dans un domaine où la France est excellente. Le débat actuel porte plus sur des questions de rentabilité liées au contexte économique morose et au manque de croissance. Quel que soit le pays d’Europe, les opérateurs ferroviaires sont confrontés à la baisse de pouvoir d’achat, à la concurrence modale (voiture et bientôt autocars), au développement du co-voiturage, au développement des méthodes de communication à distance qui permettent d’éviter de nombreux déplacements… Les problèmes de rentabilité portent donc plutôt sur les incertitudes relatives aux recettes que sur l’estimation des coûts de réalisation ou de maintenance maintenant bien maîtrisée.

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