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Patatras, ce que l’on savait du test du Marshmallow s’effondre : les enfants de riches sont nettement plus susceptibles de résister à une gratification immédiate pour privilégier une satisfaction différée supérieure
©Pixabay

Psychologie

Une expérience a été menée sur 550 jeunes enfants entre 1968 et 1974 par Walter Mischel, professeur de psychologie à Stanford en Californie.

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini est docteure en sociologie de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et et actuellement chercheuse invitée permanente au CREM de l'université de Lorraine.

 

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En quoi consiste l'étude du marshmallow ? Y a-t-il un avantage à réduire sa satisfaction à court terme pour obtenir une récompense plus élevée sur le long terme ?

Nathalie Nadaud-Albertini : Il s’agit d’une expérience menée sur 550 jeunes enfants entre 1968 et 1974 par Walter Mischel, professeur de psychologie à Stanford en Californie. Elle consiste à placer un enfant de maternelle seul dans une pièce, assis sur une chaise, face à une table où se trouve un marshmallow. Avant de le laisser seul, on lui dit qu’il peut manger le bonbon immédiatement, mais que s’il patiente jusqu’au retour du chercheur, il aura droit à un deuxième bonbon. Un tiers des enfants attendent le retour du chercheur.

L’équipe de recherche a ensuite suivi les enfants sur trois décennies et il apparait qu’une fois adultes, ceux qui ont su différer leur satisfaction à court terme pour, à long terme, obtenir une récompense plus élevée : - sont plus persévérants dans leurs objectifs à long terme

- les atteignent le plus souvent

- font des études plus longues

- sont moins enclins à consommer des drogues dures

- ont une corpulence plus faible

- ont plus facilement des liens étroits avec les autres

- ont davantage confiance en eux

À la suite de cette étude dont les résultats ont été publiés dans les années 90, il était d’usage de considérer, à l’instar de Walter Mischel, que savoir différer une satisfaction immédiate au profit de gratifications futures est une compétence qui s’apprend, et ce dès la petite enfance.

Une nouvelle étude contredit les conclusions de l'expérience de Walter Mischel. Finalement, le test du marshmallow n'est pas tant une question de tempérament, mais plus de d'appartenance sociale ?

Si l’on suit Tyler W. Watts, Greg J. Duncan et Haonan Quan, l’équipe qui a reproduit l’expérience dont les résultats ont été publiés en 2018, oui, l’appartenance sociale joue un rôle dans le test du marshmallow. En effet, les chercheurs ont pris un échantillon plus large (918 enfants) et plus représentatif de la société américaine, et ils ont réparti les enfants en deux groupes. D’un côté, ceux dont la mère est diplômée, et, de l’autre, ceux dont la mère n’est pas diplômée. 68 % des enfants du premier groupe ont réussi à patienter 7 minutes, contre 45 % dans le deuxième groupe.

Pourquoi est-il plus difficile pour les enfants appartenant à un milieu défavorisé de patienter pour manger cette guimauve ? Qu'est-ce que cette attitude traduit ?

À l’instar de Jessica McCrory Callarco qui a commenté l’étude parue en mai dernier pour The Atlantic, on peut considérer que la façon d’envisager le risque lié à l’attente est différent selon le milieu social. En effet, l’expérience de la vie quotidienne fait qu’un enfant issu d’un milieu relativement favorisé a acquis l’assurance qu’il aura suffisamment de nourriture à disposition tous les jours, et que si on lui promet à un certain moment de lui acheter tel ou tel type d’aliments, la promesse sera tenue, ce qui n’est pas nécessairement le cas pour un enfant issu d’un milieu où les ressources financières peuvent empêcher les parents de tenir leur promesse. Les enfants issus d’un milieu moins aisé vont donc considérer qu’il y a un véritable risque à attendre et préféreront la gratification immédiate qui consiste à manger la guimauve.

De plus, toujours à la suite de Jessica McCrory Callarco, il convient de distinguer entre les différents comportements des parents selon le milieu. Dans un milieu plutôt favorisé, on aura tendance à faire patienter l’enfant en promesse de gratifications supérieures à venir, car on sait que l’on pourrait les leur donner, quelle que soit la nature de celles-ci. Alors que dans un milieu moins aisé, on aura tendance à ne pas faire patienter l’enfant pour des petits plaisirs comme les sucreries, car ce sont par ces petites choses que l’on tente de leur adoucir la vie, d’autant plus que l’on sait qu’on ne peut pas leur offrir davantage. Autrement dit, dans un milieu moins favorisé, on anticipera un avenir où la frustration sera bien plus importante que les sources de plaisir, et donc on ne jugera pas nécessaire de le faire patienter pour des petits plaisirs que l’on peut lui offrir immédiatement. Dans un milieu plus favorisé, on aura exactement le comportement inverse.

On rejoint ainsi ce qu’explique Richard Hoggart dans La Culture du Pauvre. Étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, publié en 1957 en Angleterre et en 1970 en France dans sa version traduite. Il montre que le trait principal de la culture populaire est de percevoir le monde selon un clivage entre le « eux » et le « nous ». Le « eux » est considéré comme un lieu lointain, étranger, menaçant, incertain où s’exercent le pouvoir et des décisions sur lesquelles on n’a pas prise et qui seront source de lendemain qui déchantent et effraient plus que de lendemains qui chantent. Par opposition, le « nous » est vécu comme le monde du proche, de l’immédiat, du concret, de la famille, du quartier, de la « bonne vie ». Il écrit notamment : « Quand on sent qu’on a peu de chances d’améliorer sa condition et que ce sentiment ne se teinte ni de désespoir ni de ressentiment, on est conduit bon gré mal gré à adopter les attitudes qui rendent ‘vivable’ une pareille vie, en éludant la conscience trop vive des possibilités interdites » (Richard Hoggart, 1957 [1970], La Culture du Pauvre. Étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Paris, Les Éditions de Minuit, p.137). Autrement dit, on n’espère rien de l’avenir ou pas grand chose, on apprend à ne pas l’anticiper parce qu’on pense ne pas avoir prise dessus et on veille à adoucir la vie quotidienne de petits plaisirs au jour le jour, dont la nourriture fait partie. C’est l’idée que l’on trouve dans des aphorismes tels que « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » ou « c’est toujours ça de pris ! ».

Par ailleurs, le chercheur apparaîtra à un enfant de milieu populaire comme une incarnation du monde du "eux", donc comme quelqu'un à qui l'on ne peut pas se fier. Il hésitera donc lui faire confiance et à croire qu'il aura une friandise supplémentaire s'il patiente. 

Cette illustration du principe d'épargne puis d'investissement est-elle induite par les parents en fonction du milieu social ? Est-ce une forme de reproduction sociale ?

Oui, dans le sens où on apprend très jeune à penser le monde soit comme offrant des possibilités d’avenir sur lesquelles on peut avoir prise, soit comme quelque chose d’incertain sur lequel on ne peut pas agir. Richard Hoggart explique d'ailleurs à ce propos : « Il y a toujours eu, et il y a encore de nos jours, des gens économes dans les classes populaires. Mais, en règle générale, les conditions de vie inclinent à profiter du présent sans songer à organiser les comportements en fonction de l’avenir : ‘La vie n’est pas un lit de roses’ mais ‘Qui vivra verra’. À cet égard, les membres des classes populaires sont depuis toujours des épicuriens de la vie quotidienne. Même ceux qui se tracassent à longueur de temps sur la manière dont ‘tout cela va tourner’ vivent dans l’instant et bornent leurs entreprises à l’horizon du présent, différant par là profondément des membres des autres classes sociales (Richard Hoggart, 1957 [1970], La Culture du Pauvre. Étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Paris, Les Éditions de Minuit, p.183-184).

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