Tension entre Russie et Turquie : qui a le plus à perdre dans l’autre guerre, celle de l’énergie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un avion russe.
Un avion russe.
©Reuters

De l'eau dans le gaz

La décision de la Turquie d'abattre un avion russe, le 25 novembre, a peu de chances de conduire à une escalade militaire. La Russie pourrait cependant réagir sur le plan économique, notamment énergétique. Premier fournisseur de gaz de la Turquie, la Russie a également lancé la construction de la première centrale nucléaire turque cette année.

Didier Billion

Didier Billion

Directeur-adjoint de l’IRIS.

Spécialiste de la Turquie, du monde turcophone et du Moyen-Orient, Didier Billion est l’auteur de nombreuses études et notes de consultance pour des institutions françaises (ministère de la Défense, ministère des Affaires étrangères) ainsi que pour des entreprises françaises agissant au Moyen-Orient.

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Atlantico : Le 25 novembre, la Turquie a abattu un avion militaire russe, affirmant que celui-ci avait violé son espace aérien. Peu d'observateurs croient à l'escalade militaire. Mais la Russie est l'un des premiers fournisseurs énergétique de la Turquie. La décision d'abattre cet avion  pourrait-elle entrainer des sanctions économiques de la Russie à l'encontre de la Turquie ?

Didier Billion : La Russie a pris une option extrêmement dangereuse du point de vue politique mais aussi économique. Depuis le début de la crise syrienne, il y a un désaccord politique radical entre la Russie, soutien du régime syrien, et la Turquie, qui souhaite abattre ce régime. Malgré cela, il y avait un maintien voire un approfondissement des relations économiques. Erdogan et Poutine se sont rendus visite à plusieurs reprises. A chaque fois, ils évitaient les sujets qui fâchent pour se concentrer sur des projets communs. Même si personne ne devrait tenter de mettre de l'huile sur le feu, la décision d'abattre l'avion russe risque d'être lourde de conséquences. Poutine a de la mémoire. Je pense qu'il le fera payer au niveau économique et financier. Les relations économiques entre les deux pays sont importantes. Notamment dans le domaine des hydrocarbures, essentiels pour la Turquie, qui n'en possède quasiment pas. 60 % du gaz et 12 % du pétrole consommés en Turquie viennent de Russie.

Atlantico : La Russie doit mettre en place le Turkish Stream, gazoduc reliant la Russie à l'Europe via la Turquie, et le groupe russe Rostom a commencé la construction de la première centrale nucléaire de Turquie. Si la Russie décide d'abandonner ces projets, l'économie turque en prendrait-elle un coup ?

Je ne pense pas que la Russie abandonnerait ces projets. Mais si elle le fait ça aurait des conséquences très néfastes pour la Turquie, c'est évident. La Turquie n'ayant pas d'hydrocarbure, le projet nucléaire est l'une des solutions pour la diversification énergétique du pays. Après un appel d'offres et des négociations assez serrées, les Russes ont été retenus. Probablement, parce que les Russes étaient moins chers, mais il y avait surtout la volonté turque de se rapprocher de la Russie. Si le projet de la centrale d'Akkuyu était abandonné, il faudrait procéder à de nouvelles négociations, ce qui prendrait beaucoup de temps.

Atlantico : La Turquie a-t-elle plus à perdre que la Russie en cas d'abandon de ces contrats ?

Les Turcs ont plus à perdre que les Russes, c'est certain. Il y a un réel besoin. Même si elle connait quelques difficultés aujourd'hui, l'économie turque est en expansion. La population turque croit, tout comme sa classe moyenne. Une classe qui consomme, donc une demande en hydrocarbures. Si ces projets énergétiques n'étaient pas mis en œuvre à temps, ce serait un facteur de déstabilisation pour la Turquie. Sa croissance économique, qui atteignait les 8% en 2011, est tombée à 2-3%. La marge de manœuvre est moindre.La Russie ne peut pas non plus se permettre de renoncer aux contrats passés avec la Turquie. L'économie russe n'est pas très florissante, c'est le moins que l'on puisse dire. De plus, elle subit la baisse du prix des hydrocarbures.

Atlantico : La décision d'abattre des avions russes pourrait-elle être une réaction aux bombardement des camions transportant le pétrole de l'Etat islamique en Turquie ?

Je n'ai pas la réponse mais si c'est le cas, ce serait une double erreur. Car, dans le débat international sur les moyens à mettre en œuvre pour affaiblir Daesh, on commence enfin à se préoccuper sérieusement de la question du pétrole. Les raffineries tenues par l'Etat islamique alimentent un marché noir. On pense à juste titre qu'en brisant ce trafic on affaiblira Daesh. Il est vrai qu'une grande partie de ces convois passaient par la Turquie. Mais si les Turcs abattent un avion russe pour empêcher les bombardements de ces convois, ils risquent de se mettre à dos une très large partie de la communauté internationale, qui tente de briser économiquement Daesh. La Turquie risquerait de s'isoler complètement.

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