Tarifs de l’électricité : un an de crise énergétique et des milliards de bouclier tarifaire, un an de perdu pour les Français…<!-- --> | Atlantico.fr
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L'exécutif va mettre une nouvelle hausse de 10 % du tarif réglementé de l'électricité, à compter du 1er août.
L'exécutif va mettre une nouvelle hausse de 10 % du tarif réglementé de l'électricité, à compter du 1er août.
©DENIS CHARLET / AFP

Faux pas

Après l'annonce d'une augmentation de 10% des tarifs de l'électricité au 1er août, les Français se sentent légitimement lésés.

Damien Ernst

Damien Ernst

Damien Ernst est professeur titulaire à l'Université de Liège et à Télécom Paris. Il dirige des recherches dédiées aux réseaux électriques intelligents. Il intervient régulièrement dans les médias sur les sujets liés à l'énergie.

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Jean-François  Raux

Jean-François Raux

Diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et titulaire d’un DESS de Droit Public Européen, Jean-François Raux a effectué la majeure partie de sa carrière au sein d’Electricité de France et de Gaz de France.

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Atlantico : L'exécutif va mettre une nouvelle hausse de 10 % du tarif réglementé de l'électricité, à compter du 1er août. De quoi dépendent les tarifs de l'électricité d’un point de vue technique ? Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Les tarifs réglementés de l’électricité ne sont normalement pas basés sur les coûts de production, mais largement sur les prix de marché européens, plus corrélés par le passé au prix du gaz qu’au coût de production de l’électricité. Même si cela est atténué par le dispositif ARENH. Comment expliquer cette hausse d’un point de vue technique ?

Damien Ernst : Les Français ont l’impression, à tort, que l'ancien prix régulé de l’électricité, était un prix qui était le juste coût pour leur  électricité. Avec ce tarif réglementé, vous payez pour tout : les réseaux de distribution, les réseaux de transmission et la commodité électrique. Mais  cet ancien prix  était complètement sous-estimé. Il est donc logique que le tarif réglementé augmente.

Le nouveau prix de 25 cents par kWh constitue un prix qui  ressemble plus à un coût réel de l'électricité.

 On note que dans ce tarif réglementé, pour la partie commodité électrique, les français bénéficient en toujours en partie d'une électricité nucléaire facturée aux alentours de 50 euros par MWh. Le tarif réglementé reste donc subsidié puisque le coût sur les marchés est actuellement entre 100 et 150 euros par MWh.

Je pense que dans le futur le tarif réglementé augmentera encore pour justement aligner la partie énergie de ce dernier sur le prix payé sur les marchés de gros.

Jean-François Raux : Les calculs de tarifs réglementés de vente étaient auparavant calculés sur les coûts de production d’EDF. Les couts du nucléaire et de l’hydraulique fil de l’eau entraient pour une large part dans le prix, il était complété par les moyens de pointe (gaz, charbon, hydraulique de pointe). Calculés de manière marginale, à la fois en puissance (KW) et en énergie (KWh), les tarifs reflétaient les coûts dits de développement du parc de production nécessaire pour satisfaire la consommation.  On collait donc au coût de production de l’électricité en France, du mix électrique français pour satisfaire la consommation française.

Avec l’Europe, il a fallu ouvrir le marché à la concurrence. Cette ouverture ne portait que sur la fourniture (commercialisation) d’électricité. Pas sur la production. En dehors de Direct Energie, personne n’a réellement investi dans la production. Dès lors, pour concurrencer les tarifs réglementés d’EDF, les concurrents doivent acheter leur électricité sur le marché. Si le marché est plus bas que les tarifs, tout va bien. Dès que le marché est plus haut, il est impossible pour eux de la faire. Les achats sont réalisés sur le marché de l’électricité, qui est devenu un marché européen. Or les coûts de production en France sont très nettement en-dessous. Depuis plusieurs années, avec les crises énergétiques, la guerre en Ukraine et la pandémie de Covid-19, les coûts européens se sont envolés. Ils sont corrélés avec ceux du gaz. Les tarifs du gaz se sont envolés au moment de la crise ukrainienne avec l’erreur commise par l’Allemagne sur sa dépendance au gaz russe et Nord Stream. Avec la fin du gaz russe, tout le monde avait peur de ne pas trouver assez de gaz. Son prix s’est envolé comme sur tous les marchés. Le prix de l’électricité a alors flambé.

Quand les prix s’envolent, sur le marché européen, il n’est pas possible de concurrencer des tarifs sur le marché français qui sont calculés sur les coûts de production (qui sont plus bas).

 Or avec la loi NOME en 2010, le principe de la contestabilité des tarifs a été mis en place . Pour qu’un concurrent, qui se source auprès de marchés, puisse concurrencer EDF, il fallait que les tarifs soient calculés sur la même base que le sourcing du concurrent et non plus sur les coûts de production d’EDF. Tout le monde pensait à l’époque que la concurrence avait beaucoup d’atouts et que les marchés seraient plus bas que les tarifs. C’est exactement le contraire de ce qu’il s’est passé.

On a donc modifié la construction des tarifs réglementés de l’électricité de manière à les rendre contestables dans tous les cas. Ces nouveaux tarifs ont été calculés sur la base des coûts du marché européen et non plus sur les coûts de production d’EDF.

Mais il fallait absolument que les clients français puissent aussi bénéficier du nucléaire pas cher que l’on considérait alors comme un acquis national. L’ARENH (loi Nome) a été inventé pour ce faire : il entrait, pour partie dans le calcul des tarifs réglementés, mais pour partie seulement. L’ARENH était neutre sur le plan concurrentiel. EDF pour ne pas créer de distorsion vendait aux concurrents de l’ARENH et fiançait ainsi, à pas cher, sa propre concurrence. Les concurrents pouvaient donc contester les tarifs d’EDF, les tarifs réglementés de ventes, calculés sur une base d’une partie d’ARENH, plus le complément au marché européen.

Le marché européen s’est envolé et les tarifs ont suivi cette flambée. Si vous regardez la délibération de la CRE, au 1er février 2023, elle proposait une augmentation de 99 %, résultant de la méthode de calcul inventée par elle, basée sur le marché. En effet,  la loi NOME avait transféré la responsabilité des tarifs de l’administration à la CRE.

La CRE est à l’origine de ce système bancal (voir ubuesque !) basé à la fois sur l’ARENH et le marché, sans lien avec les coûts de production en France.

Les tarifs de vente de l’électricité proposés par la CRE au 1er février 2023 augmentaient de 99 % pour les personnes ayant droit aux tarifs réglementés. Cela faisait craindre des faillites notamment pour les entreprises ou les boulangers.

Le gouvernement a donc décidé de déployer le bouclier tarifaire. Au 1er février, les tarifs n’augmenteront que de 15 %, selon l’engagement du gouvernement. Le gouvernement s’était engagé à limiter cette augmentation des tarifs pour toute l’année 2023.

Or le bouclier tarifaire coûte une fortune à l’Etat (33 milliards !!) et l’exécutif s’est décidé à réduire les dépenses.

En réalité, l’Etat rembourse au fournisseur la différence entre les 99% d’augmentation proposée par la CRE et les 15 % accordés par le gouvernement. Les fournisseurs se sourcent sur le marché, donc  99 % - 15% plus cher que ce qu’ils vendent !!  L’Etat prend en charge la différence !!

Ce système est démentiel !! En effet, il repose sur un calcul des tarifs règlementés de vente d’électricité complètement fictif, basé sur des règles de concurrence, pas sur la réalité des coûts de production en France.

La crise énergétique ne fait plus les gros titres et pourtant qu’avons-nous changé sur le fonctionnement du marché de l’énergie ? Qu’avons-nous changé au mode de formation des prix sur le marché de l’électricité ?

Damien Ernst : Rien n’a véritablement changé quant au fonctionnement du marché de l’énergie par rapport à ce que l’on connaissait avant la crise. Il n’y a pas eu de révolution régulatrice dans l’organisation des marchés. Il y a toujours le marché du jour avant, qui couple le prix du gaz au prix de l’électricité au travers de mécanismes algorithmiques assez complexes.  

Les mécanismes de formation des prix sont aussi les mêmes. La seule chose notable à remarquer est la forte émergence des marchés PPA pour le renouvelable qui vous permettent d'acheter de l'électricité renouvelable directement d'un producteur et dans le cadre d'un contrat d'approvisionnement long terme.

Jean-François Raux : Il n’y a pas eu de véritable changement. Les prix sont calculés sur le forward. Les prix sont projetés et anticipés par les marchés.

Plusieurs traders ont souligné que les marchés avaient largement surestimé l’impact de la crise énergétique. Les déficiences du nucléaire français ont entraîné une sur-réaction des marchés, en plus de celle des crises internationales. Tous ces facteurs-là ont fait que les prix à termes proposés en 2022 pour 2023 étaient délirants, d’où la fixation à des niveaux très élevés de prix pour les tarifs par la CRE : + 99% !! C’est du délire absolu.

Qu’avons-nous obtenu au niveau européen sur les sources d’énergie (sur le nucléaire et les  renouvelables notamment) ?

Damien Ernst : Nous remarquons au niveau européen un changement principal lié à cette crise énergétique : nous allons dans une direction où le nucléaire n’est plus ostracisé comme il l’était avant.

Il y a  un renouveau du nucléaire au niveau européen. Les législations européennes redeviennent moins hostiles par rapport au nucléaire. Le nucléaire est beaucoup plus reconnu maintenant en Europe comme une source d’énergie décarbonée importante pour lutter contre le réchauffement climatique. Il était auparavant discriminé par rapport aux énergies renouvelables.

En gros, cette crise énergétique a surtout permis de faire en sorte que le nucléaire redevienne dans les bonnes grâces de l’Union européenne. 

Jean-François Raux : Il n’y a pas eu d’évolution. Cela est actuellement en discussion au niveau européen. Le mécanisme européen à l’heure actuelle gomme complètement pour un Français l’avantage compétitif du nucléaire, en supposant que celui-ci marche bien  (les ennuis d’EDF ne sont pas éternels).

Si le nucléaire était à 70/80 €/MWH, on serait à des niveaux de tarif beaucoup plus raisonnable, même si plus élevés.

Le bouclier tarifaire, qui a coûté une fortune à la France, est-il un grand gâchis face aux règles européennes, en termes de concurrence au consommateur, comme l’a prouvé la crise récente ?

Damien Ernst : Le bouclier tarifaire a joué son rôle pendant la crise. Il a coûté extrêmement cher à l’Etat français. 

La France est en train d’évoluer vers des mécanismes où les boucliers tarifaires n’existent plus. Les français seront  exposés au prix des marchés. Cela n’arrange absolument pas EDF qui est très endetté d’offrir encore ce bouclier tarifaire aux Français.

L'ARENH (l’Accès Régulé à l'Électricité Nucléaire Historique) va sans doute aussi être supprimé. Il y aura juste des fournisseurs, comme dans beaucoup de pays européens, qui achètent leur électricité ou la produisent, et qui seront en compétition par rapport aux clients. Le tarif régulé n'existera sans doute plus que pour les personnes qui sont dans une grande précarité énergétique, comme c'est le cas dans de nombreux pays européens.

Jean-François Raux : L’Etat paye deux fois avec le bouclier tarifaire. L’Etat paye sa propre bêtise d’avoir accepté que les tarifs réglementés de vente soient indexés sur les prix de marchés européens et non pas sur les coûts de revient du parc français. C’est strictement aberrant. Pour respecter la règle européenne, pour que des fournisseurs puissent faire de la concurrence sur des tarifs réglementés de vente, on demande à l’Etat de payer une fortune pour pas que les clients voient leur facture augmenter malgré « l’immense bienfait de la concurrence » (rires).

La concurrence devrait apporter une baisse des prix. Or pour bénéficier de la concurrence, il faut payer beaucoup plus cher. C’est stupide. Cela coûte une fortune à l’Etat ou au consommateur.

Est-ce que le calcul de ces tarifs réglementés est en train d’évoluer ou de basculer ? Qu’est-ce que la situation actuelle et cette hausse nous disent sur l’avenir de la crise énergétique et du marché de l’énergie ? Quelles seraient les meilleures solutions à mettre en œuvre ?

Damien Ernst : Le gouvernement français va faire évoluer les tarifs jusqu’au moment où ils seront alignés sur le prix des marchés de gros. Les consommateurs ne verront plus l’utilité d’avoir ces tarifs régulés.

Pendant la crise énergétique, il y a eu une grande appétence pour ces produits régulés de fourniture. Cela conduit à des augmentations de prix. Les produits seront moins compétitifs vis-à-vis des produits de marché.

La France devrait faire évoluer le cadre de ces tarifs régulés et pourrait envisager de les supprimer. En prolongeant cette stratégie, l’Etat français risque de saborder EDF avec ces prix régulés.

EDF est l’entité qui paye pour ces tarifs régulés.  

Jean-François Raux : L’ARENH est jusqu’en  2025. Sera-t-il supprimé ? Puisque le mix électrique (la composition des différentes usines qui produisent de l’électricité : la part du nucléaire, des ENR, de l’hydraulique…) est de la responsabilité des Etats, il n’y aucune raison que ce mix qui a des coûts de production relativement pas chers ne bénéficie pas aux clients français.

Si le mix est de responsabilité nationale, les prix qui en découlent pour le client final, aussi !! C’est simple.

Quand est-ce que la France pourra récupérer la possibilité (à travers différents contrats) de retrouver des coûts de prix de vente en rapport avec le mix français et notamment le coût du nucléaire en France ?

Sinon les gens n’accepteront pas le nucléaire. Ils n’ont aucune raison de défendre le nucléaire s’ils n’en bénéficient pas en termes de prix de vente. Il faut que la France soit très ferme sur ce point.

Comment se calcule le prix de l’électricité et dans sa forme régulée ?     

Damien Ernst : Le prix de l’électricité, dans le tarif régulé, dépend de deux principaux composants.

Les tarifs de réseaux qui appliquent le tarif de distribution de l’électricité. Il s’agit du montant que les consommateurs payent à Enedis, le tarif de transport de l’électricité et les taxes (TVA, soutien aux énergies renouvelables).

Le tarif de calcul pour l’électricité régulée dépend donc de ces éléments.

Les 25 cents par KWh proposés pour les Français est un tarif qui reste extrêmement avantageux par rapport aux tarifs qui sont payés par d’autres pays qui ne bénéficient pas de ce tarif régulé.   

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