Surpris par la remontée de Trump dans les sondages ? Peut-être le moment de se préoccuper des électeurs américains plutôt que des mille et un défauts du candidat<!-- --> | Atlantico.fr
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Les idées prônées par Donald Trump sont les idées d’une grande partie de l’Amérique.
Les idées prônées par Donald Trump sont les idées d’une grande partie de l’Amérique.
©CHIP SOMODEVILLA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Le candidat Téflon sur les talons d'Hillary

Après des semaines très compliquées, Donald Trump remonte dans les sondages et rattrape la candidate démocrate, à nouveau malmenée par l'affaire des e-mails. Cette course-poursuite est révélatrice des deux campagnes très différentes menées par les candidats. Donald Trump a su se faire le porte parole d'un peuple oublié par ses élites.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico : Donald Trump dépasse de nouveau Hillary Clinton dans la course à la Maison Blanche, selon une étude réalisée par ABC News et le Washington Post. Après plusieurs scandales dont il est ressorti presque intouché, c'est Hillary Clinton qui chute à la suite de la réouverture de l'affaire des e-mails. Comment expliquer la résilience de Donald Trump et la fragilité d'Hillary Clinton ?

Jean-Eric Branaa : Le phénomène Trump ne cesse de nous poser des problèmes depuis maintenant plus de seize mois. Son discours a reposé, dans un premier temps, sur une dénonciation de la classe politique, les fameux "losers", qu’il fallait balayer. C’est par des attaques personnelles directes qu’il est entré en campagne, rompant ainsi d’emblée avec tous les codes qui permettent au système de survivre : si la politique est l’art du compromis et de la capacité à travailler les uns avec les autres pour le bien commun, cela implique donc de ménager les gens avec qui on va finir par travailler. Trump n’a rien eu à faire de cette règle et n’a pas hésité à attaquer frontalement : "Ben Carson est un illuminé, Jeb Bush est un mou, Rubio un incapable, Christie est gros, Cruz est fou, Perry est dépassé, Walker est un roquet et Forina –seule femme candidate chez les Républicains– est moche." Alors que personne n’aurait survécu politiquement à une telle entrée dans la campagne des primaires républicaines, Trump est sorti de cette saison des sélections en devenant le nominé du parti. Il ne s’est pas contenté de balayer ses adversaires et a également attaqué les thèmes classiques de la politique, le "politiquement correct" : on se souvient pêle-mêle des propos désobligeants sur Megyn Kelly, la présentatrice de Fox News, qui furent largement interprétés comme portant sur sa menstruation, il a également apporté son soutien à l’idée d’une base de données recensant les musulmans, s’est "moqué" d’un journaliste handicapé, a évoqué le retour à la torture comme "une bonne chose", a promis de déporter les immigrants clandestins, principalement les Mexicains, mais aussi les Syriens, de fermer les frontières, de s’en prendre aux Chinois, aux Russes, et a assuré que les musulmans avaient sauté de joie en voyant les tours du World Trade Center s’effondrer le 11 septembre 2001.

Rien à voir, donc, avec Hillary Clinton, qui reste coincée dans les codes traditionnels de la politique et dans le haut niveau d’exigence que l’on peut avoir pour un candidat à une telle fonction. Chaque faux-pas est pour elle une épreuve et il lui faut expliquer, justifier et clarifier sans cesse, là où Donald Trump écrase tout et ne s’embarrasse d’aucune excuse.  Ils ne jouent pas le même match ou, du moins, pas avec les mêmes règles.

Peut-on penser que l'une des sources de la résistance du candidat républicain c'est son électorat, qui ne serait composé que de gens à bouts, exaspérés et aveuglés – qui ne prêteraient donc pas attention aux scandales – ou ce constat est-il erroné ? Dans quelle mesure sont-ils conscients des défauts de Trump et pourquoi le choisissent-ils tout de même ?

Toute la réussite de Donald Trump a été possible car il s’est positionné comme l’ennemi des politiciens, de ceux qui parlent mais ne font rien. La virulence de ses propos l’a fait apparaître comme un homme courageux, qui n’a pas froid aux yeux et comme quelqu’un de différent qui, effectivement, n’était pas un politicien. Il n’y a pas eu de période d’observation et l’adhésion a été subite et totale : il a agrégé alors tous les déçus de la politique et tous les laissés pour compte. Très vite se sont ajoutés ceux qui ont pensé trouver dans son discours des revendications plus personnelles ou particulières : l’amour des armes, défendu avec force par ce candidat, la promesse de protéger les emplois liés aux énergies fossiles dans les Appalaches, ou de protéger les valeurs traditionnelles américaines, pour les plus conservateurs. Il a ainsi ringardisé tous les discours, qu’ils proviennent des politiciens, des journalistes, des universitaires ou autres commentateurs. Les attaques contre lui n’ont plus fonctionné, ses outrances ont été excusées par ses nouveaux supporters et ont même fini par constituer le socle d’un folklore Trumpien, qui a fini par devenir sa marque de fabrique. On a effectivement trouvé parmi ceux-là des gens à bout, exaspérés et aveuglés, mais ils ne sont pas les seuls. En persistant à l’ignorer, on a laissé Trump prospérer. Aujourd’hui, 45% des électeurs américains le choisissent : il n’y a pas que la colère qui guide ce choix. Ou alors l’Amérique irait vraiment très mal.

Qu'est-ce que ce choix fait sciemment par des Américains qui préfèrent Trump à Clinton traduit du "mal politique" qu'elle représente ? Peut-elle s'arracher à cette image très ancrée dans l'opinion ?

On va très certainement longtemps écrire pour trouver la réponse à cette question. On remarque que les idées de Donald Trump sont les idées d’une grande partie de l’Amérique. On constate aussi que les Etats-Unis sont extrêmement divisés à la veille de cette élection historique. Une des craintes n’est-elle d’ailleurs pas que l’insurrection succède à l’hystérie de cette campagne ? Beaucoup ont glissé vers un extrémisme qui ne s’est pas vu à un tel point depuis bien longtemps dans ce pays. Même les excès de la campagne de 2008, marquée par les attaques racistes contre celui qui allait devenir le premier président noir, sont bien en deçà de ce que l’on peut voir aujourd’hui dans certains endroits, en Amérique. La représentation politique est très certainement en crise : les politiciens, les journalistes, les élites n’ont pas perçu l’attente d’une population beaucoup plus éduquée aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a 30 ans, qui revendique le droit de participer à tous les niveaux des décisions, qui s’exprime au travers des réseaux sociaux et s’informe par ce même biais. La réflexion doit être réorientée par les décideurs pour permettre une prise en compte de cette nouvelle demande et aboutir à un nouveau contrat entre le peuple et ses représentants. Pour être complet, on observe quelques balbutiements et tentatives pour aller dans ce sens. Mais la route semble encore longue pour satisfaire tous ceux qui sont désabusés et veulent donner un grand coup dans la fourmilière d’un pouvoir qu’ils jugent sclérosé.

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