Super-profits : commençons par revenir à un vrai marché libre<!-- --> | Atlantico.fr
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Le nouveau logo de TotalEnergies lors de sa cérémonie de dévoilement, à La Défense, le 28 mai 2021
Le nouveau logo de TotalEnergies lors de sa cérémonie de dévoilement, à La Défense, le 28 mai 2021
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Sens des priorités

Il fallait s’y attendre. Chaque nouvel épisode de crise relance automatiquement la chasse aux « profiteurs » de crise. « Amazon se gave ! » lançait Roselyne Bachelot en novembre 2020, au cœur du débat sur les restrictions d’activité anti-Covid. Vite, boycottons Amazon, taxons son chiffre d’affaires, ramenons de la sobriété et de la justice sociale dans ce monde de brutes ! Aujourd’hui même combat : haro sur le transporteur maritime CMA-CGM, haro sur le pétrolier TotalEnergies, haro sur tous les profits trop gigantesques pour être honnêtes.

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer est née en 1962. Elle est diplômée de l’ESSEC et a travaillé dans le secteur de la banque et l’assurance. Depuis 2015, elle tient Le Blog de Nathalie MP avec l’objectif de faire connaître le libéralisme et d’expliquer en quoi il constituerait une réponse adaptée aux problèmes actuels de la France aussi bien sur le plan des libertés individuelles que sur celui de la prospérité économique générale.
 
https://leblogdenathaliemp.com/

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Du côté des extrêmes de gauche comme de droite, l’affaire est entendue : il faut taxer les « superprofits » que les entreprises ont réalisés à la faveur des crises Covid et guerre en Ukraine. Du côté du gouvernement, en revanche, la situation est plus confuse. Emmanuel Macron n’a pas mâché ses mots pour fustiger les « profiteurs de guerre », mais au sein de son gouvernement, le ministre de l’Économie a commencé par écarter l’idée d’une taxation spéciale tandis que la Première ministre préférait « ne pas fermer la porte » sur une telle mesure. Une confusion plus formelle que fondamentale car au final, tout le monde est d’accord pour taxer les superprofits.

Il faut se rappeler que Bruno Le Maire a passé ces derniers mois et ces dernières semaines à nous expliquer à quel point le gouvernement avait merveilleusement protégé les Français face aux difficultés engendrées par la pandémie, et maintenant face à l’inflation – tout cela sans augmenter les impôts. Mieux, « non seulement, il n’y aura pas d’augmentation d’impôts, mais nous continuerons de baisser les impôts », expliquait-il cet été au moment du vote sur le paquet « pouvoir d’achat ».

Rectifions. Sans augmenter les impôts, peut-être – et encore faut-il remarquer que pour les propriétaires, la suppression pas encore achevée de la taxe d’habitation est en train d’être largement annulée par une taxe foncière en pleine croissance. Mais quand on s’appuie sur la dette au point de l’avoir fait caracoler de 98 % à 114,5 % du PIB entre décembre 2019 et mars 2022, il devient pratiquement mensonger de se féliciter de sa grande sobriété fiscale. Surtout lorsqu’on est déjà le pays champion du monde des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques.

En parlant de dette, justement, il fut une époque où il était de bon ton d’y recourir pour un oui ou pour un non tant elle ne coûtait rien. Or ce n’est plus du tout le cas. La charge de la dette française s’est remise à augmenter en 2021 et elle va continuer à s’alourdir du fait de l’inflation sur laquelle une partie des emprunts publics sont indexés et du fait de la remontée des taux opérée par les banques centrales pour contrecarrer l’inflation.

Nous arrivons donc à ce moment critique (sur lequel des empêcheurs de tourner en rond comme les magistrats de la Cour des Comptes avaient pourtant lancé de nombreuses alertes) où l’on commence à se dire qu’il va bien falloir que quelqu’un paye. Problématique bercynoise : comment faire pour amener plus d’agent dans les caisses du Trésor public sans trop se désavouer et sans parler d’impôt ? En s’appuyant sur « un mécanisme de contribution européenne ». Bref, une taxe. Mais si cela vient de l’Union européenne, on pourra dire que « tout le monde le fait », ce qui prouvera que c’était la « bonne solution ».

À entendre nos subtils politiciens s’exprimer, il y a pourtant largement de quoi en douter. Si l’on en croit Mme Borne, « les entreprises qui font des super profits doivent rendre du pouvoir d’achat aux Français ». Le député Renaissance Sacha Houlié demandemême que les entreprises « rendent de l’argent » aux Français. Comme si l’acte de vente des entreprises à un certain prix agréé par l’acheteur était du vol. 

Dans les faits, les entreprises ont bel et bien fait des gestes en faveur des consommateurs face à l’inflation. TotalEnergies s’y est mis en consentant une ristourne de 20 centimes par litre vendu sur ses carburants jusqu’e à fin novembre, CMA-CGM s’y est mis, la grande distribution s’y est mise. Mais cela ne vaut pas. Les profits continuent à être perçus comme un gain illégitime, honteux, presque criminel, qu’il convient d’encadrer au maximum via la fiscalité, le blocage administratif des prix et la détermination administrative des salaires. 

Il ne faudrait pourtant pas oublier que les superprofits qu’il est aujourd’hui question de taxer plus ont déjà subi l’impôt sur les sociétés (à 25 %) comme tous les profits. N’oublions pas non plus que s’agissant des ventes de carburants, l’État prélève des taxes tellement élevées sur la consommation (TICPE et TVA) qu’elles finissent par représenter beaucoup plus que le prix hors taxes des produits. Si certaines entreprises « se gavent » (pour reprendre l’élégante formule de l’ancienne ministre de la Culture), l’État aussi, automatiquement.

Quant aux profits qui restent dans l’entreprise, ils représentent les investissements de demain, donc les emplois et les salaires de demain. Comme disait déjà Vauban aux alentours de 1700, « l’argent du royaume le mieux employé est celui qui demeure entre les mains des particuliers où il n’est jamais inutile ni oisif. » Peut-être l’État pourrait-il commencer lui-même à « rendre de l’argent » aux Français. Mais évidemment, il faudrait alors envisager de baisser les dépenses publiques, abolir la politique systématique des chèques « pouvoir d’achat » ou des primes « remise en selle vélo » – bref, mettre fin à ce petit clientélisme redistributif qui fait toute la carrière d’un politicien.

Du reste, quand peut-on commencer à parler de résultats exceptionnels ? Face à l’inflation, les entreprises spécialisées dans les produits low cost bénéficient actuellement d’un regain d’attention de la part des consommateurs, engrangeant ainsi chiffre d’affaires et marge supplémentaires. Va-t-on considérer qu’elles prospèrent sur la crise ? A contrario, les entreprises de e-commerce qui avaient vu leurs ventes augmenter significativement pendant la période des confinements Covid ont enregistré un recul de 15 % au premier trimestre 2022 par rapport à la même période de 2021.

Enfin, dans ce débat fiscal sur les superprofits, difficile de ne pas repenser au texte de Ludwig Von Mises intitulé « Sur un marché libre, aucun profit n’est ‘excessif’ ! »

Tandis que chez nous, en France, tout discours consensuel sur les méthodes pour éradiquer la pauvreté, le chômage, les injustices sociales, passe obligatoirement par la condamnation des « profits excessifs » réalisés par les entreprises et celle des dividendes non moins scandaleux qu’elles versent à leurs actionnaires, Mises nous donne un autre aperçu du profit. Il le replace dans sa réalité économique et lui réattribue toute sa valeur sociale.

Sous un titre clairement polémique, il explique que ce n’est jamais le capital qui génère les profits, mais la bonne utilisation de ce capital. « C’est de l’intelligence de l’entrepreneur, de son travail de réflexion, que les profits émergent en dernier ressort. » Il en résulte que « l’une des fonctions principales du profit consiste à placer le contrôle du capital entre les mains de ceux qui savent comment l’employer au mieux pour la satisfaction du public. »

Mais voilà, il est bien précisé que tout ceci est vrai sur un marché libre. Les superprofits dont on parle ont-ils été réalisés dans le cadre d’un marché parfaitement libre ? Ceux de CMA-CGM ont été obtenus parce que la brusque reprise de l’activité post-Covid a créé des goulots d’étranglement dans les chaînes de production et de transport, avec pour résultat de faire monter les prix face à une offre trop faible par rapport à la demande. Autrement dit, les profits du transporteur dérivent directement des politiques anti-Covid imposées par les gouvernements.

Sur le marché de l’énergie, la perturbation vient certes de la rupture des échanges avec la Russie, mais également d’une réglementation tarifaire (sur l’électricité notamment) qui se révèle si insatisfaisante que les ministres de l’énergie des pays de l’Union européenne se sont réunis spécialement vendredi dernier pour l’amender – sans aboutir à ce jour. 

Alors oui, il arrive que des crises surviennent. Il arrive que des chocs externes qui perturbent l’offre ou la demande se produisent, plaçant certains acteurs en position favorable et d’autres en position défavorable. Mais l’on sait, avec Jacques Rueff par exemple, qu’elles sont souvent favorisées par trop de régulation initiale mal goupillée et que les réponses à ces crises par distorsions volontaristes sur les prix ou les salaires, donc sur les profits, a pour effet systématique de les prolonger par brouillage du signal des prix puis cascade de mauvaises décisions prises en méconnaissance de cause.

La bonne idée, pour les consommateurs comme pour les producteurs, ne serait-elle pas de revenir à un marché aussi libre possible ?

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