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Souffrez-vous de la selfite ? Ne riez pas, l’obsession pour le selfie a été reconnue comme une véritable maladie par des experts
©REUTERS/Jacky Naegelen

Quoi de neuf docteur ?

L'association américaine de psychiatrie a introduit comme nouveau trouble mental la "selfitie", maladie qui consiste à prendre compulsivement des selfies.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico : L'association américaine de psychiatrie a introduit comme nouveau trouble mental la "selfitie", maladie qui consiste à prendre compulsivement des selfies. Qu'est-ce qui distingue un pratiquant lambda des selfies d'une personne atteinte de selfitie ?

Pascal Neveu :C’est en 2014 que le terme « selfitie » a été inventé et est rentré dans le champ de la psychiatrie américaine.

Les USA sont très créatifs dans la découverte et définition de nouveaux troubles mentaux, d’autant plus que les comportements jugés comme « excessifs » liés à l’utilisation d’internet, des smartphones, de leurs applications sont très étudiés, surtout depuis les fameuses addictions aux jeux vidéo et plusieurs décès.

Ainsi, ils définissent la selfitie comme « le désir obsessionnel-compulsif de prendre des photos de soi-même et de les afficher sur les médias sociaux pour compenser le manque d'estime de soi et combler un vide dans l'intimité ».

Selon l’Association Américaine de Psychiatrie, y aurait trois niveaux de troubles :

- limite : prendre des photos de soi-même au moins trois fois par jour sans les publier sur les réseaux sociaux (56% des utilisateurs)

- aigu : prendre des photos de soi-même au moins trois fois jour et affichage de chacune des photos sur les médias sociaux (35% des utilisateurs)

- chronique : avoir une envie incontrôlable de prendre des photos de soi et d'afficher les photos sur les médias sociaux plus de six fois par jour (9% des utilisateurs)

La critique de l’étude est très forte, car le « public » étudié est Indien (pays qui compte le plus de décès suite à des prises de selfies dangereuses : à ce jour 76 décès sur un total de 127 dans le monde), et, pour 90%, est âgé de moins de 25 ans…

C’est néanmoins le pays où l’utilisation des smartphones et notamment de Facebook est la plus forte au monde.

Cette population étudiée ne représente donc en aucune façon la diversité socio-culturelle mondiale.

Aussi, il est difficile de distinguer de manière formelle un utilisateur « lambda », d’un véritable « addict », si ce n’est cette échelle de valeur

Autre trouble étudié et lié aux nouvelles technologie : la nomophobie, ou la peur de ne pas avoir un portable à portée de main. Quels sont les ressorts de cette phobie ? Y a-t-il un lien entre les deux pathologies ?

Les chercheurs se sont amusés à demander à des étudiants d’éteindre leur smartphone pendant 10 minutes et mesurer le délai supportable.

En France, plus de 75% des étudiants parviennent sans difficulté à ne pas rallumer leur portable. En Inde, 70% des étudiants sont incapables de ne pas utiliser leur téléphone dans le délai imparti.

Être « connecté » joue sur notre quotidien, notre façon de vivre, en redéfinissant la relation à autrui, ce qui a forcément une incidence sur nos comportements d’interaction avec l’environnement.

A l’origine outil de communication, d’échange «basiquement » téléphonique, le smartphone est devenu un outil ludique, où l’on exhibe sa vie, en repoussant les frontières d’un intime tel que nous le vivions jusqu’à présent, et d’un relationnel qui se redéfinit en étant capable dorénavant d’être en contact immédiat avec un grand nombre de personnes éloignées.

Quand nous sommes en contact via la main avec notre smartphone, nous sommes en lien avec l’autre, avec une certaine dimension affective.

C’est cette relation au miroir et à la façon dont on ouvre une fenêtre à l’autre afin qu’il nous voit, qui crée un lien de dépendance avec le smartphone, voire un lien affectif (choix du smartphone, personnalisation de la coque, fond d’écran), jusqu’à pouvoir accepter le prix exorbitant du dernier Iphone X.

Car en effet, le miroir est bien le premier objet de prise de contact avec notre Moi, avec notre identité.

Tant que l’enfant ne se reconnaît pas dans un miroir, il ne se vit pas dans une relation psychique et physique détachée de sa mère. Il lui faudra attendre le stade du miroir vers 7-9 mois.

Aussi, les smartphones connectés, ainsi que les selfies, permettent à la fois de jouer sur notre propre indépendance et la liberté de notre Moi, mais également de continuer à vivre une relation avec autrui auquel on montre qui on est (le visage ou une partie du corps habillé ou dévétu), on joue à montrer ce qu’on n’est pas (masquerade selfie), et on montre ce que l’on vit (seul ou accompagné, dans un lieu ou chez soi…)…

C’est certainement une des composantes de l’angoisse qui saisit celle ou celui qui est séparé de son smartphone, tout comme le nourrisson dont la mère est éloignée et ne réapparaît pas.

La «nomophobie», tout comme la «technoference» (intrusions constantes de la technologie dans la vie quotidienne) ou encore la «cyberchondrie» (se sentir malade après avoir cherché en ligne les symptômes de maladies), sont de nouvelles terminologies qui apparaissent et fleurissent.

Il ne s’agit pas à proprement parler de pathologies, mais du reflet de l’impact à une vie de plus en plus connectée, et les changements de comportement qui s’opèrent.

C’est aussi une redéfinition complète de notre identité qui évolue dans le lien avec l’objet machine connectée.

Faut-il s'attendre à ce que les nouvelles technologies façonnent chacune leurs propres pathologies et troubles associés ? Quelles en sont les spécificités ?

L’étude des comportements liés aux nouvelles technologies n’est pas l’unique propriété du champ de la psychiatrie. Il relève également de la sociologie.

Dire immédiatement que la « selfitie » va influencer sur l’expression de symptômes et troubles psychopathologiques serait réducteur.

En effet, par exemple, concernant les selfies, tout est question d’âge.

Le comportement est devenu plus endémique et constitue une activité très populaire parmi les adolescents et les jeunes adultes (en % de  d’utilisateurs)

-       de 16 à 20 ans : 56%

-       de 21 à 25 ans : 34%

-       de 26 à 30 ans : 6,75%

-       après 30 ans : 3,25%

Les hommes sont un peu plus utilisateurs que les femmes (58% contre 42%). La majorité des selfies sont collectifs et non un selfie-miroir.

Comme dans tout, il y a du positif et du négatif.

Bien que la dimension narcissique ait un effet non négligeable sur la prise de selfies, d'autres chercheurs ont indiqué que l'attrait social était la principale motivation pour poster des selfies. Principalement chez les preneurs et posteurs de selfies qui tentent de se donner un plus grand attrait par rapport aux autres au sein des réseaux sociaux.

C'est le fameux regard/miroir de l’autre.

La recherche de l'attention, la solitude et le comportement égocentrique ont également une relation significative avec l'autosatisfaction provoquée par la prise et la publication de selfies.

Les réactions des « suiveurs », « likers », commentateurs de selfies jouent beaucoup sur la confiance en soi et la modification de l’humeur.

Mais cela n’est pas sans provoquer une compétition sociale et questionner une certaine conformité subjective. Le jeu du selfie est donc biaisé face à ces paramètres.

En conclusion, la prise de selfie n’est pas qu’un phénomène de mode.

De tout temps on faisait réaliser son portait par des artistes peintres ou sculpteurs. Puis vint la découverte de la photographie.

Actuellement c’est la perche à selfie qui est entrée dans notre quotidien.

On se photographie, on se filme, on se montre là où il faut être à un instant donné, et jouer sur une reconnaissance existentielle, un peu comme si on clamait à l’autre : « Tu vois, moi j’y suis, pas toi ! ».

Aujourd’hui l'autoportrait est devenu une activité de loisir majeure grâce aux fonctions améliorées des médias sociaux. L'amélioration de la technologie ainsi que la connectivité universelle via les appareils mobiles encourage les utilisateurs à publier, télécharger et partager leurs selfies via les réseaux sociaux.

Face à ces nouvelles habitudes, nous verrons certainement évoluer des traits de personnalité, une cognition et des attitudes différentes, surtout dynamisées par l’utilisation très importante des jeunes.

Preuve en est que les stars, les politiques et même le Pape François se lancent dans ce phénomène.

La « selfitie » ne peut pas être qu’une question de narcissisme. Elle est également identitaire et existentielle.

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