Sortir la Grèce… ou l’Allemagne de la zone euro ? Pourquoi la solution n’est pas si évidente<!-- --> | Atlantico.fr
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La Grèce dans le viseur
La Grèce dans le viseur
©Reuters

Et si...

En plein sommet de l'Union européenne, le cas grec est encore en débat parmi les chefs d'Etat et de gouvernement. La sortie du pays de la zone euro est toujours envisagée. Mais la Grèce n'est pas le seul pays à qui l'on peut reprocher de ne pas être "dans les clous". A l'autre bout de l'échelle, l'Allemagne ne joue pas tout-à-fait son rôle.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : En marge du sommet européen, les chefs d'Etat et de gouvernement vont aborder de nouveau la possibilité du "Grexit", c'est-à-dire la sortie de la Grèce de la zone euro. Elle est jugée comme une menace et accusée de "ne pas jouer le jeu". Concrètement, et même si l'on peut concevoir que la Grèce ne soit pas un moteur actuellement pour l'union monétaire, quels impacts néfastes a-t-elle sur l'euro ? Est-elle vraiment responsable ?

Mathieu Mucherie : Les responsabilités sont partagés etre les Grecs et la zone euro. Côté grec, les choses sont claires depuis des années. Le pays a de graves problèmes structurels et des faiblesses de fonds. Elle a rejoint une zone monétaire qui ne correspond pas à son contexte, se coupant ainsi de la possibilité de dévaluer. Là où la transparence n'a pas été faite, c'est autour de la responsabilité de la zone euro. C'était une erreur que d'intégrer la Grèce dans l'euro. Il n'y a pas eu de signes annonciateurs, du fait d'un pacte de stabilité mal calibré, et les institutions se sont rendu compte du problème en octobre 2009. Enfin, dans la manière dont a été géré le dossier, il y a eu un refus de monétariser le problème. Et, pour finir, on a constitué une "troïka" car on a  refusé de faire des dons pour ne proposer que des prêts, ce qui fut une erreur. Cette troïka a été inefficace et a traité la Grèce comme jamais le FMI n'aurait osé le faire. Cela n'exonère en rien les Grecs eux-mêmes, mais dans une union monétaire on ne peut pas traiter les problèmes comme s'il n'y avait pas une nécessité de solidarité. Et on a considéré que le cas grec n'était qu'un problème de liquidités pour lequel on a imposé des taux d'intérêt punitifs à 4,5% pour un pays avec un PIB nominal en recul de 5%... Syriza eu ainsi tous les arguments pour arriver au pouvoir, et ils ne risquent pas de faire des réformes structurelles. Cette situation me fait un peu penser à la formule de Douglas MacArthur "Les batailles perdues se résument en deux mots : 'trop tard'". Cette responsabilité partagée devrait au moins faire envisager de revenir sur une partie de cette dette, voire de l'annuler. Une position de plus en plus répandue.

Le principal détracteur de la Grèce est l'Allemagne, à qui d'autres pays membres reprochent (à demi-mot) le rôle qu'elle fait jouer à l'euro, pour son seul profit (ou du moins pour sa seule vision). Si l'Allemagne sortait de la zone euro, l'union monétaire serait-elle finalement plus homogène, et donc plus efficace ?

C'est une question que l'on peut se poser bien sûr, mais uniquement sous la forme d'une boutade. Une zone euro sans l'Allemagne ne peut pas être une zone euro. On ne peut pas faire l'Europe de la défense sans les Anglais, on ne peut pas faire l'Europe de la monnaie sans l'Allemagne. Pourquoi ? Parce que les Allemands sont les seuls qui tiennent un débat monétaire en interne dans leur pays, chose complètement absente en France. Il faut un pays "ancre", qui assume des responsabilités (ce que ne fait pas complètement l'Allemagne).

Donc, soit on fait une union monétaire avec une Allemagne qui doit accepter ses responsabilités d'un leadership monétaire, en étant solidaire et prêteur en dernier ressort ; soit on veut un démantèlement de l'euro, mais dans ce cas il faut le dire clairement. L'Allemagne veut les avantages, notamment la domination à Francfort, mais ne veut pas en payer le prix.

Les spéculations vont bon train pour savoir si la sortie d'un petit pays de la zone euro (comme la Grèce) pourrait faire exploser la monnaie unique. Concrètement, la sortie d'un pays peut-elle mettre fin à l'euro, ou le rendre sans intérêt ? Et à partir de quelle "taille critique" ?

C'est une situation assez expérimentale car en réalité, on ne le sait pas. Concrètement, on ignore quelle est la réalité de l'argument allemand de la contagion, de cette "théorie des dominos". On a vu que cela pouvait fonctionner en effet en 2010-2011 avec la contagion sur le spread périphérique. Si la Grèce sort, les marchés peuvent se retourner sur Chypre, le Portugal ou l'Espagne. On ne sait pas dans quelle mesure il y a un "quantitative easing" ou des mécanismes de sauvegarde portés par la BCE qui peuvent tuer cette théorie des dominos. Il n'y avait rien de cela en 2010-2011.

Au niveau politique par contre, un pays peut tout-à-fait partir de l'euro. Les traités ne l'autorisent pas mais ils sont faits pour être bafoués… Le fait est que la Grèce ne le veut pas, et la règle de l'unanimité empêche de la faire sortir par la contrainte. Ce qu'il pourrait se passer, c'est que les autres pays européens mettent une telle pression sur la Grèce que le soutien de l'opinion greque pour l'euro passe des 60% d'aujourd'hui à 40%, pour leur faire porter le chapeau de leur départ. Mais, bien sûr, c'est beaucoup plus insidieux. Finalement, le seul pays qui serait tenté, non pas par une sortie, mais par un challenge plus fort que la situation actuelle, c'est… l'Allemagne.

Les problèmes que rencontre la zone euro reposent-il finalement sur la nature, la situation macroéconomique ou budgétaire des pays qui en sont membres ? Où est vraiment la marge de manoeuvre pour pérenniser l'euro ?

L'euro devrait surtout rentrer dans les cœurs. Aux Etats-Unis, on n'imagine pas l'Arkansas ou le Massachusetts ne plus vouloir du dollar. L'euro peut marcher de lui-même s'il y a une fédéralisation, ou une telle réussite économique qu'il devient absurde d'en sortir. Mais c'est son impossibilité à être "vissé" dans les esprits qui le rend bancal. Et le problème que nous montre l'histoire c'est que, dans la durée, tous les régimes de change fixe entre des Etats qui ne sont pas allés jusqu'à la fédéralisation ont fini par éclater (à part le système Hong-Kong/Etats-Unis depuis 1983). Il y a toujours un schéma où les déséquilibres s'accumulent et où tout fini par sauter à la première grosse crise. Et le temps peut être très long avant l'implosion, cela dépend de jusque où sont prêts à aller les gens pour faire tenir le système. Mais le change fixe se termine toujours mal.

Actuellement, il y a quand même un petit changement : la baisse de l'euro, qui est une forme de dévaluation. Cela permet au système de tenir. Il y a donc une bouffée d'air pour une survie de l'euro pour plusieurs années supplémentaires. Et c'est très important pour un pays comme la Grèce, qui perdait chaque année de la compétitivité par rapport à son voisin turc, par exemple. C'est important de le noter. D'ailleurs, paradoxalement la Grèce est aujourd'hui en danger de sortir de la zone, justement au moment où les choses s'améliorent un peu pour elle. 

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