Sommet européen : et au fait, quel bilan pour la présidence française de l’Union ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Quel est le bilan de la présidence française de l’Union européenne (PFUE) face aux évènements survenus en Ukraine ?
Quel est le bilan de la présidence française de l’Union européenne (PFUE) face aux évènements survenus en Ukraine ?
©Ludovic MARIN / POOL / AFP

On allait voir ce qu’on allait voir

Alors que les 27 se réunissent ce jeudi et vendredi, la question de l’adhésion de l’Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie sera au cœur des discussions. Mais ce sommet marquera aussi la clôture des 6 mois de leadership français.

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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Guillaume Klossa

Guillaume Klossa

Penseur et acteur du projet européen, dirigeant et essayiste, Guillaume Klossa a fondé le think tank européen EuropaNova, le programme des « European Young Leaders » et dirigé l’Union européenne de Radiotélévision / eurovision. Proche du président Juncker, il a été conseiller spécial chargé de l’intelligence artificielle du vice-président Commission européenne Andrus Ansip après avoir été conseiller de Jean-Pierre Jouyet durant la dernière présidence française de l’Union européenne et sherpa du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe (Conseil européen) pendant la dernière grande crise économique et financière. Il est coprésident du mouvement civique transnational Civico Europa à l’origine de l’appel du 9 mai 2016 pour une Renaissance européenne et de la consultation WeEuropeans (38 millions de citoyens touchés dans 27 pays et en 25 langues). Il enseigne ou a enseigné à Sciences-Po Paris, au Collège d’Europe, à HEC et à l’ENA.

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Atlantico : Alors que les 27 se réunissent ce jeudi et vendredi, la question de l’adhésion de l’Ukraine de la Moldavie et de la Georgie sera au cœur des discussions. Mais ce sommet marque aussi la clôture des 6 mois de leadership français. Quel était l’impact du contexte ukrainien sur la présidence ? Quel bilan pour la présidence française de l’Union européenne (PFUE) face aux évènements survenus en Ukraine ?

Rodrigo Ballester : Nous avions déjà prévenu en janvier à quel point il était difficile de juger une présidence de l’UE, car six mois à l’échelle de l’Europe, c’est très court. Chaque présidence a finalement une influence limitée. En plus, celle-ci était marquée, (donc écourtée et limitée),  par les élections présidentielles et législatives. Et finalement, l’agression russe a complètement changé la donne et monopolisé l’agenda. Je ne me souviens pas d’une présidence aussi atypique et mouvementée et il faut la juger à l’aune de ces circonstances exceptionnelles.

En ce qui concerne l’agenda annoncé, certains dossier importants ou tout du moins sensibles comme le numérique, le salaire minimum européen, les quotas de femmes dans les conseil d’administrations ont été menés à bon port. Ce n’est pas négligeable. Certes, l’effet « présidence » ne consiste finalement qu’à transformer l’essai de dossiers existants, mais la France a réussi à le faire.

En ce qui concerne l’Ukraine, six paquets de sanctions ont été adoptés, le sommet de Versailles de la mi-mars constitue une véritable feuille de route et la Facilité Européenne pour la Défense qui végétait dans les tiroirs a été activée pour acquérir des armes pour Kiev. Ces progrès ne sont pas à mettre seulement au crédit de la France, loin de là, mais ils ont eu lieu sous sa Présicence, c’est indéniable. 

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Combien de temps l’Union européenne sera-t-elle capable de maintenir son unité face à la Russie (et aux États-Unis…) ?

Guillaume Klossa : C'est une présidence qui se sera tenue à un moment critique de l’histoire européenne. C’est le moment où l’Union connaît une guerre barbare et massive à ses frontières et où elle a l’opportunité et le devoir de s’affirmer comme puissance géopolitique dans un monde qui n’est plus européen ni occidental. La France qui préside le Conseil de l’UE dans ces circonstances exceptionnelles, à l’heure de la guerre imposée la Russie à l’Ukraine, a joué un rôle décisif pour maintenir une cohésion européenne et créer les conditions d’un engagement majeur et inédit de l’UE auprès d’un pays voisin attaqué. Elle a mis toute sa volonté politique avec l’engagement permanent de la présidence de la République et sa force administrative et diplomatique, qu’il s’agisse du secrétariat général aux affaires européennes et du Quai d’Orsay, avec la représentation permanente auprès de l’Union aux avant-postes, notre ambassade à Bruxelles, pour gérer cette crise et ses conséquences économiques, sociales, géopolitiques, énergétiques et alimentaires. La liste de ce qui a été réalisé est à cet égard impressionnant. On pense bien sûr aux six paquets de sanctions contre la Russie; Le soutien économique, humanitaire, financier, commercial, militaire et alimentaire sans précédent à un état voisin de l’Union s’est fait sous l’impulsion française ; La PFUE a également été clé pour garantir une réponse unifiée face aux conséquences diverses de la guerre notamment dans les domaines énergétiques, économiques, alimentaires ainsi qu’humanitaire avec l’accueil de près de six millions de réfugiés. Elle s’est enfin engagée pour offrir aux Ukrainiens un horizon européen. C’est d’ailleurs l’objet du Conseil européen de juin qui devrait accorder le statut de candidat à l’UE à l’Ukraine. Ce bilan « géopolitique » de la PFUE doit être d’autant plus salué que rien n’avait pu être anticipé puisque personne n’avait prévue qu’une guerre majeure éclate aux frontières de l’Union en pleine présidence française. 

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Europe pleinement souveraine, Un Nouveau modèle européen de croissance et une Europe à taille humaine, tel était le triptyque présenté par Emmanuel Macron pour la PFUE. Les choses ont-elles avancé sur ces aspects en dépit de la priorité donnée à l’Ukraine?

Rodrigo Ballester : Attention aux slogans grandiloquents. Macron aurait au moins dû être président de la Commission ou du Conseil pendant cinq ans pour qu’ils aient un peu de sens et ne soient pas des déclarations aussi vides que prétentieuses. Une Europe pleinement souveraine, un nouveau modèle de croissance et des institutions vraiment proches des citoyens, en six mois, vraiment ? En plus, la guerre a totalement rebattu les cartes. Franchement, il n’y a aucun intérêt à faire le bilan de la Présidence française à l’aune de ces « éléments de language ».

Sans pour autant parler d’un bilan médiocre, loin de là. Ce qui compte, c’est la capacité d’un pays d’ accélerer ou clôturer des dossiers complexes ou épineux qui étaient dans les tuyaux bien avant que sa Présidence ne commence.  La France a-t-elle imprimé cet élan ? A mon avis, plutôt oui. Que ce soit sur la réciprocité de l’accès aux marchés publics dans le commerce international, le mécanisme d’ajustement carbone, la législation sur les marchés numériques (le « Digital Markets Act »), le salaire minimum en Europe ou les quotas de femmes dans les conseils d’administration, la France a sû faire avancer ces dossiers, quoi qu’on pense du résultat final ou de la pertinence de ces initiatives.

Par contre, très peu de progrès sur la migration avec un Pacte européen qui fait du sur place et un bilan noirci par la démission fracassante du Directeur de Frontex qui a fait éclater au grand jour le manque d’appétit de l’Europe pour contrôler ses frontières et l’influence démesurée des ONGs.

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Finalement, la France a également clôturé sous sa présidence la Conférence sur l’Avenir de l’Europe, ample consultation des citoyens qui n’aura absolument pas tenu ses promesses. Une vaste gesticulation pour qu’une infime minorité de citoyens bien encadrés serve d’alibi à des réformes « fédéralistes ». La guerre gronde, l’inflation sévit, le pouvoir d’achat s’affaisse mais les citoyens s’intéressent au droit d’initiative du Parlement européen et l’extension de la majorité qualifiée?  Grotesque.  

Guillaume Klossa : La France aura certes été décisive pour bâtir une puissante réponse collective aux défis majeurs et sans précédent nés de la guerre en Ukraine, en même temps elle aura su mener à bien l’essentiel des objectifs annoncés en décembre à la veille du lancement de la PFUE. Cela n’avait rien d’évident. Rappelons-nous par exemple, que la présidence allemande avait dû se concentrer sur l’obtention d’un accord sur le budget européen aux dépens de ses autres objectifs. 

Sur l’Europe plus souveraine, l’un des marqueurs était la réforme de Schengen. Elle est désormais lancée avec les accords sur la réforme du mécanisme d’évaluation et la révision du code des frontières. C’était un marqueur important avec le renforcement d’une politique européenne de défense. A ce propos, soulignons l’accord sur la boussole stratégique. Cette dernière fondée sur une analyse partagée des menaces a été enfin approuvée avec en outre la perspective d’une stratégie d’investissement renforcée en matière d’armements européens. Il y a aussi eu la proposition du président Emmanuel Macron de créer une « communauté politique européenne » visant à enraciner dans une dynamique de protection, de sécurité énergétique et alimentaire et de prospérité économique, les Etats voisins de l’UE qui partagent nos valeurs. Ces avancées ou propositions ont été paradoxalement facilitées par le contexte géopolitique qui a encouragé les européens à être plus ambitieux. 

Sur le nouveau modèle européen de croissance, soulignons notamment les accords sur la régulation des plateformes numériques systémiques, dont font partie les GAFA avec les désormais fameux DSA et DMA, mais aussi l’accord sur l’essentiel du Paquet énergie-climat-environnement, le FITfor55, qui doit permettre à l’Europe de réduire de 55% ses émissions de carbone d’ici à 2030. 

Sur l’Europe plus humaine et démocratique, la prise en comptepar le Conseil européen des conclusions de la conférence sur l’avenir de l’Europe, présentées le 9 mai dernier - qui ont mis en avant la volonté des citoyens européens de transformer l’Union en une véritable démocratie-pourrait ouvrir la voie dans les mois qui viennent à une convention visant à adapter les traités européens aux attentes démocratiques des citoyens de l’UE. On ne peut que s’en réjouir. 

La France semblait avoir une possibilité d’assumer un vrai leadership européen potentiellement durable, mais ces derniers mois tant le dialogue non concerté du président Macron avec Poutine que des annonces unilatérales, comme la communauté politique européenne ou les déclarations sur la volonté de ne pas humilier la Russie ou encore les propos de Jean-Luc Mélenchon sur la désobéissance européenne ont inquiété ou froissé les partenaires européens. Emmanuel Macron et la France ont-ils laissé passer leur chance d’un leadership durable ?

Rodrigo Ballester : Emmanuel Macron a l’habitude des envolées messianiques non-concertées qui froissent. D’autant plus que pendant une Présidence, le pays qui l’assume se doit de jouer plus les arbitres que les Jupiters. C’était trop en demander à votre très messianique président qui voyait dans cette Présidence un trampoline pour sa campagne électorale et une façon de s’afficher sur la scène européenne. C’est irritant, même si on pouvait s’y attendre.

Mais la question n’est pas là. Un leadership européen ne se construit pas à partir d’une Présidence, tout au plus, celle-ci pourrait être la cerise sur le gâteau, rien de plus ! C’est tout d’abord la force, la taille et la cohésion interne d’un pays qui marque sa capacité à prendre les devants de la scène. C’est la solidité économique, le poids démographique et la faiblesse d’autres grands pays (dont la France) qui ont permis à l’Allemagne de s’imposer ces quinze dernières années. Maintenant que la donne a changé, et que la géopolitique a repris ses droits, la puissance militaire de la France pourrait en faire le nouveau leader de l’Europe. Ou pas.

D’une part, car d’autres pays ont également pris l’initiative en temps de guerre, notamment la Pologne et les pays baltes. D’autre part, car la France est très affaiblie en interne, elle ne projette pas l’image d’un pays consolidé et apaisé qui va de l’avant. C’est même tout le contraire après les élections présidentielles et législatives qui brossent le portrait d’un pays atomisé avec des tensions sociales à fleur de peau.

Qui est le vrai leader de l’Europe aujourd’hui ? Peut-être la guerre a rendu l’Europe « multipolaire », il n’y a pas aujourd’hui un leadership incontestable. 

Guillaume Klossa : Il y a toujours une accusation en arrogance et en unilatéralisme des dirigeants français quels qu’ils soient. Ainsi, comme vous le soulignez, les prises de positions de LFI vis-à-vis de la désobéissance européenne ont effet été très peu appréciées au parlement européen. Elles ont été perçues comme une annonce de rupture du contrat européen qui lie la France à ses partenaires. Un effort doit être fait, de la part de toutes les forces politiques françaises pour éviter ces accusations en arrogance qui ne servent ni l’image ni l’influence de notre pays.

Concernant le président Macron, il n’est pas intervenu au nom de l’UE dans son dialogue avec Vladimir Poutine, mais comme président de la France, seul pays de l’UE membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, qui a - qui plus est - participé à la négociation des accords de Minsk. Cela n'a pas empêché que les échanges qu’il a eus avec le président Poutine aient été préparés en bonne intelligence avec ses collègues européens et aient donné lieu à des débriefs immédiats. 

La question de l’avenir du leadership français se pose toutefois avec une acuité nouvelle. Il est clé que le président de la République soit en mesure de bénéficier d’un soutien politique dépassant largement l’alliance Ensemble ! pour mettre en œuvre les ambitions européennes de son programme présidentiel. 

L’influence de la France dans l’UE, et l’UE elle-même sortent-elles renforcées ou amoindries de ces six mois de PFUE ?

Rodrigo Ballester : Encore une fois, ne prêtons pas aux présidences tournantes l’importance qu’elle n’ont pas. La France, et Macron, se sont bien débrouillés pendant ces six derniers mois, malgré des circonstances exceptionnelles. Et alors ? Il s’agit, ne l’oublions pas, d’une éphémère parenthèse qui se referme dans quelques jours. Rien de plus. 

Peut-on dire que la guerre a renforcé l’influence de la France au sein de l’Europe ? En tant que principale puissance militaire de l’UE, oui, sans aucun doute. Mais la France est-elle devenue pour autant le leader inconstesté de l’Union ou est-elle en passe de le devenir ? Non, car ce qui l’a affaiblie ces derniers six mois, ce sont les résultats des élections présidentielles et législatives. Un pays divisé en trois blocs distincts, une abstention record et, désormais, une Assemblée Nationale sans majorité avec le risque d’une France ingouvernable. Comment influencer l’Union et exercer un leadership avec une situation interne aussi précaire ? Comment un pays en crise peut-il imprimer son rythme et sa vision à l’échelle du continent ? Voilà les vraies questions, et une Présidence de l’UE réussie n’y changent absolument rien.

Guillaume Klossa : Ce qui est certain c’est que cette présidence aura été utile et aura permis de faire avancer le sentiment d’appartenance européenne en même temps qu'elle aura contribué à accélérer la transformation de l’Europe en grande puissance numérique, écologique et géopolitique. C’est une étape clé.

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