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Si vous aviez encore besoin de preuves que l’algorithme de TikTok est instrumentalisé par la Chine pour des raisons politiques, voilà de quoi vous en convaincre
©OLIVIER DOULIERY / AFP

Alerte rouge

La comparaison entre Instagram (propriété de Meta) et TikTok sur les contenus concernant la Chine met en lumière de très étranges disparités

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin est enseignant à Sciences Po et cofondateur de Yogosha, une startup à la croisée de la sécurité informatique et de l'économie collaborative.

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Sabrina Medjebeur

Sabrina Medjebeur

Sabrina Medjebeur est essayiste et sociologue. 

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Atlantico : De nombreux contenus liés au Tibet ou à la place de Tiananmen ou Wigur sont légion sur Instagram, mais ne sont pas présents sur TikTok. Quelle est vraiment l'influence du Parti communiste chinois dans les réseaux et les algorithmes TikTok en Occident ?

Fabrice Epelboin : Alors, il y a deux parties dans votre question. La première, c'est quelle est l'influence du Parti communiste chinois sur les entreprises chinoises ? Elle est totale car la Chine n'est pas une démocratie occidentale. Les entreprises chinoises sont assujetties au gouvernement chinois. Il y a d’ailleurs un encadrement juridique spécifique à la Chine, qui est très clair.  

Pour ce qui est de la capacité des Chinois à influencer ou à orienter les contenus qui circulent sur TikTok en leur faveur, ce serait quand même très étonnant qu'ils ne le fassent pas puisque les Etats-Unis le font.  On sait que les Américains influencent les contenus qui circulent sur les réseaux sociaux sur lesquels ils ont un contrôle. 

D'un point de vue technique, l'algorithme est calibré pour que certains éléments n'apparaissent pas. C'est une mainmise technique qui est aussi faisable sur Instagram que sur Facebook, sur Twitter et sur TikTok. les États ne se privent pas d'utiliser cette forme de « soft power ».

La faute à l’algorithme spécifique de TikTok ?  

Fabrice Epelboin : Les algorithmes ont un but très clair : générer le plus de revenus possible. Pour y parvenir, il faut vous scotcher sur la plateforme le plus longtemps possible. C'est aussi bête que ça. 

L'embrigadement consiste à monopoliser l'attention de quelqu'un sur un sujet particulier et de l'enfermer mentalement. C’est exactement ce que font les algorithmes à des fins publicitaires. Ils vous donneront n'importe quel contenu à consommer pour peu que ça marche sur votre psychologie. Ça va des vidéos de petits chats à celles des djihadistes.

L'algorithme va rapidement vous comprendre et vous allez développer un phénomène d’addiction

Les chinois ont-ils transformé TikTok en arme de propagande ? 

Fabrice Epelboin : Absolument. Les réseaux sociaux sont des outils qui, à la base, servent à gérer la circulation des informations entre les individus. Il y a donc une potentialité d'influence considérable.

Les États s'en sont saisis, ainsi que des entreprises privées à des fins de lobbying ou à des fins politiques. 

TikTok, tel qu'on le connaît, n'existe pas en Chine. C'est un outil qui est exclusivement destiné à l'extérieur. Les chinois utilisent une version qui est très différente et qui nous permet d'ailleurs de dire qu'effectivement, ils ont une intention d'influence. Dans la version chinoise destinée aux Chinois, c'est une influence qui consiste à injecter des valeurs de réussite, de patrie, de collectif. On n'est pas face à un appareil répressif. On est face à une stratégie d'influence destinée aux sociétés occidentales.  Avec des objectifs qui restent à établir, mais qu'on peut facilement deviner comme favorables à la stratégie chinoise à l'international. 

Nous avons vu récemment que Tik Tok était un instrument de conversion à l'islam et à l'antisémitisme. Par quels mécanismes, intellectuelle et émotionnelle, les "prêcheurs" arrivent à faire basculer des gens? Comment décrire cette mécanique de l'enrôlement ?

Sabrina Medjebeur : TikTok est une application mobile de partage de courtes vidéos (verticales et de quelques secondes à quelques minutes), et de réseautage social, lancée en septembre2016. Développée par l'entreprise chinoise ByteDance pour le marché non chinois et porte en Chine le nom de Douyin. Très utilisé par les 16/25 ans, son algorithme de flux favorise l'« exposition sélective » et suscite une forte addiction de l'usager. Comme tout les réseaux sociaux, il est un puissant moteur de polarisation de groupe, très susceptible de conduire à la formation de chambres d'écho Tik Tok s’appuie donc sur le mécanisme réputationnel à travers le nombre de followers ainsi qu’aux avatars identitaires dont l’honorabilité par est auréolée par le titre d’« influenceur ». Ce titre d’influenceur devient une référence identitaire. Et les islamistes le savent très bien. Chacun y va de ses prêches et de son « imamat ». Comme le disait le grand écrivain algérien Boualem Sansal : « L'islamisme sait s'adapter ».

Certains islamistes préfèrent la voie douce par Tik Tok, à savoir, la da'wa, c’est-à-dire, l'invitation à écouter le message d'Allah, ou la prédication publique. D’autres, la conquête militaire. C’est le moyen par lequel les commanditaires et les stratèges du terrorisme islamiste mondialisé poussent à l'ubérisation du terrorisme par des instructions ordonnées dans la toile à la disposition de qui veut devenir djihadiste et martyr. Nous avons vu récemment, lors de l’attaque terroriste en Israël, que la barbarie y a été filmée et diffusée en guise « d’applaudissement existentiel » de leurs actes.

Comment le fait de promouvoir des idées ou des comportements de plus en plus strict avec de plus en plus de règles, est-il un moyen efficace d'embrigader des individus ?

Sabrina Medjebeur : « Il y a un gros problème avec TikTok », disait, il y a quelques mois de cela, Claude Malhuret, sénateur à l’origine d’une commission d’enquête sur le réseau social, dans une interview auprès d’actu.fr. Il n’est visiblement pas le seul à le penser, puisque ce mardi 7 novembre 2023, Amnesty International est montée au créneau. L’organisme non gouvernemental estime que TikTok « risque de pousser des enfants et des jeunes vers du contenu dangereux en lien avec la santé mentale », dans un communiqué s’appuyant sur deux rapports qu’elle a elle-même diligentés. Si nos nations ont des frontières, internet n’en a aucune. Le problème est que, à l’instar d’autres réseaux sociaux, il n’y a aucun moyen d’endiguer et de sanctionner les commentaires dangereux qui circulent et finissent par enrôler certains individus car il s’agit d’entreprises privées. Aucun pays n’a cette possibilité de sanctionner les GAFAM et Tik Tok puisque le seul signalement d’un contenu dangereux, relève donc des conditions d’utilisation et non au nom d’une loi nationale ou d’un traité international qui sanctionneraient ces contenus. Les états n’ont aucun pouvoir sur l’utilisation et la sanction de ces réseaux sociaux. Rappelons que lorsque Elon Musk a racheté X (ex-twitter), il a licencié la moitié de son équipe de modérateurs. On se retrouve donc dans une impasse. 

Au regard des contenus qui circulent sur Tik Tok, comme la lettre à l'Amérique d'Oussama Ben Laden qui a récemment ressurgi d'outre tombe, peut-on penser qu'il y a une stratégie via Tik Tok visant à entretenir les musulmans dans leur sentiment de victimisation et à en convaincre les jeunes Occidentaux ?

Sabrina Medjebeur : La force des islamistes et des prédicateurs est la patience. Ils inscrivent leur action dans la durée. D’autres de leurs qualités sont l'inventivité et leur capacité à maîtriser les instruments à leur portée: les chaines satellitaires, Internet, les réseaux sociaux, les outils marketing, les techniques de communication, la finance islamique, le cinéma, la littérature, tout est mobilisé pour atteindre la plus grande efficacité. Le danger principal des vidéos est d'isoler ceux qui les regardent. Ils risquent de se convertir à une version de l'islam qui va les éloigner et les décrocher du reste de la société», analyse Arnaud Lacheret, docteur en science politique et spécialiste de l'islam.

La vidéo ressemble aux formats courts que le média Brut peut produire. L’identité visuelle apparaît marquée, avec toujours un fond jaune et un titre en majuscules sur trois lignes. Seule différence avec les autres films diffusés sur les réseaux sociaux à destination des jeunes, le but de ce programme est d’effectuer du prosélytisme religieux. Nous avons en France, un exemple. Le compte "Cœur d’islam", qui est le nom de cette chaîne sur TikTok. Elle compte 322 000 abonnés.

Un exemple : sa vidéo sur l’interdiction des abayas à l’école a été vue plus de 700 000 fois en dix jours, soit davantage que les extraits de Touche pas à mon poste, l’émission de Cyril Hanouna, ou de TF1 sur le sujet. Elle répond aux codes que l’on peut retrouver sur des médias comme Konbini. Une voix off est utilisée, elle est générée par ordinateur. Des sous-titres reproduisent en temps réel le message oral récité, pour une compréhension sans effort. Intitulée "L’abaya. Pourquoi ils l’interdisent ?", la vidéo débute logiquement par un court extrait de Gabriel Attal annonçant l’interdiction de l’abaya à l’école sur TF1. Puis "Cœur d’Islam" donne sa lecture de l’abaya, une "expression de dévotion et d’adhésion aux enseignements islamiques sur la modestie" et conclut : « Le contrôle au faciès et aux origines est inévitable, ce qui est du racisme et de l’islamophobie ». La lecture victimaire des rapports sociaux fantasmée par une grande partie de la gauche, l’intersectionnalité et la convergence des luttes si chers à l’islamisme s’exploitent également par Tik Tok.

Un meilleur contrôle ou une régulation sont-ils possibles ?  

Fabrice Epelboin : Alors on a une régulation qui est le DSA, qui permet de réguler les contenus qui sont illégaux.

Le problème, si on prend les imams 2.0, c’est qu’on est face à des contenus qui sont du prosélytisme, pas nécessairement illégaux. Dès que ça atteint l'apologie du terrorisme alors on rentre dans le cadre de l'illégal. Là-dessus, la question de la régulation est problématique. 

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