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Si Nicolas Hulot est parti parce qu’il pense que la transition écologique est incompatible avec le système d’économie de marché, il se trompe grave
©PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP

Atlantico Business

L’embarras d’Emmanuel Macron du départ de Nicolas Hulot montre à quel point une minorité d’écologistes a pris en otage l’appareil d’Etat et la démocratie et freine les capacités de progrès technologique.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Dire que le départ de Nicolas Hulot n’a pas plongé dans l’embarras le président de la République est un euphémisme. Ce départ montre à quel point nous avons du mal à engager la transition énergétique de façon sereine et positive. Il faut lire le papier de Jean-Pierre Chevènement dans Le Parisien d’hier. L’ancien ministre de l’Intérieur a de l’expérience en matière de démission ; il en a surtout dans la gestion des contradictions de « ses amis éco ». 

A entendre Nicolas Hulot expliquer les raisons de son départ, il aurait pris conscience qu‘il y avait une contradiction entre les nécessités de la transition écologique et les contraintes de l’économie de marché. Les lobbies, pour reprendre son expression, défendent le système mondialisé, la grande finance et la grande industrie et s’opposent à la réforme tout en noyautant le fonctionnement des démocraties. 
Ce débat n’est pas d’hier. Sans remonter à la révolution française, où Danton et ses amis recensaient les groupes de pression pour les éliminer les uns après les autres, tous les pouvoirs sont soumis à l’influence et même à la pression des lobbies qui agissent au nom de groupes professionnels ou d’intérêts privés. Le fonctionnement de ces lobbies est d’ailleurs «organisé et contrôlé » comme des rouages importants de la démocratie et de l’expression des opinions. En l’occurrence, le groupe de pression qui aurait eu la peau du ministre serait celui des chasseurs. On a de la peine à croire que Nicolas Hulot ait baissé les bras devant le président des chasseurs. Mais passons ! En plus, il doit bien connaître ces pratiques puisque lui même se voyait comme animateur d’un lobbie dument déclaré.
Le problème que soulève le départ de Nicolas Hulot n’est donc pas là, il est autrement plus grave. 
Le problème, pour la classe politique et une partie de l'opinion, est de savoir si l'engagement du pays dans la transition écologique est compatible avec le fonctionnement de l'économie de marché.
L’écologie c’est quoi : pour les uns, c’est l’objet d’un courant politique très, très minoritaire (en France du moins) dont l’objet initial est de dénoncer les excès de la croissance trop rapide et trop gourmande en énergies fossiles et en matières premières et dont la revendication principale est de lutter contre toutes les pollutions qui perturbent et menacent notre environnement. 
Ces questions environnementales et de préservation des biens communs comme l’eau, l’air, le sol et le sous sol sont évidemment d’une très grande importance. Personne ne peut être insensible à ce type de risques et d’inquiétudes. Ces risques «écologiques » se sont accrus depuis la fin de la dernière guerre avec une croissance économique rapide et ils se sont étendus à l’ensemble de la planète. 
La préservation de l’intérêt général passe donc par la préservation de l’environnement et par la préservation des équilibres naturels. 
Toute la question qui concerne tous les humains, riches et pauvres, noirs et blancs, de tous les continents et de toutes les religions, est donc de savoir comment et par quel moyen peut-on préserver les équilibres (climat, énergie, matières premières). 
On se retrouve aujourd’hui devant deux écoles antagonistes. 
L’une qui considère que la transition écologique doit être pilotée par l’Etat et par ceux qui « savent » ce qu’est l’écologie et qui passe idéalement par un abandon du système de marché capitaliste et mondial puisque c’est le mal. 
L’autre école considère que l’impératif écologique est totalement compatible avec le fonctionnement de l'économie de marché, et même que ça peut être un de ses moteurs. 
Les partisans de la première école se recrutent parmi les militants de l’écologie. Les mouvements écologiques ont été très rapidement accompagnés par des intellectuels, qui ont perçu dans les risques naturels, celui d’une catastrophe mondiale dont il fallait se protéger coute que coute. La protection est devenue idéologique, c’est à dire qu’elle s’imposait, quelque soit le cout et les effets collatéraux. D’autant que les membres de ce courant (intellectuels et leaders d’opinion) ont découvert dans l’écologie une façon commode de se ranger dans le camp du « bien » depuis que la gauche a quasiment disparu. Le camp du mal étant celui de l’entreprise, de l’argent et du système. 
La lutte contre l’énergie nucléaire a cristallisé les écologistes et coagulé l’opposition d’une partie des opinions publiques. Nicolas Hulot, qui n’était pas un anti-nucléaire de la première heure, s’est rendu compte très vite qu’en assumant le programme nucléaire français (les projets d’EPR), il risquait de perdre ses appuis et ses soutiens dans l’opinion. 
Or, la gestion du nucléaire est au cœur des contradictions entre les revendications écologiques et les contraintes de la modernité. L‘Allemagne en a fait l'amère expérience. En acceptant d’arrêter toute sa production nucléaire (pour des raisons purement politiques), l’Allemagne a dû rouvrir des centrales à charbon, recourir aux mines et imposer aux allemands une électricité deux fois plus chère que l’électricité française. Le bilan est magnifique. Sans parler que l’Allemagne est souvent obligée d’importer de l’électricité nucléaire provenant de chez ses voisins. 
La pression des écologistes est allée jusqu'à remettre en cause les modèles de croissance. A tel point d'ailleurs que l’industrie française du nucléaire est en train de perdre les marchés internationaux au profit des Russes, des Chinois et des Japonais. Le logiciel est simple : moins de croissance, c’est moins de consommation d‘eau, de pétrole, de matières premières, moins de pollution etc. 
Les sociétés occidentales, démocratiques se sont donc retrouvées avec des courants politiques qui prônent le retour à la croissance zéro, au mépris de toutes les ambitions de progrès technique et scientifique, au mépris aussi de toutes les promesses d’améliorer le sort du plus grand nombre. 
Dans bien des pays, la gestion politique est donc devenue très compliquée. 
Les partisans de la deuxième école sont aux antipodes de l’attitude idéologique et sectaire, ils considèrent que l’écologie est évidemment compatible avec les mécanismes de marché. Les acteurs de marché ont d’ailleurs totalement intérêt à ce que les conditions de marché restent en équilibre pour pouvoir fonctionner. 
C’est pour cette raison que les entreprises, les fonds d’investissments ; la plupart des syndicats et les partis politiques de gouvernement mettent en œuvre des mécanismes de protection de l’environnement.
 Il existe donc depuis une vingtaine d’années :
- une tendance lourde, chez les consommateurs, à réclamer des produits propres, sains, bio ou autres, avec une revendication de tracabilité, une connaissance d’origine ultrasophistiquée, et aucun chef d’entreprise responsable ne peut se moquer de son consommateur. Il peut essayer de le tromper ou de le rouler mais ça ne dure jamais longtemps.
- une tendance lourde chez les épargnants pour exiger des gérants de fonds d’investissments de rechercher des actifs compatibles avec les exigences écologiques. Le profit optimum n’est pas l’alpha et l’oméga de la gestion d’actifs. Encore faut-il que les investissments correspondent à des critères moreaux ou éthiques. 
- Une tendance lourde dans les syndicats de salariés qui exigent des conditions de production compatibles avec les préservations de l’environnement. 
Ne parlons pas de toutes les associations et des lobbies locaux, régionaux et nationaux qui agissent à Leur échelle.
Globalement, l’addition des efforts micro économiques est dans les pays démocratiques supérieure aux effets de la décision politique. 
Les efforts faits par le marché sous la pression des consommateurs et des investisseurs ont évidemment besoin de l‘Etat dans trois domaines. 
Le premier dans le domaine de l’énergie où les choix sont à très long terme. Le nucléaire, qui devrait se décider aujourd'hui, aura des effets dans 20 ou 25 ans. C’est compliqué pour un homme politique d’avoir du courage au delà de la durée de son mandat . 
Le second dans le domaine de la norme. L’économie de marché a besoin de normes pour fonctionner et ces normes doivent être applicables dans le monde entier. 
Le troisième domaine est celui de l'innovation parce qu’il n’y a que l'innovation et le progrès technique pour préserver le potentiel de croissance dans le respect des équilibres environnementaux. 
Il y a peu d’homme d’Etat aujourd’hui pour assumer une telle stratégie quand on lui oppose le moral de son électorat traversé plus souvent par l’émotion des uns que par la rationalité scientifique des autres. 
Nicolas Hulot est tombé dans ce piège. Emmanuel Macron va devoir lui trouver un successeur à la hauteur sinon son quinquennat risque d’être bien fragilisé. 

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