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Sentiment européen en berne ou attentes déçues ? Les leçons de la forte hausse de la défiance française à l'égard de l'UE
©REUTERS / Yves Herman

L'Europe, oui mais...

Une enquête du Pew Research Center montre que les Français figurent parmi les plus eurosceptiques en Europe, devant les Britanniques notamment. Mais si la politique économique européenne et la gestion de la crise migratoire sont pointées du doigt, cela ne signifie pas pour autant que les Français sont contre la construction européenne.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Le Pew Research Center vient de publier une étude conséquente (voir ici) sur l'euroscepticisme dans certains pays de l'UE, où l'on apprend notamment que les Français sont le deuxième peuple le plus eurosceptique derrière la Grèce (61% d'opinions défavorables). Mais alors que la gestion économique de l'UE (66%) et la politique migratoire (70%) sont très critiquées, 39% seulement des Français réclament le retour de certains pouvoirs de l'UE aux Etats membres. Comment interpréter ces chiffres selon vous ?

Christophe Bouillaud : Il semble d'après ce sondage que les Français soient essentiellement mécontents de la manière dont l'Union Européenne est gérée actuellement, mais pas majoritairement hostiles à l'idée d'avoir des solutions européennes aux crises en cours. En réalité, ce qui pêche essentiellement, c'est que l'Union Européenne est en train de faire la démonstration qu'elle n'est pas capable de mettre en œuvre ce qu'elle a promis : être plus efficace que l'action des États.

En même temps, les Français restent assez réalistes politiquement dans la mesure où ils considèrent que c'est quand même au niveau européen que les solutions devraient être trouvées.

Si les Britanniques sont historiquement bien plus méfiants à l'égard de l'UE que les Français, l'étude montre qu'ils ne sont que 48% à avoir une opinion défavorable de l'UE, contre 61% pour les Français. Comment expliquer ce delta, alors même que l'idée d'un Brexit fait son chemin outre-Manche ? Dans quelle mesure les contextes nationaux peuvent-ils influer sur ce genre d'opinions ?

Ce résultat est finalement assez étonnant. Effectivement, la polémique contre l'Union Européenne est extrêmement développée outre-Manche. Certains collègues de science politique considèrent même que la langue ordinaire de la politique britannique est totalement imprégnée d'euroscepticisme. Il suffit d'ailleurs de voir le type d'arguments utilisés par David Cameron pour inciter à voter pour rester dans l'Union Européenne, en soulignant que le Royaume-Uni avait obtenu énormément de choses de la part de ses partenaires européens.

Le résultat est donc très étonnant de ce point de vue-là, parce qu'en France la polémique est beaucoup moins forte, notamment en raison du fait qu'elle est essentiellement portée par un seul parti (marginal), le Front national, et un petit peu par la gauche de la gauche.

La raison pour laquelle les Français sont aussi dubitatifs est liée à la très forte crise économique que nous vivons et de laquelle nous ne sommes pas sortis depuis 2007, alors que les Britanniques, au contraire, sont globalement sortis de cette crise.

Enfin, il faut bien souligner que même si David Cameron est impopulaire dans son pays, il ne l'est pas autant que le président français actuel qui bat régulièrement des records d'impopularité. Les instituts de sondage français, quels qu'ils soient, publient régulièrement des chiffres en affirmant que le niveau de popularité n'avait jamais été aussi bas. Il n'est donc pas très étonnant que les Français, étant en général très insatisfaits de leur vie politique et économique, soient aussi insatisfaits de l'Europe.

La satisfaction vis-à-vis de l'Europe est bien souvent très liée au contexte politique et économique national.

Parmi les pays sondés, la France se distingue également par le plus fort écart d'opinions favorables à l'UE entre ses jeunes (18-34 ans, 56%) et ses seniors (+ de 50 ans, 31%). Comment expliquer cela ? Les nouvelles générations, qui n'ont quasiment pas connu l'Europe avant l'Acte Unique et Maastricht, sont-elles prédisposées à avoir un œil plus bienveillant envers la construction européenne ?

On observe ici probablement un effet de composition lié au niveau d'éducation de la jeunesse. Les jeunes sont globalement plus éduqués que les personnes âgées, et plus favorables à l'ouverture sur le monde.

Par ailleurs, il est assez étonnant, d'un point de vue rationnel, de constater qu'il n'est pas sûr que les politiques économiques menées depuis 2008 soient vraiment en faveur des jeunes… La politique d'austérité menée par l'Union Européenne a provoqué une augmentation du chômage (en particulier chez les jeunes) et préservé le niveau des retraites. Il est donc amusant de voir que ce sont les personnes âgées qui sont les plus critiques.

Il est aussi possible qu'il y ait un niveau de déception très fort vis-à-vis du message européen, parce que les générations plus âgées ont connu depuis les années 1990 (et même un peu avant) toute une série de discours qui leur promettaient que l'Europe leur apporterait bonheur, satisfaction et valeur ajoutée. Une partie des personnes les plus politisées parmi les personnes âgées font donc le bilan de l'Europe, et en font un bilan négatif.

À gauche par exemple, les gens à qui l'on a promis l'Europe sociale en 1981, en 1990 ou en 2012 sont sans doute déçus aujourd'hui au vu des promesses réalisées. Paradoxalement, les plus jeunes ont eu moins de promesses. Ces dernières années, l'Europe allait toujours très mal, donc ils ne connaissent pas cette situation d'attentes déçues.

Les sondages sur le Brexit britannique montrent par ailleurs l'extraordinaire opposition entre vieux peu éduqués pro-Brexit et jeunes éduqués pro-Union Européenne. Au-delà de l'Europe, c'est plus l'ouverture sur le monde et l'acceptation de la différence qui est jugée. Des personnes âgées ne parlant pas de langue étrangère, ne visitant pas régulièrement des pays étrangers, n'utilisant pas les réseaux sociaux, peuvent être très troublées par ce qui est en train de se passer.

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