Semaine des ambassadeurs : le quinquennat qui avait troqué une diplomatie d'influence réaliste contre une politique étrangère des émotions<!-- --> | Atlantico.fr
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Lorsque le Président américain s’est rendu dernièrement sur le Vieux continent, il est passé par Berlin mais sans daigner faire un passage par Paris ! C’est tristement révélateur…
Lorsque le Président américain s’est rendu dernièrement sur le Vieux continent, il est passé par Berlin mais sans daigner faire un passage par Paris ! C’est tristement révélateur…
©Reuters

Bilan catastrophique

Ce lundi s'est ouvert la semaine des ambassadeurs au cours de laquelle seront présentés les grands axes de la politique étrangère de la France. L'occasion d'évaluer la diplomatie française à moins d'un an de la fin du mandat présidentiel de François Hollande. Hors jeu en Syrie, dégradation de la relation avec la Russie pour des raisons idéologiques, image déplorable dans le monde arabe... en dehors de quelques réussites sur le plan économique et la signature de "grands contrats", le bilan est catastrophique.

Roland Lombardi

Roland Lombardi

Roland Lombardi est consultant et Directeur général du CEMO – Centre des Études du Moyen-Orient. Docteur en Histoire, géopolitologue, il est spécialiste du Moyen-Orient, des relations internationales et des questions de sécurité et de défense.

Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à la Business School de La Rochelle.

Il est le rédacteur en chef du webmedia Le Dialogue. Il est régulièrement sollicité par les médias du Moyen-Orient. Il est également chroniqueur international pour Al Ain.

Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment :

« Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI - Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l'Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L'Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104.

Il est l'auteur d'Israël au secours de l'Algérie française, l'État hébreu et la guerre d'Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.).

Co-auteur de La guerre d'Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d'Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022.

Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020. 

Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l'influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) - Préface d'Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)

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Atlantico : Conflit en Syrie, relations avec les Etats-Unis et la Russie, présence stratégique en Afrique, pivot vers l'Asie… Sur ces différents dossiers, comment a évolué la politique étrangère de la France sous François Hollande ? Par rapport à l'ère Sarkozy, peut-on parler de rupture, de continuité, d'ajustements… ?

Roland Lombardi : Par rapport à l’ère Sarkozy, on peut assurément dire que oui : il y a bien eu, du moins sur la forme, une véritable rupture. Car, qu’on l’apprécie ou pas, il serait toutefois malhonnête de ne pas reconnaître que le Président Sarkozy possédait un certain charisme, une réelle stature d’homme d’Etat et enfin, un véritable dynamisme à l’international. On n’a malheureusement pas retrouvé ces qualités chez le Président Hollande. Loin de là… Par ailleurs, sous l’ère Sarkozy, la France avait été, à tort ou à raison, à l’origine de plusieurs initiatives diplomatiques importantes. On pouvait même évoquer un certain leadership de la France avec, il est vrai, plus ou moins de succès, notamment sur les questions européennes, méditerranéennes (l’Union pour la Méditerranée), durant la crise financière de 2008 ou encore, lors de la crise russo-géorgienne de l’été 2008. Certes, et je l’ai fortement critiquée à l’époque, l’intervention occidentale de 2011 en Libye, sous l’impulsion française, fut une grave erreur. Comme d’ailleurs, les dangereuses prises de position de la diplomatie française lors du début de la crise syrienne. Sur ces deux dossiers, l’ancien Président fut mal inspiré…et très mal conseillé !

Et ici, pour le coup, oui, on peut dire qu’il y a, de la part de son successeur, une certaine continuité… dans l’erreur. Les responsables socialistes n’ont alors fait que suivre les conseils d’islamologues ou d’« éminents spécialistes » français (du moins présentés comme tels par les médias), qui annonçaient alors « la chute prochaine » du régime syrien… tous les quinze jours !

Finalement, malgré la consolidation stratégique de la France en Afrique, grâce notamment à nos interventions militaires, nécessaires et réussies, au Mali et en Centrafrique, ainsi que de nombreux succès commerciaux dans le domaine de l’armement, il n’en reste pas moins que la politique étrangère de la France sous François Hollande peut être considérée globalement comme un échec. L’image internationale de la France s’est grandement ternie depuis 2012. Par des choix bassement idéologiques, de ses conseillers et de son entourage, et à mille lieux pourtant des réalités géopolitiques, le Président français boude, par exemple, encore et toujours la Russie, pourtant devenue incontournable dans le règlement des crises au Proche-Orient. Nous l’avons même souvent humiliée… Quant aux relations avec les Etats-Unis, la diplomatie française n’a jamais été aussi "suiviste" que depuis 2012 (Syrie, Ukraine, sanctions économiques contre Moscou…). En Europe, le Président français a totalement été transparent. Par exemple, face à la grave crise des réfugiés, il a piteusement laissé la Chancelière allemande décider seule pour toute l’Europe ! Avec les conséquences que l’on sait…

Parallèlement, lorsque le Président américain s’est rendu dernièrement sur le Vieux continent, il est passé par Berlin mais sans daigner faire un passage par Paris ! C’est tristement révélateur…

Malheureusement, la mort de près de 250 de nos compatriotes, victimes des attentats qui ont touché le pays depuis 18 mois, n’aura pas été un électrochoc salvateur. Que cela soit en politique interne, contre notamment le terrorisme, comme en politique extérieure, il semblerait que les maîtres mots de nos responsables actuels soient, depuis 2012, mais encore et toujours aujourd’hui, l’hésitation, la tergiversation et la passivité… C’est tout de même assez inquiétant pour les dirigeants d’un pays "en guerre" !

Deux axes forts de la diplomatie française initiés sous Laurent Fabius étaient la diplomatie économique et la diplomatie d'influence. Aujourd'hui peut-on qualifier ces politiques de "réussite" ? La France a-t-elle déployé les moyens nécessaires pour leur réalisation ?

Laurent Fabius fut un très mauvais ministre des Affaires étrangères. Mais à sa décharge, il faut rappeler que la diplomatie économique de la France est bien antérieure à l’arrivée de Fabius au Quai d’Orsay. Dès la fin de la guerre d’Algérie, c’est avec des personnages comme Maurice Couve de Murville ou le général Catroux, les deux principaux conseillers de De Gaulle pour le monde arabe, mais qui en réalité n’y comprenaient absolument rien, que, sous couvert d’une nouvelle "politique arabe" française, cette "diplomatie des contrats commerciaux" a véritablement débuté. Souvent au prix de concessions humiliantes et d’une perte notable d’influence dans la région. Pour preuve, certains de nos dirigeants ont beau s’auto persuader que notre pays est encore une grande voix au Proche-Orient, la réalité est bien différente. Comme je le répète souvent, la méthode Coué en relations internationales n’a que peu d’effet… Faut-il rappeler pour cela, l’exclusion de la France dans la résolution du conflit libanais lors des accords de Taëf en 1989 alors que le Liban était pourtant le symbole même de l'influence française au Levant ? Lors du processus de paix israélo-arabe du début des années 1990, là encore, la France n’a-t-elle pas encore brillé par son absence ?

Depuis quelques décennies, nous avons par ailleurs doublé cette "diplomatie économique", d’une "diplomatie de l’émotionnel". Diplomatie de l’émotionnel toutefois à géométrie variable, puisque pour quelques marchés, justement, nous cessons alors nos leçons de morale et fermons les yeux, par exemple, sur les régimes des pays du Golfe, qui sont pourtant loin d’être des paradis démocratiques ! Pire, nos positions hasardeuses sur la Syrie ou le Liban, par exemple, sont aussi le fruit amer de nos liens commerciaux avec nos clients des monarchies du Golfe. Ce n’est pas sérieux…et surtout, très dangereux !

Pourtant, faire de juteuses affaires est possible tout en ayant une politique indépendante et surtout, pour les seuls intérêts et la sécurité des Français. On y gagnerait d’ailleurs même en crédibilité. Regardez la Russie. Son principale "adversaire" politique dans la région est l’Arabie saoudite. Et bien, beaucoup seraient surpris par le nombre de contrats signés entre les deux pays ! Alors certains évoqueront le fait que la Russie, grande productrice de pétrole et de gaz, est beaucoup plus indépendante vis-à-vis des hydrocarbures du Golfe. Il serait alors peut-être temps et judicieux de diversifier nos sources d’approvisionnement… 

Quel bilan dresser de la diplomatie française au cours des quatre dernières années ? Quelles sont les nécessaires évolutions à prendre en compte ?

Catastrophique ! Clairement. Sur le dossier syrien, nous sommes devenus inaudibles. Au Liban, nous ne sommes plus écoutés. En Libye, nous ne savons plus qui soutenir, Sarraj ou le général Haftar. Enfin, concernant le conflit israélo-palestinien, si l’initiative de Paris pour une grande conférence peut paraître plus que louable, il n’en reste pas moins que cet appel, aussi grandiloquent soit-il, n’a que peu de chance d’être entendu...

De fait, depuis ces cinq dernières années et le début des fameux "printemps arabes", Paris s'est encore un peu plus discrédité dans la région du fait, comme évoqué plus haut, de ces profondes erreurs d'analyses et de ces positions hasardeuses pour ne pas dire inconscientes. Comme on le voit de jour en jour, la France n'est malheureusement plus prise au sérieux et encore moins écoutée au Moyen-Orient, ni par les Israéliens, ni par les Arabes.

Depuis les années 1960, la France ne comprend plus le monde arabe. De plus, nous avons laissé s’abattre une véritable chape de plomb idéologique et de partis pris (Tiers-mondisme, anticolonialisme, antisionisme primaire puis un gauchisme résolument anti-occidental et aujourd’hui parfois pro-islamiste) sur la recherche portant sur le monde arabo-musulman. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, la plupart des analyses françaises sur les "printemps arabes" se sont révélé complétement erronées.

De plus, au sud de la Méditerranée, comme au Moyen-Orient, on vit de dignité personnelle. Les peuples qui y vivent, sont des gens fiers qui méprisent, plus que tout, ceux qui s’humilient ou ceux qui renient leurs propres croyances, valeurs ou principes, d’autant plus pour des histoires d’achats de pétrole ou de ventes d’armes. Plus qu’ailleurs, pour être adopté dans le monde arabe comme un partenaire à part entière, il faut être respecté.

La Méditerranée est notre frontière la plus importante. D’autant que nous devons faire face à d’immenses défis comme le terrorisme, l’islam politique, la démographie explosive du Sud, et enfin, la crise des migrants qui est, au-delà d’une crise humanitaire, la plus grave crise géopolitique que l’Europe est en train de connaître.

Ainsi, alors que politique interne et géopolitique s’imbriquent et se confondent désormais, il faut que nos dirigeants prennent rapidement conscience que l’angélisme, le sentimentalisme idéologique et les demi-mesures au sujet du terrorisme ou des réfugiés sont suicidaires. Car en projetant une image de faiblesse, nous récoltons et récolterons encore de la violence. L’"Irrealpolitik" (Védrine) doit s’effacer devant une révolution copernicienne de notre diplomatie, de nos perceptions de la région mais aussi de nos mentalités. Pour cela, nous devons nous forger une âme d’acier et bannir l’autoflagellation permanente et notre sentiment de culpabilité, typique de nos sociétés européennes actuelles. Il faut se rapprocher de la Russie et, comme elle, définir et adopter expressément une politique ambitieuse, claire et cohérente en Méditerranée et au Moyen-Orient, basée non plus sur nos seuls profits commerciaux mais sur une lutte impitoyable contre l’islam radical et politique (dans notre intérêt et pour le bien des musulmans). Revenir aussi à une véritable politique de protection des chrétiens d'Orient, vecteurs de progrès et sincères relais  d'influence.

Enfin, arrêtons de voir le monde arabe comme nous aimerions qu’il soit mais plutôt tel qu’il est ! Respectons les cultures, les différences et les spécificités de chacune des sociétés du Sud. Cessons nos discours moralisateurs, notre ingérence politique, notre "fondamentalisme démocratique et droit-de-l’hommiste" hypocrite pour leur préférer peut-être "une ingérence de la coopération ou du co-développement" et des valeurs comme le courage, le sens de l’honneur, de la fidélité et de la parole donnée, qui auront certainement beaucoup plus d’impact dans cette partie du monde…

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