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Dans le cœur de Schopenhauer
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De nos amours destitués

Le philosophe bat en brèche de l'idée même de "l'amour". Il considère qu'il ne s'agit que d'une ruse de la Nature pour pousser les humains à se reproduire. Petit guide de réflexion avec Céline Belloq dans son livre, "Lâcher prise avec Schopenhauer". Second extrait.

Céline Belloq

Céline Belloq

Céine Belloq est professeur de philosophie.

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L'amour, cette déception aigre-douce

« L’amour, c’est l’infini mis à la portée des caniches », écrivait Louis-Ferdinand Céline.

Les hommes font de l’amour le centre de leur existence : une vie où l’on aime pleinement et où l’on est aimé ne peut être qu’épanouie. L’amour est à lui seul une raison d’exister, un sens à la vie, l’accomplissement par excellence de notre humanité.

Ce thème est fondamental, et Schopenhauer reconnaît que l’amour est la grande affaire des hommes et que les plus grands esprits peuvent perdre la raison par passion amoureuse (les crimes passionnels nous le prouvent). Les poètes n’ont cessé de chanter, avec des variations infinies, les beautés et les douleurs de l’amour – il est vrai que ce dernier offre de multiples possibilités de meurtrissures, raffinées, subtiles, cruelles… Il semble donc que l’amour soit un sujet inépuisable. Même si cet ingrédient incontournable des contes de fées peut tourner très vite au vinaigre – voire au poison –, l’amour apparaît toujours comme une quête de l’étoile, une rédemption de nos misérables existences, une douceur sublime dans un monde de brutes. C’est la dernière aventure à risque dans un monde aseptisé, le dernier grand voyage ouvert à tous : dans ce domaine, les nantis n’ont pas plus d’avance que les autres, et les « recalés sociaux » ont la capacité d’exceller. C’est à cette croyance, ancrée dans le coeur des hommes, que va s’attaquer Schopenhauer, en cassant brutalement le mythe.

Comment en effet définit-il l’amour ? Comme un instinct sexuel !

Objectif reproduction

Schopenhauer fait de l’amour une illusion créée par la Nature pour nous pousser à la reproduction : le but de l’amour n’est pas la rencontre et l’union avec une âme soeur, mais le pur et simple enfantement. Il s’agit donc d’une ruse de la Nature dont nous sommes les victimes.

En effet, la Nature n’a de considération que pour la survie de l’espèce. Or, nous ne sommes pas toujours coopératifs dans ce domaine – il est vrai que mettre au monde un enfant peut paraître, à y penser froidement, un véritable fardeau couplé à un acte cruel. La Nature va donc nous enivrer, afin que nous perdions un peu notre jugement et commettions l’irréparable. L’amour est cette griserie, cet enchantement initial, plein de promesses de plaisirs à venir, qui nous donne envie de nous attacher à un partenaire pour la vie. Tant qu’il n’est que féerie, nous sommes prêts à toutes les folies.

Le drame commence après. Les parures du discours, la poésie, dont use malgré lui l’amoureux dans son ivresse pour toucher le coeur et l’âme de son partenaire, visent en fait son corps : l’unique but poursuivi est l’acte sexuel. Il suffit de voir à quel point les rapports sexuels sont importants pour nous. Schopenhauer cite aussi l’exemple de ceux qui se sont tués parce que leur « belle » se refusait physiquement à eux. Le fait d’être payés de retour dans leurs sentiments n’était pas une consolation suffisante à leur abstinence forcée. Par conséquent, sous le masque de l’amour et pour donner le change à la conscience, la Nature agit…

Son but est noble : concevoir les meilleurs individus. Pour cela, elle recherche la complémentarité des « amoureux » en vue de la procréation et vise la perpétuation de l’espèce, sa régénération. Elle s’évertue donc à trouver les meilleures combinaisons physiologiques et de caractères. Ainsi, deux jeunes gens peuvent très bien s’entendre sans que pourtant l’amour naisse entre eux. Ils ne le voient pas, mais la Nature ne les trouve pas compatibles, c’est-à-dire que l’enfant qui naîtrait d’eux serait d’une constitution physique ou intellectuelle sans harmonie.

Certains trouveront peut-être que cette vision réduit un sentiment spirituel à une simple copulation. Mais Schopenhauer répond à ce reproche que la composition de la génération future, de laquelle dépendent à leur tour d’innombrables générations, est le noble but de l’amour.

« La détermination des individualités de la génération future n’est-elle pas, en effet, une fin qui surpasse en valeur et en noblesse tous leurs sentiments transcendants et leurs bulles de savon immatérielles ? » (M.C.V.R., « Métaphysique de l’amour », p. 1290.)

Il ne s’agit pas ici du bonheur individuel, mais de l’existence de l’humanité pour les siècles futurs. La volonté de l’individu converge avec le dessein le plus impérieux de la Nature. Pour cette raison, l’amour est pour chacun d’entre nous une affaire qui mérite la priorité sur toute autre activité. Il est le centre justifié de nos vies.

« La haute importance du but à atteindre est ce qui fait le pathétique et le sublime des intrigues d’amour, le caractère transcendant des transports et des douleurs qu’elles provoquent. » (M.C.V.R., « Métaphysique de l’amour », p. 1289.)


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Extrait de "lâcher prise avec Schopenhauer" de Céline Belloq, Eyrolles mai 2011


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