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Le choix de l’État-major des Républicains est peut-être ici de suivre les consignes sarkoziennes : apparaître véritablement comme un parti de gouvernement, en faisant par ailleurs tout pour rendre les réformes moins dures.
Le choix de l’État-major des Républicains est peut-être ici de suivre les consignes sarkoziennes : apparaître véritablement comme un parti de gouvernement, en faisant par ailleurs tout pour rendre les réformes moins dures.
©GABRIEL BOUYS / AFP

Désaccords

"Les bases d’un accord sont posées" sur la réforme des retraites ont expliqué Bruno Retailleau, Éric Ciotti et Olivier Marleix en sortant de leur entretien avec Elisabeth Borne à Matignon. Mais cette réforme ne fait pas consensus chez LR.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : "Les bases d’un accord sont posées" sur la réforme des retraites ont expliqué Bruno Retailleau, Éric Ciotti et Olivier Marleix en sortant de leur entretien avec Elisabeth Borne à Matignon. Pourtant cette réforme ne fait pas consensus chez LR et à droite. Xavier Bertrand, Aurélien Pradié ou encore David Lisnard se sont exprimés contre. Et des personnalités comme Alexandre Devecchio ou Eugénie Bastié également. De quoi cela témoigne-t-il ? Qui à LR est favorable à cette réforme ? Quelles sensibilités s'expriment ?

Christophe Boutin : Vous évoquez ici des gens différents. Nous trouvons assez logiquement dans les élus qui considèrent qu’il y a une possibilité pour les Républicains de voter le texte gouvernemental ceux qui, actuellement, jouent un rôle important au sein du parti, que ce soit à sa tête ou à celle de ses groupes parlementaires, à l’Assemblée nationale et au Sénat. Ce sont eux qui ont été entendus par la Premier ministre, eux qui ont pu présenter leurs attentes, eux qui sont à même d’estimer avoir ou non été écoutés. Les autres élus que vous citez, quand bien même ont-ils des rôles politiques importants (président de région, président de l’AMF) ne sont pas « aux commandes » de leur formation, et ont peut-être partiellement au moins besoin de faire entendre une voix différente pour exister. Mais ce n’est pas le seul élément d’explication de ces voix différentes, car il y a ici aussi des sensibilités politiques différentes.

Commençons par Xavier Bertrand et Aurélien Pradié. D’une part, l’élu du Nord comme celui du Lot sont confrontés à la pression du Rassemblement national sur leur électorat, notamment au travers de l’impact de sa thématique sociale. C’est une autre raison de leur choix, mais, « idéologiquement » cette fois, il faut aussi tenir compte de la dimension de « gaulliste social » qu’a toujours voulu avoir Xavier Bertrand et que revendique volontiers lui-aussi son jeune collègue. Le tout explique leurs réserves sur une réforme dont ils estiment qu’elle ne prend pas assez en compte certains éléments – c’est en particulier le cas des « carrières longues ». Ils pensent donc qu’Elisabeth Borne pourrait faire encore quelques concessions, des concessions qui pourraient apparaître très clairement comme étant la conséquence de pressions non seulement des Républicains, mais aussi, et surtout, de leur ligne politique au sein de leur parti. De telles concessions, bien reçues par les électeurs, leur redonneraient ainsi, à l’extérieur du parti comme en son sein, une plus grande visibilité.

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David Lisnard représente un cas différent, puisque lui ne se contente pas de proposer des amendements à la réforme actuelle, mais considère qu’il faut revoir l’intégralité de notre système et passer d’un système de retraite par répartition, qu’il n’est pas loin de considérer comme de la pure et simple cavalerie, et que l’évolution démographique rend selon lui par principe bancal, à un système qui, s’ils maintiendrait une répartition permettant notamment aux Français d’avoir une retraite minimum, autour de 1200 €, permettrait aussi, par ailleurs, la mise en place d’une retraite par capitalisation. Il s’agit d’une approche cette fois très clairement libérale - et David Lisnard cite dans sa tribune du Figaro les chiffres de l’Institut Molinari, un think-tank libéral. Pour autant, ce libéralisme n’est pas a-social, David Lisnard considérant que son système serait à long terme profitable aux Français, en leur permettant de bénéficier d’une retraite supérieure à celle dont ils bénéficient actuellement par le seul système par répartition.

Enfin, les deux dernières personnalités que vous évoquez, Alexandre Devecchio et Eugénie Bastié, sont des essayistes et journalistes qui, au sein de la droite intellectuelle française, se situeraient plutôt dans un courant conservateur, autrement dit tempérant certains choix économiques libéraux par la prise en compte des attentes populaires auxquelles les deux sont sensibles. Ce courant a certainement aussi le soutien d’élus au sein de LR, mais les deux intellectuels évoqués ne sont pas des élus, et, en ce sens, il convient de placer leurs analyses de la réforme des retraites à part de notre débat, puisque vos questions touchent au fonctionnement du parti.

Malgré cela, l'État-major semble vouloir mener cette forme. Sont-ils pris au piège de la sociologie de leurs électeurs et surtout de celle de leurs élus LR (et de leur âge) ?

Bien sûr, on sait les retraités plus favorables que d’autres à une réforme des retraites qui passe par l’allongement de la durée des cotisations, d’une part, parce que cet allongement ne les concerne pas, d’autre part, parce qu’ils seraient en première ligne en cas d’effondrement du régime de retraite. Par ailleurs, effectivement, les sondages nous montrent que l’électorat des Républicains est actuellement un électorat âgé - comme d’ailleurs celui d’Emmanuel Macron, avec la différence que ce dernier est plus volontiers situé dans les métropoles, quand celui des Républicains couvre aussi la France périphérique.

Or cette France périphérique souffre socialement, et si les Républicains veulent retrouver les faveurs d’un électorat qui, ces dernières années, s’est rangé derrière le Rassemblement national ou réfugié dans l’abstention, ils ne peuvent se focaliser uniquement sur les retraités qui votent pour eux… et qui, malgré les progrès de la médecine, ont vocation à disparaître. L’argument qui est repris assez souvent de Bruno Retailleau, expliquant que l’on voit mal comment les Républicains pourraient refuser de voter une réforme qu’ils ont finalement toujours demandée - et notamment au Sénat ces dernières années -, est un argument qui peut porter bien au-delà des seuls retraités. Le choix de l’État-major des Républicains est peut-être ici de suivre les consignes sarkoziennes : apparaître véritablement comme un parti de gouvernement, qui appréhende avec sérieux et non de manière politicienne les réformes nécessaires, même quand elles sont difficiles, en faisant par ailleurs tout pour les rendre moins dures.

Le problème est ici de savoir si Elisabeth Borne ne va pas en partie leur couper l’herbe sous le pied, à partir du moment où certains des modifications récentes du projet qui sont plus profitable aux salariés – notamment, pour prendre cet exemple, l’extension à tous les retraités, anciens et nouveaux, de la fameuse retraite minimum -, éléments qui étaient dans les propositions des Républicains, peuvent se retrouver directement dans le projet de loi gouvernemental. La Premier ministre expliquera alors avoir été à l’écoute des Républicains - dans le meilleur des cas -, mais ces derniers ne pourront pas revendiquer la paternité de la réforme, ce qui aurait été possible si Elizabeth Borne avait présenté un projet plus strict que les amendements des Républicains auraient permis de faire évoluer. On verra, lorsque le texte sera véritablement présenté à la Chambre l’ampleur du gentleman agreement résultant des dernières rencontres…

Proposer aux électeurs LR un contenu Macron-compatible avec une rhétorique aux accents zemmouriens comme à pu l’être celle d’Éric Ciotti peut-il être une formule gagnante ?

On peut avoir ici l’impression de quelqu’un qui veut gagner sur les deux tableaux, et donc d’une certaine incohérence. Pour autant, les domaines sont très différents : on peut très bien, d’un côté, considérer qu’il faut faire évoluer le régime des retraites, y compris en repoussant l’âge légal de départ, et, d’autre part, être inquiet pour l’identité de la France et pour les conséquences d’une immigration incontrôlée. Les choses seraient bien sûr différentes si on en venait à expliquer que seule une « immigration de travail » avec des immigrés venus sans famille et repartant à la fin de leurs contrats - qui n’existe plus - pourrait sauver nos retraites…

Si Macron devait dissoudre, que resterait à LR comme argument électoral après avoir voté la réforme des retraites ? L’esprit de responsabilité évoqué peut-il vraiment suffire pour aller chercher des électeurs, au-delà du peu qu’il leur reste ?

Encore une fois, le fait d’assumer ses choix, de ne pas fluctuer au gré des positionnements dans la majorité ou dans l’opposition, de rester clair et ferme sur ses positions, ne semble pas devoir être, en soi, quelque chose de négatif en politique, et comme tel systématiquement mal reçu dans l’opinion publique. On a trop vu de politiques dire tout et son contraire, et on peut penser que voir, pour une fois, certains d’entre eux s’en tenir à leur programme, quand bien même cela les conduirait-il a une alliance très temporaire avec ceux auxquels ils se sont opposés lors de la dernière campagne électorale, n’apparaît en soi ni incohérent, ni pénalisant.

Il est vrai que, comme je l’ai dit, si les Républicains pouvaient revendiquer la paternité de certaines améliorations du texte, de certaines avancées sociales, cela permettrait sans doute de faciliter les choses, face au moins à une part de leur électorat. Mais n’oublions pas par ailleurs que cette réforme des retraites n’est jamais qu’un des éléments des politiques actuelles, et que d’autres projets peuvent donner d’autres images du parti. On pense ici, bien sûr, à ce projet d’une sensibilité presque identique dans l’opinion publique actuelle, sur l’immigration. Quel sera alors le comportement des Républicains ? Quelles différences montreront-ils avec le gouvernement d’Emmanuel Macron ? Ce sera important pour une part de leur électorat.

Une opposition stérile aurait certainement été aussi un pari perdant, mais en n’étant incapable de proposer une alternative innovante à la réforme des retraites le parti vient-il de faire la preuve qu’il n’a plus aucun logiciel idéologique innovant, susceptible d’aller chercher des électeurs ?

Innover, oui, et le parti innove, puisque l’un de ses membres, et non des moindres, David Lisnard, évoque donc un nouveau système mêlant répartition et capitalisation. Mais quand le projet proposé par le gouvernement est aussi proche d’éléments auparavant proposés par les Républicains, innover pourrait aussi apparaître comme la seule volonté de se démarquer à tout prix. Il n’est d’ailleurs pas certain qu’aujourd’hui les électeurs aient prioritairement envie de se retrouver face à de radicales innovations, traumatisés par les crises multiples qui agitent le pays, et ne leur préfèrent pas une continuité, même désagréable.

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