Russie : ces attentats de 1999 qui ont forgé l'ascension politique de Poutine<!-- --> | Atlantico.fr
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Poutine a effectivement bénéficié de sa gestion de la crise et de la guerre.
Poutine a effectivement bénéficié de sa gestion de la crise et de la guerre.
©AFP / SPUTNIK / Alexey NIKOLSKY

Popularité accrue

Ces attentats ont provoqué une radicalisation dans l'opinion publique russe qui a demandé à recourir à la violence contre la Tchétchénie. Vladimir Poutine a bénéficié de cette vague pour accroître son pouvoir, sa popularité et son autorité.

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Atlantico : En août 1999, le président Boris Eltsine a nommé Vladimir Poutine, le chef du FSB, au poste de Premier ministre. Le même jour, il le nomme successeur officiel. Pourtant, personne ne le connaissait. Vladimir Poutine n'était qu'un obscur fonctionnaire de l'administration d'Eltsine, nommé Premier ministre par la volonté arbitraire du souverain. N'y avait-il pas un favori des sondages, Primakov, qui était beaucoup plus connu que lui ?

Viatcheslav Avioutskii : En 1999, Boris Eltsine, en fin de règne, était à la recherche d'un successeur. Il a essayé plusieurs candidats au poste de Premier ministre et il n'était pas satisfait avec ces candidats. Le problème principal qui se posait à l’époque et auquel personne ne parvenait à trouver de solutions était le problème tchétchène. Eltsine a choisi Vladimir Poutine pour son passé FSB, pour son passé dans les services. Au début, Vladimir Poutine, lorsqu'il a été nommé, était complètement inconnu du grand public. Il occupait un poste à la tête du FSB mais à ce poste-là, il est resté seulement un an. Au niveau fédéral, au niveau des élites, Poutine était un illustre inconnu. Son taux de popularité à l'époque était autour de 3 % quand il a été nommé par Boris Eltsine et lorsqu’il a été désigné comme son successeur. En face, il y avait Evgueni Primakov qui était très hostile à l'égard de Boris Eltsine et qui voulait en fait prendre le pouvoir. Les choses se sont passées ainsi.

Comment expliquer le succès politique de Vladimir Poutine à l’époque alors qu'il était si peu populaire. Les attentats de 1999 ont-ils tout changé ?

Vladimir Poutine, à la différence de ses prédécesseurs, a réagi d'une manière assez radicale par rapport à la situation en Tchétchénie. Aslan Maskhadov, qui avait été élu en 1997 en tant que président de la République de Tchétchénie, a essayé de construire une relation avec Moscou. Après une première guerre qu'il avait perdue, le Kremlin a reconnu une autonomie très large et a laissé gérer cette République, en attendant une solution définitive. En parallèle, plusieurs chefs de guerre tchétchènes, par exemple, Chamil Bassaïev, se sont hissés. Ils adhéraient à l'idéologie islamiste ou djihadiste, qui a été importée  dans les années 90, par des volontaires qui venaient du Moyen-Orient et qui sont passés par l'Afghanistan. Des volontaires arabes se sont alliés à des Tchétchènes radicalisés en Tchétchénie. En 1999, ils ont tenté de mener un raid contre le Daghestan en essayant de provoquer une de révolte islamiste et pour créer un émirat au Caucase. Face à cette tentative, Vladimir Poutine s'est positionné en tant que défenseur de la Russie. Cette tentative d'incursion a finalement échoué.

Mais quelques semaines plus tard, la Russie a été confrontée à une série d'attentats qui ont visé le pays à plusieurs reprises et dans plusieurs endroits. A Moscou, à Volgodonsk, dans la région de Rostov et dans une ville au sud du Daghestan qui s'appelle Bouïnaksk. A chaque fois, des immeubles d'habitation ont été visés, des barres d'immeubles. Ces attentats spectaculaires ont fait beaucoup de victimes. Ces attentats ont provoqué une radicalisation dans l'opinion publique russe qui a demandé à recourir à la violence contre la Tchétchénie. Vladimir Poutine a bénéficié de cette vague pour accroître son pouvoir, sa popularité et son autorité. En l'espace de deux mois et demi, il a lancé sa première « opération spéciale ». A l'époque, le terme guerre de Tchétchénie n’était pas utilisé. Cela était qualifié d'opération spéciale antiterroriste contre cette République indépendantiste. Cette opération a été largement soutenue par le public qui voulait qu’un leader fort puisse affirmer l'intégrité territoriale russe à l'époque.

Entre le mois d'août et le mois de décembre, le taux de popularité de Vladimir Poutine a considérablement augmenté, en un temps record. Lorsque Boris Eltsine démissionne le 31 décembre 1999, tout en annonçant qu’il désignait Poutine comme son dauphin, Vladimir Poutine est devenu président par intérim.

Selon la Constitution, le Premier ministre prend le relais en cas de démission ou suite au décès éventuel du président en fonction. Au mois de mars 2000, Poutine a gagné les élections haut la main, dès le premier tour.

Est-ce que cette gestion de de la crise tchétchène et l'utilisation de la guerre a-t-elle été un atout déterminant dans l’ascension et dans la carrière politique de Vladimir Poutine à cette époque ? Son discours notamment sur le fait d’aller traquer les ennemis jusque dans les toilettes avait considérablement marqué les esprits… Toute sa gestion de la crise tchétchène, de la guerre et du recours à la force ont-ils forgé son capital politique et sa popularité en Russie ?

Poutine a effectivement bénéficié de sa gestion de la crise et de la guerre. La société russe était fatiguée par la décennie de Eltsine qui a duré de la fin de l'URSS jusqu'à la fin de l'année 1999. Cette période a été marquée par la crise économique. L’apogée de cette crise était précisément le problème tchétchène avec deux guerres. La première guerre a eu lieu en 1994 et 1997, elle s'est terminée par un échec de la part de la Russie. Cette période a aussi été marquée par des attentats et des prises d’otages, notamment une avec plus de 1.000, dont les patients d'un hôpital, y compris des patients militaires à Boudionnovsk. Il y aussi eu le détournement d’un avion.

En 1997, lorsque Vladimir Poutine arrive, Maskhadov, qui a été élu, n'arrive pas à contrôler la totalité du territoire.  Beaucoup de trafics prolifèrent en Tchétchénie. Des hommes d'affaires ou des citoyens russes ont été fréquemment kidnappés, par exemple sur le territoire de la Russie, à l'extérieur de la Tchétchénie. Des détenus en Tchétchénie ont été rendus en échange de paiements assez importants. Ce type de trafic d'êtres humains était assez présent à l'époque. La société russe cherchait une solution rapide, efficace. La solution qui était proposée par Eltsine à l'époque était une solution politique avec une réintégration progressive et une autonomie accrue qui ne convenait ni aux Tchétchènes, ni aux Russes. Il y avait une sorte de conflit qui se profilait et la Tchétchénie n'a pas pu s'ériger en un État fort qui aurait pu construire ou reconstituer ses institutions. Il y a eu besoin d'un leader fort. Ce leader fort a été incarné par Vladimir Poutine. Il a utilisé la violence et la guerre pour régler la crise. Il a utilisé massivement l'artillerie pendant les assauts dans les centres urbains par exemple. Des quartiers entiers ont été détruits par exemple dans la ville de Grozny. A l'époque, cela a provoqué un scandale et beaucoup de réactions négatives à l'international.

Vladimir Poutine a continué à insister sur le fait qu'il avait le droit et qu’il était légitime d’agir ainsi. C’est ainsi qu’il a réussi à se forger l'image d'un leader fort.

Est-ce qu'il n'y a pas eu également une dérive à cette époque de la part du FSB avec l'affaire du sucre de Riazan. Des paquets contenant du sucre auraient été piégé avec des explosifs. Certaines théories du complot ont indiqué que les attentats de 1999 auraient été des opérations sous fausse bannière, menées par le FSB, pour faire accuser les Tchétchènes. Même si la vérité est difficile à déceler après toutes ces années, est-ce qu’il n’y a pas eu des dérives à l'époque de la part des services de renseignement ou du FSB pour aller très loin politiquement ?

Cette affaire est très connue et à la fois demeure très opaque. Les attentats contre les immeubles de Moscou se sont déroulés selon le schéma suivant. Des inconnus se sont introduits dans les caves des immeubles et ont déposé plusieurs centaines de kilos d'explosifs entraînant la destruction du bâtiment de plusieurs étages. Ces dégâts spectaculaires frappaient les habitants de ces immeubles sans leur laisser la possibilité de se sauver. A cette période, tous les habitants d'un immeuble d'habitations, des barres d'immeubles de plusieurs étages étaient inquiets par ce qui s'est passé déjà à Moscou. Ils ont commencé à surveiller leurs caves d'immeubles. A Ryazan, certains ont retrouvé un matériel suspect dans une cave d'immeuble.  Ils ont appelé la police pour dénoncer cette situation car ils redoutaient un attentat qui puisse être préparé contre eux. La police s'est déplacée et a retrouvé cette matière qui a été ensuite analysée. Le FSB est intervenu ensuite. Le FSB a alors déclaré que ce n'était pas de l’explosif mais simplement du sucre et qu’il s'agissait d'un exercice.

Il est donc impossible aujourd'hui de confirmer ou d'infirmer les paroles de ceux qui affirment qu’il s’agissait d’un exercice ou si cela était réellement une manipulation de la part du FSB qui aurait pu être directement impliqué dans les attentats. Une enquête journalistique indépendante a été menée aussi à l’époque. Cette investigation a essayé de prouver que ce n'était pas du sucre, qu’il s’agissait bien d’un explosif et que le FSB essayait de perpétrer un autre attentat à la bombe. Si cela était avéré, alors il serait possible de tirer comme conclusion que tous les autres attentats en 1999 auraient pu être aussi organisés par le FSB. Cette théorie était très répandue. Un livre a été publié sur ce sujet avec une investigation détaillée par un journaliste qui s'est réfugié ensuite aux Etats-Unis car il se sentait menacé sur le territoire russe. Toutefois, cette enquête journalistique n'a pas pu aboutir faute de moyens. Cette affaire a été étouffée.

L'opposition russe adhère à cette thèse et considère que tous les attentats à l’époque ont été organisés par le FSB pour catapulter Vladimir Poutine au pouvoir et pour lui donner un prétexte d'envahir la Tchétchénie et pour augmenter sa popularité.

Certains milieux complotistes affirment que, derrière ces attentats, le FSB avait un agenda caché.

Mais il n'y a pas de preuves formelles confirmant que le FSB était réellement à l’origine des attentats de 1999 ou s’il s’agissait simplement d’un exercice pour l’affaire du sucre de Riazan. Cette théorie n'a jamais pu être ni confirmée ni infirmée.

Vladimir Poutine, dans sa déclaration de samedi, reste focalisé sur l'Ukraine suite à l’attentat en périphérie de Moscou. Malgré la revendication de l’Etat islamique, Poutine a annoncé dans une allocution télévisée qu'une fenêtre de passage avait été préparée du côté ukrainien pour que les terroristes passent la frontière et rejoignent l’Ukraine dans leur fuite. N’est-ce pas là un autre exemple démontrant que Vladimir Poutine cherche à utiliser la guerre comme un outil politique pour sa popularité et son pouvoir ?

Vladimir Poutine est effectivement dans cette démarche et reste focalisé sur l’Ukraine.  Une fois l'attentat de Moscou terminé et après l’arrestation des assaillants, le pouvoir russe est passé à une phase d'instrumentalisation de l'événement. Si on se place dans la perspective russe, il fallait s'attendre à ce que ces attentats soient reliés à l'Ukraine. Moscou est dans une situation de confrontation majeure face à Kiev. Chacun cherche à diaboliser son ennemi.

Le chef du Kremlin n'a pas dit ouvertement que l'Ukraine était derrière les attentats de Moscou mais il a affirmé que les assaillants se dirigeaient vers la frontière ukrainienne. Or, cet élément n'est pas tout à fait sûr car l'endroit où ils ont été interpellés se trouve en fait beaucoup plus proche de la frontière avec la Biélorussie que de la frontière avec l'Ukraine.

Les propagandistes majeurs du régime russe ont déjà commencé à parler de cette trace, de cette connexion ukrainienne dans le cadre de l’attentat en périphérie de Moscou. Selon eux, les services ukrainiens auraient organisé ces attentats en « utilisant » des sympathisants de l'État islamique.

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