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Révolution sur canapé : une enquête montre que 92% des activistes berlinois d’extrême-gauche vivent chez papa-maman
©Sameer Al-Doumy / AFP

Génération Tanguy

Un rapport officiel allemand montre que la majorité des activistes d'extrême-gauche arrêtés à Berlin lors de manifestations sont des hommes (84%), âgés de 18 à 29 ans (72%) qui vivent chez leurs parents (92%).

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Un rapport réalisé en Allemagne par le Bureau Fédéral de la Protection de la Constitution montre que la majorité des activistes d'extrême-gauche arrêtés à Berlin lors de manifestations sont des hommes (84%), âgés de 18 à 29 ans (72%) qui vivent chez leurs parents (92%). Comment expliquer le profil de ces nouveaux "anarchistes" ? Est-ce similaire à ce qu'on observe en France ? Est-ce qu'il s'agit simplement d'éléments marginaux ou est-ce que cela révèle une difficulté d'intégration des jeunes hommes spécifique à notre époque ?

Vincent Tournier : Il est difficile de comparer avec la France parce que nous n’avons pas de données équivalentes, mais il est très probable que les conclusions soient convergentes. On sait que les activistes sont très majoritairement des hommes et qu’ils se recrutent essentiellement chez les jeunes. Partout, le sexe et l’âge constituent les principaux facteurs associés à l’activisme. C’est d’ailleurs un paradoxe que devraient analyser les militants d’extrême-gauche, souvent imprégnés d’une idéologie anti-sexiste : l’activisme n’est pas une activité paritaire. De toute évidence, les prédispositions biologiques jouent un rôle important, même si on ne peut évidemment pas réduire l’activisme aux seules hormones.

L’information originale apportée par cette étude concerne le fait que les activistes d’extrême-gauche vivent quasiment tous chez leurs parents. Cette situation est sans doute liée à des contraintes matérielles, mais elle illustre le fait qu’on n’est pas du tout dans une contestation de la famille. Ce résultat permet donc d’invalider la thèse qui avait été avancée dans les années 1960 selon laquelle les contestataires sont en révolte contre l’autorité familiale, et que leur engagement s’explique par une transposition de la critique de l’autorité paternelle vers l’autorité politique. Visiblement, les explications doivent être recherchées ailleurs. On doit notamment tenir compte du fait que les activistes se recrutent essentiellement dans les grandes métropoles cosmopolites (Berlin en est un très bon exemple) et qu’ils constituent la forme la plus avancée et la plus radicale d’une idéologie plus globale. Aujourd’hui, les activistes d’extrême-gauche ont le vent en poupe parce qu’ils prennent appui sur un contexte qui leur est favorable. Il existe bien sûr des groupuscules d’extrême-droite mais, pour l’heure, la contestation vient surtout de l’ultra-gauche, comme le montre la profusion de mouvements : zadistes, Black Blocs, No Border, militants vegans, animalistes, etc. Les médias se polarisent sur l’ultra-droite, dont ils redoutent la résurgence, mais l’ultra-gauche devrait préoccuper tout autant. L’étude allemande indique par exemple que les actes violents commis par l’ultra-gauche ont plus que doublé entre 2003-2008 et 2009-2013. Durant cette dernière période, les militants d’extrême-gauche ont également commis une douzaine d’homicides.

30% de ces activistes berlinois seraient de plus au chômage. Faut-il voir derrière ce chiffre le signe d'un échec de certains cursus d'études supérieures ? Là encore, cette réalité recoupe-t-elle celle observée en France ?

Il faut se garder de mal interpréter la surreprésentation des chômeurs. Une analyse rapide pourrait conduire à penser que le fait d’être au chômage constitue une prédisposition pour l’engagement. C’est ce que veulent croire les militants révolutionnaires qui pensent que la contestation vient de la détresse. Mais ce n’est pas si simple. En réalité, les études montrent que le chômage, et plus généralement la misère matérielle, sont rarement des facteurs déterminants, ce qui s’explique assez facilement : les gens pauvres sont souvent peu éduqués et peu politisés. D’ailleurs, si le chômage prédisposait à l’engagement, on aurait aujourd’hui plusieurs millions de personnes dans la rue, ce qui n’est pas le cas. La surreprésentation des chômeurs vient probablement d’un effet d’entraînement lié aux relations. Les jeunes qui sont au chômage peuvent avoir des amis qui sont eux-mêmes des militants. Or, souvent, l’engagement résulte d’une influence des pairs ou des proches.

Il reste que les sources de l’activisme sont ailleurs : elles doivent plutôt être recherchées dans la « frustration relative », c’est-à-dire dans les attentes non satisfaites. Ces attentes déçues peuvent être de nature matérielle mais aussi de nature symbolique et idéologique. La frustration relative se produit lorsque les jeunes ont le sentiment que les valeurs qui leur sont enseignées ne sont pas suffisamment mises en pratique, ce qui est notamment le cas aujourd’hui avec l’immigration ou l’écologie. En effet, le discours dans lequel ils baignent depuis leur plus tendre enfance est que l’humanité forme un grand tout et que la nature est en grand danger à cause des hommes. Or, en grandissant, ils constatent que le monde ne fonctionne pas exactement comme le modèle idéal qui leur a été vendu : les frontières n’ont pas disparu et la société de consommation pollue beaucoup. Il y a là tout ce qu’il faut pour provoquer un passage à l’acte, surtout parmi les jeunes qui cherchent un exutoire à leur trop-plein d’énergie.

Les "adversaires" des activistes seraient principalement des policiers pour 80% des cas, et 15% des activistes d'extrême-droite. Faut-il voir une forme de changement des idéologies au sein des mouvances violentes d'extrême-gauche ?

Ce résultat est tout sauf surprenant. La haine anti-flic est un invariant de l’ultra-gauche. Pour elle, la police est un ennemi parce que, dans son imaginaire, elle est le principal pilier de la classe dominante. Accessoirement, en cas de manifestation, ce sont les policiers qui se trouvent physiquement en première ligne devant les activistes. L’ultra-droite se heurte au même problème, mais pour elle, la police représente un enjeu plus compliqué parce que, dans son imaginaire, l’uniforme et la discipline sont fortement valorisés.

Il faut ajouter un autre point : le fait de s’en prendre à des policiers est une activité peu risquée, surtout en Allemagne, car les forces de l’ordre des sociétés occidentales sont normalement préparées pour limiter la répression. Donc, les risques sont relativement faibles, tandis que les bénéfices peuvent être importants, ne serait-ce qu’en termes de valorisation vis-à-vis de ses pairs pour avoir fait acte de bravoure.

Si le risque est faible face à la police, il est en revanche plus élevé avec l’autre ennemi : l’ultra-droite. C’est pourquoi seulement 15% des victimes sont des activistes d’extrême-droite, alors que ces derniers sont supposés être le principal ennemi. C’est le signe que les deux camps hésitent à s’attaquer mutuellement : ils sont moins assurés que l’autre camp fera preuve de la même retenue que les policiers. Et puis les militants d’extrême-droite sont très portés sur la castagne, ce qui les rend plus dangereux, comme on a pu le voir en France à l’occasion de de l’affaire Méric, ce jeune militant d’extrême-gauche qui a tragiquement surestimé ses propres capacités physiques face aux activistes de l’autre camp.

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