Révolution : l'AG de l'ONU va-t-elle être l'occasion d'un rapprochement entre l'Iran et l'Occident ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une rencontre entre Rohani et Hollande est prévue en marge de l'Assemblée générale.
Une rencontre entre Rohani et Hollande est prévue en marge de l'Assemblée générale.
©Reuters

Réunion au sommet

L’Assemblée générale des Nations unies se déroule ce mardi à New York. Hassan Rohani, président de l'Iran, est l'invité d'honneur de cette rencontre. Il s'entretiendra avec François Hollande, et les rumeurs d’une poignée de main avec Barack Obama court.

Atlantico : Ce mardi 24 septembre s'ouvrira à New York l'Assemblée générale des Nations unies. Le président iranien Hassan Rohani y participera pour la première fois. Depuis son arrivée au pouvoir, il a envoyé un certain nombre de signaux d'apaisement à destination de l'Occident. Jusqu'où peut-on se fier à ces signaux ? Sommes-nous à un tournant des relations entre Iran et Occident ?

Ardavan Amir-Aslani :Nous sommes face à un véritable bouleversement de la position iranienne vis-à-vis de l’Occident en général et des Etats-Unis en particulier. Il convient de se rappeler que pas plus tard que le mois de juillet dernier, l’Iran était présidé par un homme qui était arrivé au pouvoir dans des élections contestées et qui s’est fait une renommée internationale en tant que négationniste de la Shoah. Aujourd’hui, l’Iran est dirigé par un Président qui a remporté les élections dès le premier tour avec plus de 50% de votants sur les 75% du corps électoral qui a effectivement participé aux élections. Ainsi il n’y a pas commune mesure entre le Président sortant et Hassan Rohani ni en ce qui concerne la légitimité électorale, ni en ce qui concerne la modération des messages véhiculés. Ce dernier cherche ainsi par tous les moyens à se distinguer de son prédécesseur. D’où son message de félicitation sur Twitter à la communauté juive à l’occasion du nouvel an juif. Les signaux d’apaisement abondent : le remplacement de l’Ambassadeur d’Iran à l’AIEA, celui du responsable des centrales nucléaires, la libération de prisonniers politiques etc.

Cependant, par-dessus tout, il faut retenir le fait que le Président élu a le soutien du Guide Suprême. Dernièrement, le Guide a ainsi tenu des propos en tout point en accord avec le discours de Rohani ; un discours d’ouverture et de changement. Or il s’agit là d’une première dans l’histoire de la République Islamique. On peut considérer que la quasi-totalité des centres de pouvoir, qu’il s’agisse du Guide ou de l’Ancien Président Rafsandjani, voire même les Gardiens de la Révolution sont derrière Hassan Rohani. Ce n’était pas le cas, par exemple, lors de la présidence Khatami il y a une dizaine d’années. L’image véhiculée en provenance de Téhéran est celle de l’unicité des rouages du pouvoir dans leur détermination à changer l’attitude conflictuel envers l’Occident. Ainsi, on peut à juste titre considérer que Rohani est non seulement dépositaire d’un mandat populaire pour le changement mais que de surcroit les instances dirigeantes du pays semblent lui faire également confiance pour mener le pays hors de l’ostracisme international dans lequel il se trouve. Incontestablement, nous sommes à la veille d’un tournant historique qui peut changer la donne de manière très positive tant au Moyen-Orient que dans le monde musulman en général.

Thierry Coville : L’Iran défend d’abord ses intérêts nationaux. Les signaux envoyés montrent que l’Iran veut normaliser ses relations avec l’Occident mais surtout avec les Etats-Unis, mais il est clair que tous ces signaux sont très calculés. On est à un moment clé, car l’environnement n’a jamais été aussi favorable pour un vrai rapprochement. Si Barack Obama rencontre Hassan Rohani, ça sera un moment historique, comme lors des reprises des relations avec la Chine populaire.

Quels sont les enjeux et les risques de ce rapprochement pour l'Occident ?

Ardavan Amir-Aslani : Le principal enjeu est celui d’un règlement pacifique de la question nucléaire iranienne. Hassan Rohani vient de déclarer dans une tribune dans le Washington Post que l’Iran ne souhaite pas la bombe. L’Europe peut saisir cette opportunité, le prendre au mot et lui demander des gages. Ainsi, étape par étape, l’Iran pourra s’engager à ne pas enrichir l’uranium au-delà de 5%, voire fermer le site de Fordow ou encore octroyer plus de droits de visite aux inspecteurs de l’AIEA sur les sites militaires comme Parchin. En retour, l’Occident pourra graduellement, là aussi étape par étape, enlever les sanctions qui asphyxient la population iranienne. Parallèlement l’Iran pourra participer à l’apaisement des relations entre le Hezbollah et Israël, apaisement qui semble déjà être en marche de facto depuis que les fusils du mouvement libanais sont d’avantage orientés vers les djihadistes en Syrie que vers les troupes du Tsahal.

L’occident est aujourd’hui un spectateur impuissant face à ce Moyen-Orient en ébullition où il n’y a pas un jour qui passe sans son lot de carnage. L’Iraq avec ses attentats au quotidien qui entrainent la mort des civils par douzaines, encore plus que la guerre civile en Syrie, mais dont personne ne parle. L’affaire Syrienne est l’exemple patent où il est donné à choisir entre un régime totalitaire meurtrier mais séculier et un Califat djihadiste sanguinaire. Trois ans après le début de cette guerre atroce, aucune solution ne semble à portée de main. Le retour de l’Iran dans le concert des nations peut aider à mettre un terme à cette tragédie syrienne. C’est absolument irréaliste de vouloir négocier une fin à cette guerre civile sans l’intervention de l’Iran, principal soutien du pouvoir d’Assad. Une entente avec l’Iran permettrait ainsi la participation de ce pays à un sommet à Genève, chose qui était exclue il y a peu de temps encore.

Le grand risque pour l’Occident serait le scenario où les chants de sirènes en provenance de Téhéran seraient factices et que l’ensemble des dirigeants iraniens jouerait un jeu dangereux dont l’objectif serait d’acheter du temps pour pouvoir doter le pays d’armes nucléaires. C’est le risque que met en avant Netanyahou et l’aile droite de son parti. Je n’y crois pas un seul instant car le "break out" nucléaire ne règlerait aucune des difficultés auxquelles le pays est confronté dont la détresse économique. A mon sens, l’Iran n’aspire pas à devenir un deuxième Corée du Nord.

Thierry Coville : La réponse positive des Américains n’est pas spontanée. Ils sont arrivés à une conclusion, où ils pensent que la politique d’isolement et d’agression de l’Iran de Bush ne fonctionne pas, et qu’il faut discuter avec l’Iran. Les Etats-Unis sont conscients qu’ils ne pourront pas revenir aux mêmes relations qu’avant la révolution. De façon pragmatique, ils pensent que pour tenter de régler les crises dans lesquelles ils sont impliqués au Moyen-Orient, la solution est de discuter avec l’Iran. Ils ont également des intérêts économiques, car avant la révolution les entreprises américaines avaient de gros marchés en Iran dans l’aéronautique, l’énergie… Cela fait deux bonnes raisons pour eux de développer leur relation avec l’Iran.

Du côté des risques, il y a évidemment la question d’Israël. Mais ils ont préparé le terrain, car ce qui se passe en ce moment ce n’est pas spontané, tout est calculé.

L’alignement européen et français sur la politique américaine est dommageable. L’Europe avait repris des relations avec l’Iran depuis la fin des années 1990, on avait des meilleures relations que les Etats-Unis. L’Occident a des intérêts économiques et stratégiques, si l’Europe veut être active au Moyen-Orient elle ne peut pas se passer de l’Iran, il faut sortir de la politique néoconservatrice qui veut qu’on n’ait pas de relations avec l’Iran.

Et pour l'Iran ?

Ardavan Amir-Aslani : L’Iran cherche à sortir d’un triple emprisonnement. D’abord celui dû aux sanctions économiques américaines et européennes qui ont réduit les exportations pétrolières du pays à une peau de chagrin et amoindri son économie. Le pouvoir iranien a besoin d’offrir un avenir et un espoir à sa jeunesse qui représente la majorité de sa population et qui n’aspire qu’à vivre une vie décente. Il est primordial pour le pouvoir iranien de sortir de l’engrenage des sanctions pour empêcher l’explosion sociale et par la même assurer la pérennité du régime. D’où la nécessité d’une entente avec les Etats-Unis en particulier.

Ensuite le pouvoir iranien vit dans la terreur des djihadistes islamiques sunnites qui prennent indifféremment les chiites pour cible. Au demeurant ce sont ceux-là mêmes qui prennent les Occidentaux pour cible. Il y a donc convergence d’intérêt entre le pouvoir iranien et l’Occident à contenir l’essor de l’islamisme djihadiste sunnite. Rohani pense que le retour de l’Iran dans le concert des nations et un rapprochement avec l’Occident serait de nature à fortifier la position du pays face à ce fléau djihadiste.

Enfin, l’Iran cherche à décroître sa dépendance grandissante envers la Chine. Autant que les Américains, les Iraniens ont intérêt à contenir l’essor des Chinois qui regardent avec convoitise les ressources d’hydrocarbures du Moyen-Orient. Rappelons que l’Iran recèle les premières réserves de gaz et les troisièmes réserves pétrolières prouvées au Monde. Un rapprochement avec l’Occident serait la solution. Rappelons que ce rapprochement serait bénéfique pour les deux parties. A titre d’exemple, les pertes de Renault au titre de son dernier exercice sont dues au manque à gagner du fait des sanctions en Iran.

Thierry Coville : Les premiers enjeux sont le nucléaire et les sanctions. L’Iran a analysé que la politique de Mahmoud Ahmadinejad, à savoir ses déclarations intempestives de non négociation, a affaibli la position de l’Iran sur le plan international avec la multiplication des sanctions. Ils pensent qu’Ahmadinejad était très mauvais sur le soft power iranien, ils veulent rétablir l’image de l’Iran. Cela ne veut pas dire que le contenu de la politique va changer, mais ils souhaitent une rupture avec la façon de traiter d’Ahmadinejad.

Quel peut-être le rôle de l'Iran ou Moyen-Orient ? La volonté des Iraniens de collaborer constituera-t-elle la clé d'une situation dans laquelle les Occidentaux semblent aujourd'hui perdus ?

Ardavan Amir-Aslani : Comme rappelé plus haut, le retour de l’Iran peut être la clé de la crise syrienne mais aussi du conflit israélo-palestinien, de l’engrenage de l’Iraq, de la quasi situation insurrectionnelle au Bahreïn, du conflit yéménite avec les Houthis etc.. Ainsi l’Iran peut contraindre Assad à venir à la table des négociations à Genève. L’Iran peut aussi calmer les ardeurs de certains groupes palestiniens dans le conflit qui les opposent à Israël. Ou encore apporter son concours à tant de conflits entre Chiites et Sunnites partout dans le monde musulman. L’Iran peut jouer un rôle de stabilisateur dans tout le Moyen-Orient comme ce fut le cas sous le régime impérial où la simple menace d’une intervention de l’armée impériale contraignait Saddam Hussein au calme à l’intérieur de ses frontières et réduisait les mouvements islamistes révolutionnaires au silence, comme dans le Sultanat d’Oman.

Thierry Coville : On a tout à gagner à discuter avec les grands acteurs de la région. La politique occidentale qui consiste à ne se reposer que sur certains acteurs comme l’Arabie Saoudite et le Qatar - qui ne défendent pas du tout un agenda politique qui nous convient - met l’Europe en porte-à -faux. Il faut équilibrer notre diplomatie, et réintégrer l’Iran dans tous les enjeux régionaux pour l’Europe et les Etats-Unis.

Une rencontre entre Rohani et Hollande est prévue en marge de l'Assemblée générale. Une autre, historique, pourrait avoir lieu avec Obama. Quelles sont les principales étapes préalables à un véritable rapprochement ?

Ardavan Amir-Aslani : Il n’y aura pas de véritable rapprochement tant que la question nucléaire iranienne ne sera pas réglée d’où l’insistance du nouveau Président iranien sur les intentions pacifiques de son pays dans ce domaine. Dès que cette question sera réglée à la satisfaction de tous dont Israël, un véritable rapprochement voire même une véritable alliance pourra s’opérer. Ce jour n’est pas aussi lointain que certains pourraient ou aimeraient croire.

Thierry Coville : Une rencontre est très forte sur le plan symbolique, historique même. Les relations vont reprendre de façon graduelle. Il y a des dossiers dans lesquels les Américains sont directement impliqués : Irak, Afghanistan, Syrie… ils devraient donc tenter de discuter avec l’Iran sur ceux-ci.

Propos recueillis par Manon Hombourger

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