Retraites : mais quelle stratégie le gouvernement pourrait-il encore déployer pour échapper au crash ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le projet de réforme des retraites porté par Emmanuel Macron et Elisabeth Borne est de plus en plus rejeté par les Français.
Le projet de réforme des retraites porté par Emmanuel Macron et Elisabeth Borne est de plus en plus rejeté par les Français.
©Thomas Padilla / POOL / AFP

Pédagogie

Les Français sont de plus en plus nombreux à rejeter le projet de réforme des retraites défendu par l'exécutif et se sentent de plus en plus solidaires avec les manifestants, selon les sondages. Le gouvernement a-t-il les moyens de retourner l’opinion publique en sa faveur ?

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : Plus le gouvernement s’exprime pour défendre la réforme des retraites, plus les Français se sentent solidaires des manifestants. Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas su imposer sa « pédagogie » ?

Arnaud Benedetti : Parce que la « pédagogie » dont l’exécutif ne cesse de dire qu’il entend en faire toujours plus preuve est considérée par une majorité de l’opinion publique comme un levier de propagande. Cette communication sur la communication insuffisamment pédagogique relève d’une mise en abyme ; réduire la politique à son os communicant en dit long sur ce qu’est devenue la politique d’une part et sur le rapport au peuple d’autre part d’une partie des classes gouvernantes. La réforme proposée par Madame Borne souffre de trois maux : elle intervient dans un contexte d’agrégation des difficultés socio-économiques liées entre autres à l’inflation; elle est vécue comme injuste et comme l’expression de la régression de trop après des années, où contrairement à ce que prétendent les partisans du « cercle de la raison », en réalité une sorte de « triangle des Bermudes » des peuples, les peuples justement n’ont cessé d’encaisser des chocs d’adaptation, y compris et peut-être plus qu’ailleurs en France avec les résultats que l’on sait : désindustrialisation, déclassement social, déficits publics, etc ; elle a connu des justifications successives, un jour nécessaire pour financer des politiques publiques, un autre pour sauver le système par répartition qui indéniablement ont miné, pour le coup, la crédibilité argumentative de l’exécutif. Ce faisceau explique le rejet massif dont le projet est l’objet. Avec à mon sens cette représentation qu’une limite est en passe d’être franchie dans un pays qui depuis des décennies s’est construit sur l’élargissement des droits sociaux et qui après un trend de recul de ces derniers n’apparait plus en mesure d’accepter un énième démantèlement. La réforme arrive au mauvais moment, conduite et portée par des dirigeants démonétisés, quand bien même s’appuient-ils sur le résultat d’élections dont ils ne veulent pas voir le résultat profondément ambivalent. 

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Les débats sur cette réforme commencent au Parlement. Le gouvernement a-t-il les moyens de retourner l’opinion publique en sa faveur ?

La bataille de l’opinion ne peut être gagnée, elle est d’ores et déjà perdue. Mais le texte, faute d’accord entre les oppositions, a toutes les chances d’être adopté contre… une majorité de Français. De deux choses l’une : soit cela se paye cash avec un pays qui se grippe et se bloque et la crise sociale se politise avec le risque à venir d’une grande instabilité institutionnelle; soit cela se soldera plus tard, électoralement, avec un bonus potentiel pour le Rassemblement national qui est le mieux à même politiquement de capitaliser sur le ressentiment que ne manquera pas de susciter l’adoption d’un texte rejeté encore une fois par près de 70 % de nos compatriotes. La réalité, c’est que du côté du pouvoir on escompte sur l’essoufflement de la mobilisation dans la rue et sur la résignation de l’opinion, y compris dans son hostilité dont on estime qu’elle en restera au stade d’une humeur sans effet politique immédiat. La grille d’analyse d’Hirschman qui se pencha sur les processus de mobilisation et qui décrivit des cycles alternant entre « Voice » - participation, et « Exit » - retrait civique, pourrait pour la circonstance nous aider à comprendre ce que nous sommes en train de vivre : une forme d’hybridation où la protestation n’exclut pas une modulation de son intensité au point d’êtrecathartique un temps avant de se retirer ensuite… 

Quelles conséquences aurait un passage en force de la réforme des retraites ?

Madame Touraine, ancienne ministre de François Hollande, a priori plutôt ouverte au macronisme, n’a pas tort de déceler dans le passage en force de ce projet un carburant très énergétique pour le Rassemblement national. Évidemment, l’histoire n’est jamais écrite à l’avance mais ce qui se forme dans les couches profondes de notre société doit sans doute être pensé loin des cadres mentaux qui supposent d’envisager l’avenir avec des cadres de réflexion identiques à ceux qui nous ont permis de penser jusqu’à maintenant la société et la politique, le rapport institution et corps social aussi. Tout se passe comme si plusieurs degrés avaient été franchis ces dernières années dans la montée vers ce qu’il faut bien appeler la crise de régime. Nous nous en approchons fortement et la Vème République est confrontée à l’approche de son heure de vérité. La question consiste à savoir jusqu’à quand les institutions seront assez solides pour préserver une classe dirigeante qui est perçue par une majorité du corps social comme ayant failli. De Gaulle avait imaginé une nouvelle constitution pour régénérer le pays et indéniablement il y parvint. Aujourd’hui, les institutions de la Vème se sont retournées pour une part contre le peuple en ce sens qu’elles ne sont plus utilisées pour le protéger mais pour s’en défier et le tenir à distance. Jusqu’à quand ? Telle est la question…

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