Retour de la lubie 35h au PS… 5 petites notions d’économie qui permettraient à la gauche de comprendre enfin le réel<!-- --> | Atlantico.fr
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Retour de la lubie 35h au PS…
Retour de la lubie 35h au PS…
©Pixabay

Marottes gauchistes

Un rapport publié récemment par une députée PS vante les mérites des 35 heures, en s'appuyant sur les statistiques de la période Lionel Jospin. Un exemple parmi d'autres des mantras économiques de gauche.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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1. La réduction du temps de travail

Sur le long terme, les gains de productivité sont si importants qu’il est tout à fait naturel de sacrifier une partie de sa consommation pour avoir plus de temps libre. Ce qui est en revanche faux c’est de penser qu’imposer une réduction uniforme de la durée du travail puisse créer des emplois, et de feindre d’ignorer que le prix à payer pour une telle politique est une réduction du niveau de vie. Dans une économie "à l’équilibre", on consomme en moyenne ce qu’on produit. Travailler moins veut dire produire moins, et donc consommer moins. Et c’est par une baisse du salaire et donc du niveau de vie des travailleurs que l’économie réalise cet équilibre. Si ce dernier baisse proportionnellement à la durée du travail, le coût du travail est inchangé et il n’y a en gros pas d’effet sur l’emploi. Si l’on s’obstine à maintenir le revenu des travailleurs en dépit de la baisse de leurs heures hebdomadaires, le coût du travail augmente et l’emploi diminue.

Les politiques de réduction forcée du temps de travail sont doublement démagogiques. Elles promettent du loisir "gratuit", non financé par une réduction de la consommation. Et elles flattent les modes de pensée simplistes qui considèrent la quantité totale d’heures travaillées comme fixe, et en concluent que l’on ne peut pas faire mieux que de partager cette quantité équitablement.

Les pays où la durée légale du travail est plus élevée, Royaume-Uni, Etats-Unis, Suisse, ont un taux d’emploi plus élevé que la France, et un revenu par tête plus élevé. De plus, le travail à temps partiel y est également plus répandu, ce qui prouve que ces durées légales plus élevées n’empêchent pas ceux qui désirent réduire leurs heures hebdomadaires de le faire s’ils le désirent. Mais, inversement, ceux qui veulent travailler plus le peuvent, ce qui est particulièrement intéressant pour les ménages modestes.

Il est à déplorer que ces observations de bon sens n’aient pas encore atteint nombre de politiques, qui persistent à penser que le nombre total d’heures travaillées est un gâteau dont la taille est fixe, dont le nombre de parts ne pourrait être accru qu’en réduisant la taille de chaque part. Ainsi, par exemple, un rapport parlementaire récent expliquerait la bonne performance de l’économie française sous Lionel Jospin par les effets bénéfiques de la RTT… Or, sur la même période, le chômage a baissé de deux points et demi en Grande-Bretagne et de sept en Espagne, deux pays qui n’ont certes pas réduit leur durée du travail. C’est donc avant tout la conjoncture internationale qui explique la bonne tenue de l’économie Française au cours de cette période. Quant aux estimations d’instituts de conjoncture ou autres qui montreraient que les 35 heures auraient créé des emplois, elles ont deux graves défauts. D’une part elles reposent sur des mécanismes purement keynésiens qui ne sont valides qu’à court terme, ignorant en particulier les contraintes d’offre et les effets des politiques considérées sur la formation des salaires. D’autre part elles oublient que ce qui compte pour le bien être c’est la production totale et non l’emploi. Si l’on admet – ce que je crois faux à moyen et long terme – qu’une réduction de la durée du travail de 10 % crée 300.000 emploi, soit une hausse du taux d’emploi d’environ un point et demi, il n’en reste pas moins que la quantité totale d’heures travaillées baisse de 8.5 %, ce qui représente un appauvrissement considérable.

2. L’obsession de la "relance"

Historiquement, l’idée que le gouvernement peut relancer la machine économique en augmentant les dépenses publiques est l’un des fondements de la macroéconomie moderne. Encore faut-il comprendre les limites de cette idée.

Première limite : la relance ne fonctionne qu’à court terme, lorsque les entreprises sont réticentes à embaucher parce qu’elles ont du mal à vendre leurs produits, à cause d’un déficit de demande. A long terme, les prix s’ajustent et l’économie revient vers un niveau "naturel", ou "d’équilibre" de l’activité. Il se peut que ce niveau d’équilibre soit fort peu satisfaisant. Cela signifie alors que l’économie souffre de rigidités structurelles et non pas qu’il faille accroître la demande. Après six ans de crise et un chômage qui continue d’augmenter en dépit de taux d’intérêts extrêmement faibles et d’un politique budgétaire nettement expansionniste, il convient de se demander si le problème n’est pas essentiellement structurel.

Deuxième limite : l’efficacité des politiques de relance dépend des anticipations des agents économiques. Si ceux-ci considèrent que la relance va conduire à des problèmes de financement sérieux dans quelques années, ils auront tendance à épargner en prévision de ces lendemains qui ne chantent pas. Cette baisse de la consommation privée annule partiellement ou totalement les effets positifs de la relance par la dépense publique. Or dans le contexte actuel de déficits élevés, de pression fiscale considérable et d’une dette en augmentation rapide, une "relance" se payera inévitablement, soit par des hausses d’impôts intolérables, soit par une faillite de l’Etat qui entraînera le chaos, soit par une réduction  des dépenses publiques si violente qu’elle nous plongera dans une récession digne de la Grèce ou de l’Espagne. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nos gouvernants veulent que ce soit l’Allemagne qui mette en place la relance dont ils ont besoin.

Troisième limite : ces politiques de relance ne sont donc viables que si elles sont compensées par des politiques d’austérité en période de vache grasse. Cela permet en effet de stabiliser la trajectoire de la dette publique et de se donner la marge de manœuvre nécessaire pour relancer l’économie en période de récession. Si l’on ne s’impose pas cette discipline, on va dans le mur. Et quand on s’écrase contre le mur, il est trop tard. Or le budget de l’Etat n’a pas été en excédent depuis plusieurs décennies…

3. Les prélèvements excessifs

Les prélèvements impliquent des distorsions économiques : baisse des incitations à travailler, à embaucher, à investir et à innover. A court terme, ces distorsions sont faibles, car les ménages et les entreprises mettent un certain temps à s’adapter à la nouvelle donne fiscale. Ainsi, les politiques et l’administration pensent pouvoir s’en sortir en raisonnant à comportements inchangés. C’est cette approche qui prévaut quand on nous dit que telle mesure va rapporter tant de milliards. A long terme, cependant, les agents s’adaptent à la fiscalité. Les riches vont s’installer en Belgique. Les entreprises délocalisent leurs profits pour échapper à l’IS, ou leurs unités de production pour échapper aux charges sociales ; les ménages recourent au travail au noir ; les médecins ou les restaurateurs travaillent moins ; les footballeurs signent avec des clubs étrangers moins taxés. Les milliards escomptés s’amenuisent, et les problèmes de finances publiques ne se règlent pas. On le constate aujourd’hui où après plusieurs années de hausses féroces de prélèvement, le déficit reste bien au-dessus des 3 % et repart à la hausse. Lorsque la pression fiscale augmente au-delà d’un seuil critique, l’effet "Laffer" commence à jouer : les hausses supplémentaires d’impôts réduisent les recettes fiscales. En principe, il suffirait alors de baisser les impôts pour augmenter ces dernières ; sauf que, à nouveau, cela ne joue qu’à long terme. C’est-à-dire qu’il faut être patient et attendre que les entreprises réinvestissent, que les riches reviennent, etc. Et pour que cela soit le cas, il faut être capable de les convaincre que les impôts n’augmenteront pas à nouveau. C’est-à-dire s’engager sur un programme durable de réduction des dépenses publiques.

4. Le traitement des inégalités

Réduire les inégalités n’est pas un objectif en soi. Par exemple, appauvrir les riches n’a pas de sens si cela ne sert pas à enrichir les pauvres. Or, l’obsession égalitaire a trop souvent conduit à prendre des mesures anti-riches comme la hausse de l’ISF ou la taxe à 75 %, alors même que ces taxes, du fait de leur faiblement rendement, ne profitaient à personne. Certains économistes, spécialisés dans l’étude du bonheur, prônent cependant ce genre de taxe parce qu’elles réduiraient les phénomènes d’ "envie". Cependant, il n’y a rien de plus dangereux que la prise en compte de toutes sortes de sentiments humains (et notamment l’envie) dans un calcul du "bonheur" optimal, dont l’Etat aurait bien entendu la charge. D’ailleurs ces économistes préconisent également de dissuader les pauvres de s’enrichir, car, paraît-il, certaines études montrent que "l’argent ne crée pas le bonheur" (on se demande alors pourquoi il serait si important de réduire les inégalités).

Avant de réduire les inégalités, il convient donc de se demander pourquoi on veut le faire. Si c’est pour éviter des "tensions sociales", il faudrait expliquer en quoi Bernard Arnault, Liliane de Bettencourt, Yannick Noah, ou Karim Benzema aviveraient les tensions sociales plus que, par exemple, les politiciens ou les syndicalistes. Si c’est pour lutter contre la pauvreté, il s’agit là d’une notion différente – la quantité d’argent à redistribuer ne devrait pas excéder celle nécessaire pour maintenir la population concernée au-dessus du seuil de subsistance. Et, là encore, il faudrait expliquer pourquoi cette préoccupation disparaît dès lors qu’il s’agit de mettre en place des politiques régressives telles que TIPP, écotaxe, ou normes dans la construction, ou encore des politiques qui réduisent les possibilités de mobilité sociale comme la dégradation du niveau dans  l’enseignement public.

5. Les réformes structurelles ciblées sur la "bourgeoisie" ne peuvent pas suffire.

Afin de faire avaler à Bruxelles et à Berlin son déficit excessif, le gouvernement prévoit des réformes structurelles, qui concernent par exemple les professions réglementées ou le commerce de détail. Nous verrons l’ampleur réelle de ces réformes lorsqu’elles seront effectivement mises en œuvre. Cependant, ces réformes soigneusement ciblées pour épargner l’électorat traditionnel de la gauche, et dont les perdants sont des "notables" et des "bourgeois", ont le défaut de s’attaquer à des problèmes certes réels mais de second ordre si on les compare aux rigidités les plus néfastes à la performance de notre économie. Celles-ci concernent en effet le coût excessif du travail, dû aux charges sociales et à sa durée hebdomadaire trop faible ; le poids du SMIC, notamment dans les régions les moins productives ; le système de négociation collective qui ne prend pas en compte les intérêts des chômeurs et nuit à la création d’emploi ; le poids excessif de l’Etat et la fiscalité qui va avec ; et enfin les contraintes imposées aux entreprises par le code du travail, notamment en matière de licenciements.  En d’autres termes, les sujets qui fâchent.

L’idée de s’en sortir par le haut de façon quasi-consensuelle en se focalisant sur une poignée de rentiers et sur des entraves à la concurrence dans un nombre limité de secteurs, conduit à accorder un temps, une attention, une énergie et un capital politique considérables à des questions dont l’enjeu en termes de PIB n’excède sans doute pas 0.5 points.

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