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Retard à l’allumage : l’union nationale face au Coronavirus doit-elle laisser de la place à la critique constructive ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Unité ?

Le gouvernement d'Emmanuel Macron semblait dépassé par l'ampleur de l'épidémie du Coronavirus dans les premiers jours de la crise, notamment sur la question du manque de masques de protection. La crise sera-t-elle mieux gérée après le discours du président et quel pourrait être le rôle de l'opposition ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico.fr : Manque de masque, SAMU débordé, hôpitaux désorganisés ... Le gouvernement d'Emmanuel Macron semble totalement dépassé par l'ampleur qu'a pris l'épidémie de coronavirus. L’opposition doit-elle rester inaudible et respecter "l’union nationale", ou au contraire doit-elle se faire entendre sur la désorganisation du gouvernement face à l'épidémie ?

Maxime Tandonnet : Nous vivons une crise d’une extrême violence, peut-être la première panique planétaire issue de la globalisation qui combine une grande peur sanitaire, un effondrement financier et un désastre diplomatique majeur dans le monde occidental. Dans ce contexte dramatique, l’attitude la plus responsable consiste à s’abstenir de polémiques inutiles ou excessives. Nous avons des dirigeants qui tentent de faire face à leur responsabilité à tous les niveaux. Pendant que cette crise dure, critiquer leur action consacrée aux mesures concrètes, de manière systématique ou excessive, peut leur compliquer la tâche. En outre, certains métiers et services publics sont particulièrement exposés à l’épidémie : sapeurs-pompiers, médecins, personnels hospitaliers. Ceux-là sont à leur poste et font leur devoir. Ce serait manquer au principe de solidarité envers eux que de développer, pendant le déroulement de la crise, une attaque qui pourrait les atteindre, même indirectement, sur une supposée désorganisation.  

Christophe Bouillaud : Il me semble que les oppositions, à l’exception de l’extrême-droite qui reste cependant à ce stade beaucoup trop généraliste dans ses considérations pour porter vraiment, restent trop timides dans leurs critiques. Même dans de telles situations, le rôle des oppositions demeure. Que ce soit publiquement ou dans le secret des rencontres avec le pouvoir, il est en effet vraiment important que ce dernier reçoive des critiques, fondées ou non d’ailleurs, sur son action de la part de ceux qui aspirent à le remplacer. De fait, en démocratie, les opposants sont un peu payés pour faire ce travail. La faiblesse des critiques de la part des oppositions tient sans doute au fait qu’elles ne disposent guère elles-mêmes en interne des capacités d’analyse nécessaires en matière de lutte contre les épidémies, et qu’elles en sont réduites à s’en remettre à des spécialistes ou des organismes comme l’OMS, et qu’elles sont aussi  visiblement trop obsédées par les aspects purement économiques de l’épidémie pour tenir un discours vraiment en rupture avec celui du pouvoir.

On peut même se demander à ce stade, par comparaison avec la situation italienne, si les oppositions n’ont pas négligé de jouer leur rôle en ne poussant pas plus le gouvernement à agir vite et fort contre cette épidémie, dont le Président vient à juste titre de déclarer hier soir qu’elle est historique. Tous les partis d’opposition ou au moins la majorité d’entre eux auraient poussé à prendre des mesures drastiques il y a quinze jours nous aurions peut-être limité le désastre. Il est vrai que ces mêmes partis n’avaient guère envie d’arrêter net leurs campagnes pour les municipales. 

En prenant la parole, l'opposition ne se laissera-t-elle pas tenter par une récupération purement politique de la crise, en particulier à l'approche d'enjeux électoraux ?

Maxime Tandonnet : On peut être dans une opposition franche et résolue à la politique actuelle – sur les déficits publics, les impôts, les retraites, la sécurité, l’éducation, et, en période de crise aussi dramatique, respecter l’action des autorités. Il me semble que toute arrière-pensée politique, dans une période aussi cruciale, serait inadmissible qu’elle vienne de pouvoir lui-même, exploitant une situation, ou des oppositions. Mettre à profit, aujourd’hui, en pleine calamité, la peur collective pour des raisons électoralistes, serait un signe express de démagogie, de la part des uns comme des autres. Cette attitude reviendrait à rajouter du chaos sur le chaos. Elle sera ressentie comme de la démagogie et se paiera plus tard dans les urnes. Il en sera tout autrement par la suite, une fois engagée la sortie de crise. Quand la période difficile sera derrière nous, il sera temps de faire un bilan de poser les bonnes questions et d’établir les responsabilités des uns et des autres et de sanctionner par les urnes des choix inadaptés ou toute forme de démagogie qu’elle vienne du pouvoir ou des oppositions. 

Christophe Bouillaud : Plus simplement, on peut peut-être dire que chaque parti lira cette épidémie, ses causes et ses conséquences, à la lumière de sa propre vision du monde, de son idéologie préalable. C’est ainsi certain que les partisans d’un Etat-Providence et d’un fort financement public de la santé et de l’emploi vont voir dans cette crise la preuve de la justesse de leurs thèses. On voit bien aussi à quel point l’extrême-droite, en France et ailleurs dans le monde, y voit une conséquence des mouvements humains mal régulés entre pays, avec son obsession réaffirmée de rétablir les frontières. Et Emmanuel Macron n’a pas manqué lui-même de leur rétorquer que cette crise ne devait pas être un prétexte pour la xénophobie et le repli sur soi. Donc il ne s’agit pas d’une récupération, mais simplement de l’expression de la sensibilité politique de chacun. 

Par ailleurs, je pense que, même s’il n’y avait pas d’élections municipales dimanche prochain, les réactions des oppositions seraient largement les mêmes. Les identités idéologiques de chacun ressortiraient. 

La prise de parole hier d'Emmanuel Macron avait pour but de rassurer les Français. Son discours vous a-t-il convaincu de la compétence de ce gouvernement à gérer la crise ? En fermant les écoles et en laissant les municipales se poursuivre, Emmanuel Macron n'a-t-il pas coupé l'herbe sous le pied de l'opposition ?

Maxime Tandonnet : Il est difficile de le juger à chaud. Quoi qu’il dise, on lui reprochera de faire trop ou pas assez. Sa communication était longue et touffue pour une communication solennelle. Seul l’avenir permettra de porter un jugement objectif. On ne peut qu’approuver le fait d’avoir consulté M. Larcher et renoncé à sa demande à suspendre le processus électoral des municipales. En décidant la fermeture des établissements scolaires, il tente de se garder du reproche d’inaction ou d’indécision. Mais comment vont faire les familles, les pères et les mères qui travaillent ? Comment financer les mesures d’accompagnement annoncées ? Même si l’opposition doit s’abstenir de fustiger systématiquement l’action gouvernementale, il est aussi de son devoir de poser ce genre de question. Elle doit surtout mener une réflexion sur la dimension historique des événements pour en tirer les leçons. Dans quelle mesure la mondialisation et l’effacement des frontières ont-t-ils favorisé la rapidité de la propagation de cette épidémie ? Quelles précautions eût-il fallu prendre ? Quelles pratiques ont favorisé l’effondrement de la finance et de l’économie mondiale comme un château de carte ? Comment restaurer un système hospitalier prêt à faire face à toute situation d’urgence. Et au-delà, poser la question de la confiance des Français envers leur classe dirigeante, une confiance qui fait cruellement défaut dans des circonstances aussi tragiques. 

Christophe Bouillaud : De toute façon, le fait que les municipales aient finalement lieu, en dépit du caractère peu responsable de cette décision face à une telle épidémie, tient largement au fait que les oppositions n’ont pas elles-mêmes demandé leur report au gouvernement il y a quinze jours. Si tous les gagnants annoncés de ces municipales avaient demandé à sursoir, le perdant annoncé au pouvoir aurait sans doute pu sursoir, et proposer à la représentation nationale une loi à voter d’urgence à l’unanimité des partis pour repousser légalement ces municipales. Mais comme cela ne lui a pas été demandé, et que toute remise à plus tard de ce rendez-vous électoral aurait été interprétée comme une manœuvre de sa part pour ne pas perdre et pour empêcher la victoire des opposants, il ne lui reste plus qu’à les maintenir. Vu cette situation, je doute que les opposants osent ensuite se plaindre de ce maintien. Encore que personne ne sait la situation sanitaire dans laquelle le pays sera le dimanche 22 mars… Personne ne voudra sans doute être co-responsable de ce choix. 

Pour ce qui est de la fermeture des crèches, écoles, collèges, lycées et universités, c’est évidemment la bonne solution selon ce qu’on peut savoir de la manière un tant soit peu efficace de lutter contre cette épidémie inédite. Tous les pays concernés le font, la liste des pays appliquant cette mesure s’allonge de jour en jour, et je ne vois pas pourquoi la France ne l’aurait pas fait. Du coup, il sera très difficile aux oppositions de dire leur mot là-dessus, sinon pour regretter que cette décision n’ait pas été prise plus tôt. Par contre, Emmanuel Macron s’est laissé aller à promettre quelque chose de contradictoire avec la raison même de cette fermeture : une garantie de garderie pour les enfants de la part de l’Etat. C’est totalement idiot. Je me demande bien quel conseiller lui a soufflé une telle idée bouffonne. Ce n’est pas comme une grève des enseignants qu’il faut gérer au mieux pour les parents qui travaillent en assurant un service minimum d’accueil. De fait, la fermeture des écoles, c’est une stratégie pour faire en sorte que les enfants de différentes familles ne soient plus en contact les uns avec les autres. Il faudra donc bien que les parents les gardent ou les fassent garder par des proches. Il aurait fallu assumer cette fonction de ralentissement de la vie sociale d’une telle fermeture des écoles. Il est probable que les oppositions se mettent du coup à souligner les difficultés des parents à faire garder leurs enfants. Il aurait fallu assumer dès le début que cela voulait dire mobiliser les parents à domicile. De la même façon, laisser croire comme le Ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, celui qui niait encore le matin de l’allocution présidentielle la possibilité de cette mesure, que tous les jeunes concernés vont apprendre la même chose via Internet qu’en classe n’est qu’une vaste blague, destinée à faire semblant que tout cela n’a pas d’impact sur la scolarité, cela sans doute pour rassurer le parent « consumériste » type préparant son enfant à entrer à l’X ou à Science-Po Paris. Il ne faut pas se leurrer sur l’impact sur la scolarité de ces derniers, mais il ne faut pas surestimer non plus ce qu’une telle interruption représente dans la scolarité d’un élève de 3 ans à 18 ans. 

Pour le reste, nous ne sommes sans doute qu’au début des mesures à prendre, et désormais les oppositions pourront toujours dire qu’elles auront été prises trop tard. Enfin, il est assez fascinant d’avoir vu hier soir Emmanuel Macron se mettre à nous faire tout d’un coup du « Sarkozy cuvée Toulon 2008 » sur l’Etat-Providence et sur les limites du tout-marché. Ce virage pour le moins subit ne manquera pas de laisser prise à quelques critiques de la part des oppositions sur sa sincérité. Emmanuel Macron devra sans doute dès le 23 mars, voire avant, changer les titulaires de nombreux ministères pour mettre ses actes en accord avec ces rodomontades sociales-démocrates d’hier soir. 

Propos recueillis par Mark Samba

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