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Remaniement en vue : la science délicate de la composition des gouvernements
©Reuters

Manier pour remanier

Dans un article publié par Le Monde le 29 septembre, les petites notes de Patrick Buisson dévoilent les dessous des remaniements. Et dans cet exercice, les effets de communication semblent plus importants que les compétences des ministres.

Jean-Pierre Bédeï

Jean-Pierre Bédeï

Jean-Pierre Bédéï, ancien éditorialiste au bureau parisien de La Dépêche du Midi, est l'auteur d'essais politiques dont "Au perchoir", "Sur proposition du Premier ministre" et "La Macronie ou le nouveau monde au pouvoir" (L'Archipel, 2024, 2015 et 2018).

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Atlantico : Copé à Beauvau pour éviter une guerre Copé Fillon. Alliot-Marie qui « incarne la rigueur » est préférée à Valérie Pécresse jugée trop glamour pour le ministère de la justice… Les notes de Patrick Buisson, publiée dans le journal Le Monde cette semaine, révèlent que les compétences des uns et des autres pèsent peu dans les choix qui président à un remaniement.  La composition d’un gouvernement répond-elle uniquement à des exigences de communication ?

Jean-Pierre Bédei : Non. Les principaux ministres, notamment aux postes régaliens, sont choisis en fonction de leurs compétences, d'une expérience politique ou professionnelle solide, ou bien en raison de la grande confiance que leur accorde le président de la République. Mais d'une manière plus générale le chef de l'Etat prend en compte d'autres critères : la récompense de fidèles qui l'ont accompagné et soutenu tout au long de sa marche vers l’Élysée, l'extrême loyauté en ce qui concerne le poste de Premier ministre, le respect des équilibres politiques entre les différents partis de la majorité, les calculs politiciens qui ont pour but de neutraliser un rival comme ce fut le cas sous Chirac avec l'ascension ministérielle de Villepin qui visait à entraver  Sarkozy. Sans succès..  En 2014, Michel Sapin, est nommé ministre des Comptes publics, pour marquer à la culotte l'incontrôlable Montebourg promu à Bercy. Sans succès non plus...Et puis, il y a aussi des exigences de communication dans la formation d'un gouvernement  avec l'ouverture à des personnalités de la société civile populaires afin de rendre l'équipe ministérielle plus glamour, plus médiatique ou plus proche des gens. De ces nominations souvent inattendues, le Président espère des retombées positives sur son image personnelle.

Est-ce que cela a évolué depuis le début de la Vème République ? Est-ce différent d’un bord à l’autre, l’un président l’autre ?

Le cahier des charges que doit remplir le couple exécutif pour composer un gouvernement a beaucoup évolué depuis le début de la Vème République. Il n'a cessé de s'alourdir pour s'adapter aux évolutions de la société : il prend désormais en compte la parité et la représentation des minorités, l'équilibre générationnel, et des personnalités médiatiques. Les critères retenus aujourd'hui par François Hollande pour former un gouvernement sont plus nombreux et donc plus contraignants que ceux jadis observés par le Général de Gaulle. Ces critères s'appliquent désormais aussi bien à la droite qu'à la gauche. Quant à l'ouverture à la société civile, cela dépend de chaque Président. On voit bien que François Hollande préfère faire confiance à du personnel issu du sérail politique, délaissant les personnalités de la société civile alors que Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy ont intégré dans leurs gouvernements des membres de la société civile. Faut-il y voir un clivage politique ? Je ne crois pas, parce que Mitterrand, lors de son deuxième mandat avait fait appel lui aussi à quelques non-politiques.

Les compétences des uns et des autres entrent-elles en ligne de compte à  un moment ou à un autre? Avez-vous le souvenir d’un ministre nommé uniquement pour ses compétences ?

Oui. Même si la compétence ne prime pas dans tous les cas, elle motive des nominations dans tous les gouvernements. Heureusement !  Certes, Stéphane Le Foll est un proche de Hollande mais il  a été nommé ministre de l'Agriculture car il suivait déjà ce dossier en tant qu'élu. Luc Ferry et Xavier Darcos, même s'ils ne se sont pas entendus lorsqu'ils travaillaient ensemble, ont été ministres de l’Éducation car ils étaient compétents en la matière. Francis Mer a été nommé à l’Économie en raison de son expérience de grand patron. Ce ne sont que quelques exemples... Mais la compétence ne suffit pas forcément pour être un bon ministre. Car la politique est un métier avec ses codes, ses rites, ses mécanismes, ses pratiques médiatiques... et ses chausse-trapes. Certains n'y ont pas survécu alors qu'ils maîtrisaient bien leur sujet sur le fond.

Les compétences des femmes issues de l’immigration, par exemple, sont souvent mises en doute -ce fut encore récemment le cas lors de la nomination de Myriam El Khomri-  car les français ont l’impression qu’elles ont été nommées pour afficher un message politique. Le fait que les compétences des ministres soient souvent considérées comme secondaires n’est-ce pas l’une des raisons de la perte de légitimité et d’autorité des politiques ?

Ce qui délégitime en partie les ministres, c'est qu'on a l'impression qu'ils sont interchangeables, qu'ils passent d'un maroquin à l'autre pour s'accrocher au pouvoir, et qu'ils acceptent n'importe quel poste même s'ils ne sont pas compétents. La crédibilité des Présidents et des Premiers ministres qui organisent ce jeu de chaises musicales n'en sort pas renforcée non plus.

N’est-ce pas aussi l’une des causes du fossé qui se creuse entre politiques et électeurs. Ces derniers ayant le sentiment que l’on exige d’eux toujours plus de compétence alors que les hommes et femmes politiques sont nommés ministres grâce à leur réseau ou leur pouvoir de nuisance ?

Oui en partie. Mais le fossé se creuse aussi et surtout par le manque de résultat des ministres dans la politique qu'ils mènent notamment sur le plan économique et social. Mais si les électeurs sont honnêtes avec eux-mêmes, ils pourront constater que dans les entreprises où ils travaillent ce ne sont pas toujours les plus compétents qui sont aux postes de responsabilités et que les réseaux personnels jouent beaucoup pour trouver du travail ou obtenir une promotion... La politique est aussi le reflet de la société. 

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