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Reine scélérate : la mauvaise réputation de Marie-Antoinette était-elle justifiée ?
©REUTERS/Gary Hershorn

Bonnes feuilles

Le Dictionnaire de la méchanceté propose au lecteur, à travers 169 notices rédigées par 80 spécialistes des sciences humaines et sociales, une variété de portraits historiques (Catherine de Médicis, César Borgia, Marie Tudor…), fictifs (la Marquise de Merteuil, Tatie Danielle, Voldemort…) ou mythologiques (Médée, Circé, Mélusine…), ainsi qu’une redéfinition des concepts liés à la méchanceté (tyrannie, perversité, cruauté…). Extrait (1/2)

Il fut un temps où Marie-Antoinette était une figure honnie, un lointain souvenir ... Depuis lors, ses biographes, le cinéma se sont efforcés de nous présenter une femme attachante, émouvante et, au pire, simplement frivole et dépensière. Mais méchante, non, certainement pas ! L’idole a été soigneusement disculpée de tout trait qui signerait la pure méchanceté. Et rien ne vous fera passer pour plus ignorant que d’affirmer qu’elle ait pu un jour s’écrier : « S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche ! » On peut donc légitimement s’interroger : Pourquoi cette place au sein d’un dictionnaire de la méchanceté ?

Si l’on veut conserver une entrée pour la reine guillotinée, il faut emprunter d’autres voies d’accès à la méchanceté, la première pouvant nous être fournie par l’expression populaire « bête et méchant ». En suggérant une concordance de la bêtise et de la méchanceté, elle laisse en effet supposer que la seconde découle de la première, que l’on serait donc méchant par ignorance. Il est probable que la formule soit applicable à Marie-Antoinette. Avant-dernière fille de l’impératrice Marie-Thérèse, la jeune fille n’était que peu susceptible de porter de grandes espérances pour la Maison d’Autriche, et son éducation, de ce fait, fut moins soignée que celle des aînées. Confiée aux soins d’une gouvernante peu regardante, elle savait à peine lire et écrire quand elle arriva en France à l’âge de 14 ans. Elle est moqueuse et capricieuse, trouve inconcevable que l’on puisse se présenter à la Cour une fois passés 30 ans et refuse d’adresser la parole à Madame du Barry pendant de longs mois, au risque de provoquer une crise diplomatique. Avec cela, en brimant constamment sa fille, Marie-Thérèse, parce qu’elle est persuadée, dès son plus jeune âge, qu’elle ne peut que devenir orgueilleuse, parvient aussi à s’en faire détester. Celle-ci n’a que quatre ans quand elle déclare que si sa mère venait à mourir, cela lui serait bien égal, car elle serait bien aise de ne plus la voir pour pouvoir faire ses volontés. En octobre 1789, sa mère le lui rendra bien en ayant l’idée lumineuse de paraître au balcon de Versailles, face à une foule de Parisiens armée et en colère, accompagnée de ses enfants.

Arrivée à Paris, alors que la famille royale s’installe aux Tuileries, la reine a l’esprit toujours aussi fin. En quête de popularité, elle accède à la demande d’un groupe de femmes qui viennent la voir et qui voudraient récupérer des effets qu’elles avaient dû laisser au Mont-de-piété. Marie-Antoinette promet que chacun pourra retirer ses dépôts à hauteur d’un louis, une somme considérable. Ces femmes se précipitèrent aussitôt au Mont-de-piété en répandant la nouvelle. Cependant, l’institution ne put répondre à la demande de l’afflux de personnes souhaitant bénéficier des largesses de la reine, ce qui provoqua une émeute. Accusée de perfidie, Marie-Antoinette dut en appeler à l’aide du roi qui, bien que ne voulant pas renier la promesse de sa femme, dut tout de même lui substituer une offre plus raisonnable en restreignant les retraits constitués « en linge de corps et en vêtements d’hiver ».

Plus que méchante, Marie-Antoinette apparaît finalement comme menaçante. Étrangère comme il est de coutume pour les reines, l’Autrichienne représente une puissance qui a été l’ennemie héréditaire de la France jusqu’au renversement des alliances de 1756. Elle paraît d’autant plus suspecte qu’elle devient reine en un temps où le patriotisme français est particulièrement exacerbé par un sentiment de déclin généralisé. Elle-même a été élevée dans un préjugé antifrançais que ne cesse de lui rappeler sa mère, en lui recommandant de rester « bonne Allemande ». Sa mère, puis son frère, la considèrent comme un pur instrument de leur politique et ont recours au chantage affectif pour qu’elle pousse le roi à agir dans un sens favorable à l’Autriche. Tentatives vaines qui ont pour le moins altéré son image pour longtemps et que les conflits du XIXe et XXe siècle avec l’Allemagne n’ont pas contribué à améliorer. La détestable Marie-Antoinette présentée par Jean Renoir dans sa Marseillaise de 1938 en porte la marque.

D’autre part, la méchanceté est nécessairement inhérente à Marie-Antoinette, parce qu’elle est femme. En un XVIIIe siècle particulièrement misogyne, une femme proche du pouvoir est forcément une femme dangereuse, qui plus est quand on est fille de l’impératrice Marie-Thérèse qui n’a pas hésité à mener la guerre pour conserver son trône. Aussi, Marie-Antoinette personnifie l’angoisse castratrice, ce qui prend d’autant plus de sens quand son couple reste stérile pendant sept ans. L’exemple de Catherine II de Russie, organisant un coup d’état contre son mari réputé impuissant et le faisant assassiner en 1762, est encore dans toutes les têtes. Comme pour Catherine, les pamphlets libertins décrivent une Marie-Antoinette assoiffée de sexe dispensant ses faveurs aux hommes autant qu’aux femmes et réduisant son mari, puis plus tard son fils, à une masturbation qu’on croyait devoir les rendre imbéciles.

Enfin, son hostilité à la Révolution a contribué à la rendre franchement antipathique. Toujours hostile à la Révolution, elle accepte cependant de jouer un double jeu. Elle entretient une correspondance avec le député constitutionnel Barnave tout en lui témoignant un mépris caractérisé dans les lettres qu’elle adresse à Axel de Fersen, lui disant notamment : « Quel bonheur si je puis un jour redevenir assez pour prouver à tous ces gueux que je n’ai pas été leur dupe ».

Après que la France a déclaré la guerre à l’Autriche en avril 1792, elle se rend également coupable de trahison en faisant parvenir les plans des armées françaises à l’ennemi.

Bibliographie : Bertière Simone, Marie-Antoinette, l’insoumise, Paris,De Fallois, 2002 ; Lever Evelyne, Marie-Antoinette, correspondance, Paris,Tallandier, 2005 ; Thomas Chantal, La reine scélérate : Marie-Antoinette dans les pamphlets, Paris,Points histoire, 2008.

Extrait du "Dictionnaire de la méchanceté", Collectif dirigé par Christophe Regina et Lucien Faggion, (Max Milo Editions), 2013. Pour acheter ce livre,cliquez ici.

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