Réduire la dette française, mode d’emploi (non, ce n’est pas insurmontable)<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Bercy a abandonné son objectif de faire refluer l'endettement public d'ici à 2027, avec un plan d'économies de 10 milliards d'euros cette année.
Bercy a abandonné son objectif de faire refluer l'endettement public d'ici à 2027, avec un plan d'économies de 10 milliards d'euros cette année.
©LOIC VENANCE / AFP

Casse-tête

Quelles solutions pour faire baisser la dette, laquelle atteint plus de 110% du PIB ?

Etienne Lehmann

Etienne Lehmann

Etienne Lehmann est au Centre de Recherches en Economie et Droit (CRED) à l'Université Panthéon-Assas Paris II.

Voir la bio »

Atlantico : Comment définissez-vous la situation actuelle de la France ? Selon vous, quelle est la meilleure méthode pour traiter le problème de la dette publique ?

Etienne Lehmann :  Il y a eu une erreur de prévision sur les recettes de finances publiques qui ont été sous-estimées cette année. Mais nous avons également constaté des erreurs de prévisions l’année dernière avec des recettes de l’impôt sur les sociétés qui se sont in fine révélées supérieure de près d’un point de PIB, ce qui n’était absolument pas attendu et ça n’avait pas fait autant de bruit qu’aujourd’hui. Nous sommes dans une conjoncture qui est particulièrement difficile suite à des chocs conjoncturels extrêmement violents (COVID, crise en Ukraine, …) qui rendent la prévision conjoncturelle particulièrement difficile.  Le jeu politicien fait qu'un certain nombre d'acteurs se focalisent sur ces erreurs. Cependant il ne faut pas oublier que ces erreurs sont difficilement évitables dans ces périodes, il est difficile de les prévoir parce que la conjoncture reste très incertaine.

Ensuite, comment on pourrait faire pour traiter correctement la dette publique ? Encore une fois, en 2022, on a eu une vingtaine de milliards de recettes de l’impôts sur les sociétés en plus de ce qui était annoncé dans le projet de loi de finances initiale. Les erreurs de prévision sont très importantes depuis le COVID, dans un sens ou dans l'autre. Le but n'est pas de viser un chiffre année après année. Il faut arriver à avoir une tendance et d'avoir un objectif auquel se tenir à un horizon de 5 ans, 10 ans, voire 20 ans.

Le déficit public de la France a atteint 5,5% du PIB en 2023. La dette publique a atteint 110,6% du PIB. En réaction à ce bilan, le gouvernement a annoncé la mise en place de coupes budgétaires pour économiser 10 milliards d'euros dès 2024. Cela est-il réaliste ? Quels sacrifices devront être faits ?

Posons-nous le problème de la dette à un horizon de minimum 5 ans et non sur un horizon d’un an, ce qui n'est pas sérieux compte tenu des incertitudes conjoncturelles actuelles. Je ne peux pas vous dire si la question des 10 milliards d’euros est réaliste, il est peut-être possible de les atteindre car nous pouvons avoir à nouveau une surprise conjoncturelle favorable, même si cela me semble peu probable.

Pour réussir à économiser une telle somme, à mon avis, il faut parvenir à un autre équilibre macroéconomique avec une autre organisation de la décision sur les finances publiques.

Ce qu’il faut bien comprendre pour la dette, c'est que les pays Europe du Nord sont des pays qui ont ce qu'on appelle un taux d'emploi (qui représente la proportion de personnes en emploi sur la population en âge de travail) bien plus élevé que nous. En moyenne ces pays ont des taux d'emploi qui sont autour de 75%. En France, nous étions à 65%, nous sommes montés à 68%. Il y a un déficit d'emploi qui est monstrueux, qui est lié aux finances publiques. Si nous avions le même pourcentage qu’en Norvège, en Suède ou encore en Finlande, nous pourrions garantir une certaine protection. Les prestations sociales seraient versées à moins de personnes et nous aurions aussi beaucoup plus de recettes, ce qui générerait des excédents primaires. En Europe, l’Italie et la Grèce ont les mêmes taux d'emploi que nous, ce qui marque une coïncidence dans l'Europe de l'Ouest entre faibles taux d'emploi et problèmes de soutenabilité des finances publiques. Cette corrélation n’est pas surprenante, parce qu'effectivement, quand vous avez des taux d'emploi élevés, vous pouvez maintenir une protection sociale forte, parce que vous la distribuez à moins de personnes, et vous avez davantage de personnes qui cotisent. C’est pourquoi je crois qu’une stratégie de consolidation des finances publiques doit viser  La stratégie serait de faire monter nos taux d'emploi à 75%. 

Pour cela, il ne faut fixer la retraite à 64 ans mais à  65 ans. Le débat était douloureux l'an dernier, mais il fallait absolument le faire, il faut y aller là-dedans. En effet, il y a un enjeu fort sur l'emploi des seniors, et notamment sur l'âge de départ à la retraite. Les deux questions sont intimement corrélées, c’est-à-dire qu’il faut aussi donner des incitations pour permettre aux personnes en situation d’âge médiane qui n’a pas d’emploi, de se reconvertir, d’envisager d’autres métiers.

L'effet évalué de la réforme des retraites sur le système de retraites serait de 13 milliards d'euros par an. L'effet total, d’après une note de Rexecode en tenant compte des autres branches des finances publiques serait de 22 milliards d'euros par an car une personne qui part plus tard à la retraite permet non seulement de réduire les dépenses de retraites (un an de pension en moins) et d’augmenter les recettes des système de retraites (un an de cotisations retraites en plus), mais engendre également un an de cotisation en plus pour la famille, la maladie, l’assurance chômage, etc. A force d’isoler les finances publiques en différentes branches, on perd de vue les interdépendances financières importantes qui existent.

Qu’en est-il de la santé et de l’éducation ? Faut-il également réorganiser ces systèmes ?

Je suis aussi effrayé de voir à quel point les infirmières, les enseignants du primaire et du secondaire… sont très mal payés. Vous parlez de l’éducation, mais un pays qui peine à attirer dans l’enseignement ses bons étudiants, notamment dans les domaines scientifiques, c'est un pays qui peut craindre pour sa compétitivité demain.

Donc faire des économies sur l'encadrement médical, l'administration médicale ou l'administration de l'enseignement primaire et secondaire, pourquoi pas. Mais il ne faut pas nier le problème d'attractivité sur des métiers qui me semblent extrêmement effrayants. l'attractivité salariale dans les métiers de l’enseignement est aussi un investissement pour la compétitivité dans 20 ans ou dans 30 ans.

Je pense que nous avons un vrai problème de gouvernance des prélèvements obligatoires, (ce qui comprend les impôts, les taxes, les cotisations sociales). La France a le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé des pays de l'OCDE. Et pourtant nous ne sommes pas satisfaits de la manière dont les dépenses publiques sont effectuées. Nos instituteurs ne sont pas assez payés, ni les enseignants dans le secondaire, ni les infirmières…

En réalité, nous avons un taux de prélèvement obligatoire extrêmement élevé car, tout simplement, nous avons un très grand nombre de « petits » prélèvements obligatoires dont chacun a sa légitimité. Vous avez les cotisations sociales, les impôts de production, et vous avez ce que les techniciens des finances publiques appellent la fiscalité affectée. Du côté de la protection sociale, on a des cotisations sociales dites « non-contributives » qui ne donnent pas directement droit à des prestations sociales, notamment l'assurance maladie, tout ce qui touche au financement des allocations familiales, aux remboursements des soins dans l’assurance maladie et les allocations familiales. Logiquement cela devrait être géré par l’impôt et non pas des cotisations sociales. Du côté des collectivités locales, vous avez là aussi un très grand nombre de cotisations. Quand vous payez votre taxe foncière, vous avez un taux municipal, un taux de l'intercommunalité, un taux du département, un taux de la région. Chacun considère que son taux de taxe foncière n’est qu’une petite partie de la taxe totale. Mais au total, les montants deviennent plus lourds.  Ce n'est pas de la bonne manière de gérer les finances publiques. Il y a trop peu de coordination, une subdivision des unités de décision. Par exemple, transférer les compétences des conseils généraux franciliens à la région Île-de-France permettrait de mieux flécher la dépense publique sur les dépenses qui sont vraiment utiles, par exemple l’entretien des transports en commun RER et métro plutôt que le cofinancement de la rénovation des trottoirs des communes. C'est à travers cet exemple, que je tente d’expliquer qu'il faut réduire le nombre d'unités de décision le plus possible. Si cette gouvernance des prélèvements obligatoires n’est pas remise en place, je doute que nous puissions faire des progrès durables dans la réduction de l'endettement public. 

Tout se passe comme si la gestion des finances publiques était divisée en très grand nombre de petits ilots, chacun ayant sa légitimité mais chacun se pensant aussi trop petit pour se préoccuper des équilibres macroéconomiques. C’est pourquoi la question du nombre de prélèvements obligatoires et du nombre des unités de décisions est aujourd’hui si problématique dans notre pays et qu’il est urgent de la remettre à plat.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !