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Le président de la République Emmanuel Macron lors de sa rencontre avec le président moldave à l'Elysée, le 19 mai 2022.
Le président de la République Emmanuel Macron lors de sa rencontre avec le président moldave à l'Elysée, le 19 mai 2022.
©Ludovic MARIN / AFP

Taqiya ou vacuité ?

Le séminaire gouvernemental animé par Elisabeth Borne en fin de semaine pour définir la feuille de route des membres du gouvernement n’a pas fondamentalement levé les incertitudes et ambiguïtés.

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Alors que le début du second quinquennat d’Emmanuel Macron semble avoir été consacré à de petits calculs politiques construits sur des alliances ou des équilibres de personnes, peut-on voir dans cette campagne des législatives un éclaircissement idéologique ?

Arnaud Benedetti : Le brouillard est épais. Pourquoi ? Parce qu’Emmanuel Macron est suffisamment averti sur le caractère éminemment aléatoire de l’issue du scrutin à venir. Rien n’est joué, contrairement aux assurances de certains commentateurs. La résistance de la gauche est un premier facteur d’incertitude. Indéniablement, Jean-Luc Mélenchon a réussi pour une part à imposer la scénographie des législatives - ce qui entretient une mobilisation militante du côté de la Nupes. Par ailleurs une législative ce sont 577 scrutins différents les uns des autres avec des contextes locaux, des histoires propres, des dissidences potentielles. Cela a toujours été le cas mais avec la destructuration du champ partisan les effets de la singularité territoriale de chacun de ces scrutins peuvent se cumuler et produire un impact à la marge ou non inattendu. Enfin le sentiment d’insatisfaction collective lié à la reconduite d’Emmanuel Macron fait peser une hypothèque non négligeable sur le résultat électoral. Conscient de la situation, le Président, soucieux de disposer d’une majorité à l’Assemblée, avance programmatiquement au doigt mouillé, de manière encore plus chaotique qu’à l’occasion de la présidentielle. Le contexte fait le texte en quelque sorte et le texte reflète l’hyper fractionnement politique d’un pays balkanisé socialement et culturellement.

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Christophe Boutin : Un éclaircissement idéologique, sans doute pas, mais pas plus chez Renaissance ou Ensemble qu’ailleurs. Ce que l'on remarque en effet dans cette campagne des législatives, c'est, dans quasiment tous les partis, un aspect programmatique qui est réduit au minimum : pour les partis de la majorité présidentielle, l'argument principal est de confirmer le vote de l’élection présidentielle ; pour les partis d'opposition de se poser comme le principal concurrent à Emmanuel Macron dans le quinquennat qui vient.

On reste donc sur la base des programmes de la présidentielle pour le Rassemblement national comme pour Reconquête. Chez les Républicains on l’oublie même, pour se focaliser sur la défense des intérêts locaux des circonscriptions, ce qui est logique car il s'agit pour eux, comme pour les PS dissidents, de tout miser sur le bilan de leurs députés sortants. Il n'y a en fait qu'à gauche où, pour bâtir le rassemblement de NUPES, on a revisité les programmes de La France insoumise, d’EELV, du parti communiste et du parti socialiste pour avoir un fond programmatique commun, mais il n'en reste pas moins qu'il s'agit là aussi essentiellement de lutter contre Emmanuel Macron comme le montre bien la mise en avant de Jean-Luc Mélenchon se présentant comme le futur éventuel Premier ministre.

De plus, le gouvernement qui vient d'être nommé est contraint par la proximité des législatives à devoir attendre pour affirmer ses choix, et ce pour deux raisons. La première est que sa composition va sans doute changer après les législatives : s'ils ne sont pas élus, certains ministres pourraient avoir à quitter le gouvernement - ce qui, rappelons-le, n'est en rien une obligation juridique résultant d'un texte ou d'une coutume, mais l’expression d’un choix du chef du gouvernement et/ou du chef de l'État, en l'espèce de ce dernier. Par ailleurs, là encore en fonction des résultats des diverses formations aux élections législatives, il faudra peut-être ajouter quelques noms au gouvernement pour rétablir l’équilibre entre elles. La seconde raison est que ce n'est que lorsqu'il connaîtra la composition de l'Assemblée nationale dans le détail que le nouveau gouvernement pourra apprécier sa marge de manœuvre et commencer véritablement à mettre en jeu les réformes qu'il préconise.

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Pour l'instant donc, les quelques éléments qui ont été avancés par Élisabeth Borne sont beaucoup plus à relier à la campagne des législatives qu’à une annonce programmatique ou à une clarification idéologique. Le premier élément prioritaire évoqué par la Première ministre,le pouvoir d'achat, a été central dans la campagne présidentielle, et largement préempté par les deux principaux opposants à Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Devant les difficultés économiques qui s'annoncent, avec des Français de plus en plus inquiets, et sans doute à juste titre, il est donc assez logique que le nouveau gouvernement s'empare de cette problématique pour éviter d'être absent sur ce terrain lors des législatives. On remarquera d'ailleurs que, parmi les publics privilégiés évoqués par Élisabeth Borne, on trouve les fonctionnaires publics et les étudiants, autrement dit une part des électeurs de Jean-Luc Mélenchon.

La deuxième problématique évoquée est la question de la santé. Nous sortons d'une crise grave sanitaire, et l'effondrement du système de santé français n'est plus un secret pour personne : entre déserts médicaux qui vont s'agrandissant, urgences hospitalières fermées, déremboursement d'un certain nombre de médicaments, il y a là aussi une réelle inquiétude chez les Français de cette France périphérique plus directement confrontés à ces problèmes que ceux des métropoles, et qui vivent dans ces petites circonscriptions des élections législatives frappées de plein fouet par cette crise.

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La troisième problématique enfin, celle la planification écologique, que la Première ministre souhaite voir mener « à marche rapide », a aussi un intérêt électoral immédiat évident, car cette question concerne bien au-delà du seul regroupement NUPES. Il s’agit aussi de montrer que les promesses d’Emmanuel Macronfaites lors de la campagne présidentielle, ou celle de ne pas oublier comment il a été élu affirmée au soir du second tour au Trocadéro, sont tenues.

On le voit, ces bribes de programme ne constituent absolument pas une clarification idéologique, pas même sans doute l’essentiel de ce qui est prévu pour le nouveau quinquennat, mais sont des éléments destinés à peser sur les élections législatives.

Comment expliquer ce flou qui entoure le mouvement de la majorité présidentielle ? Peut-on penser qu’Emmanuel Macron entretient ce flou volontairement, mettant certains projets en sourdine pour éviter les contestations sociales ? Sa vacuité idéologique a-t-elle tellement bougé qu’il ne sait plus où il en est ?

Arnaud Benedetti : Avant d’être un corpus doctrinal, le macronisme est un mouvement permanent qui prend les plis du terrain au regard des évolutions tectoniques du moment. C’est le propre du techno-management que d’être d’abord systémique, autrement dit de répondre aux inputs de son environnement. Emmanuel Macron n’a pas d’idées propres, il opère par emprunt, collage, racollage, acculturation aux stimuli exogènes, une outre ouverte à tous les vents, à condition que ces vents soient ceux de la globalisation et de la post-modernité, de la fluidité propre aux sociétés liquides. La topographie de son gouvernement explicite ce caractère polymorphe : du technocratisme avec Elisabeth Borne , du crypto-wokisme avec son ministre de l’Education nationale, de l’économisme avec Le Maire, de l’ingénierie régalienne avec Darmanin, une teinte sociale très pastel avec quelques transfuges éloignés du PS comme Bourguignon ou Dussopt, etc… Cette arche communicante épouse les éléments de langage de ce qui dans le fond constitue le macronisme : un produit de marketing dont le but est de rester leader sur le marché du pouvoir, par adaptation permanente aux différents segments de la vente. La politique n’est plus une matrice, conformément notamment à notre conception très française qui présuppose que le politique préfigure la société; elle est devenue sur la durée un réceptacle qui est formaté par le feed-back en continu de l’environnement dans toutes ses dimensions sur la puissance publique, laquelle est neutralisée dans sa capacité à produire de l’action parce qu’elle est l’enjeu de toutes les appropriations externes. Le macronisme est le parti pris de cette réalité, il ne cherche pas à la dépasser, loin s’en faut, il en tire profit. Il opère des changements d’une amplitude tellequ’ils peuvent se contredire dans un intervalle de temps très resserré. Ce ne sont pas les convictions qui commandent fondamentalement mais l’intérêt tactique au gré des circonstances : le passage de Blanquer partisan d’une laïcité d’exigence à Ndiaye à l’Education nationale promoteur d’une laïcité d’acculturation ou d’accompagnement en constitue l’exemple le plus frappant, quoi que sur les enjeux de civilisation Macron soit plus à l’aise avec la liquidité communautariste sur le registre anglo-saxon qu’avec la solidité universaliste à la française… La politique de Macron est de ce point de vue en cohérence avec sa vision exclusivement marketée du monde. La France à ses yeux doit se gérer selon un immense business model… et par nature un business model cela doit évoluer.

Christophe Boutin : Emmanuel Macron a choisi, de manière assez intelligente, de se mettre partiellement au moins en retrait de la politique nationale dans ces élections législatives, laissant ce que l'on appelle maintenant « la macronie », et notamment son gouvernement, présenter des éléments de langage. Lui-même a pris des vacances méritées après cette élection présidentielle, et va très certainement chercher à préserver ou conforter son image de chef d’État sur la scène internationale, qu'il s'agisse du conflit ukrainien ou de l'évolution de l'Union européenne. Il reste cependant clairement à la manœuvre, et on le voit très bien lorsque Élisabeth Borne annonce pour juin un « séminaire gouvernemental avec le Président ».

Le « silence » et le « flou » sont ici très clairement des avantages utilisés avec beaucoup d'à-propos par le président de la République. Il est vrai que cette période qui précède les élections législatives est peu propice à l'affirmation de la reprise de certains projets, comme celui sur l'évolution des retraites. De toute manière, comme nous l'avons dit, il est assez logique d'attendre de voir quelle sera la composition de la future Assemblée nationale pour, en fonction de ce résultat, réfléchir à la manière de présenter les futurs grands projets du gouvernement.

J'aurais donc tendance à m'inscrire en faux lorsque vous évoquez sa « vacuité idéologique », ses « variations permanentes », ou le fait ce qu'il ne « saurait plus où il en est ». Derrière l’aspect changeant du « et en même temps », Emmanuel Macron sait parfaitement où il en est, car il a cette colonne vertébrale idéologique assumée qu’est ce progressisme auquel, avec Frédéric Rouvillois et Olivier Dard, nous avons consacré un dictionnaire. Et s’il peut effectivement y avoir moult variations dans la forme, ses objectifs prioritaires, présents chez lui dès avant son installation à la tête de l’État, n'ont absolument pas varié durant son premier quinquennat et ne varieront vraisemblablement pas lors du second. C’est le cas, par exemple, pour le démantèlement systématique des services publics, de l'administration, des entreprises publiques, de tout ce qui avait été construit par l'histoire et par l’impôt des Français pour protéger ces derniers, et qu’il conviendrait de détricoter pour en transférer la responsabilité au secteur privé, ou, a minima, y introduire les règles d'un fonctionnement managérial issu du privé – sous le contrôle des cabinets d’audit étrangers. Le second objectif présidentiel, qui va logiquement de pair avec le premier, vise à la dissolution de l'échelon national dans un échelon supranational, celui de l'Union européenne. Le reste, tout le reste, n'est qu'accessoire par rapport à cette feuille de route que doit réaliser Emmanuel Macron et de laquelle il n’a jamais dévié.

Faire des chèques face à l’inflation, est-ce la seule ambition clairement affichée du quinquennat ? Mis à part la question du pouvoir d’achat, à quoi pouvons-nous nous attendre de ce nouveau gouvernement ?

Arnaud Benedetti : Il y a une ligne de force : la France est insuffisante, pour combler cette insuffisance il faut la faire entrer au chausse-pied si besoin dans quelque chose de plus large, la souveraineté européenne, quand bien même celle-ci est un artefact puisqu’il n’existe ni espace public européen, encore moins d’opinion publique, et en conséquence pas un peuple européen, mais des peuples européens. Cet horizon-là préside à l’eschatologie macroniste, comme s’il fallait se débarrasser du sceptre dans un ensemble plus vaste et n’en conserver que l’illusion. Mais un horizon d’attente est une espérance, un vœu d’autant plus pieux pour l’occasion qu’il est loin d’être partagé par la plupart de nos partenaires européens. Il y a ce qui relève de l’incantation eschatologique et ensuite ce qui est comptable du moment. Il y a quand même un obstacle à surmonter avant que le Président puisse opérer une politique : le résultat des législatives. Dans l’hypothèse d’une majorité absolue, loin d’être acquise à l’heure où l’on parle, le Président s’efforcera, "en même temps", de nourrir le ventre réformiste de son électorat et de panser les articulations sociales d’un corps civique bouleversé par la stagflation qui guette, à laquelle s’ajoute une situation des finances publiques potentiellement volcanique. Mais il existe une autre éventualité qu’il ne faut pas exclure : une majorité relative, voirepas de majorité du tout. Nous entrerions dès lors dans une épure digne de la IVème République qui pourrait précipiter le régime dans une grande instabilité institutionnelle… Et ce avec les cieux chargés évoqués précédemment sur le plan économique et social.

Christophe Boutin : Le système des chèques - face à l'inflation, face à la crise sanitaire… - doit sans doute parfois être utilisé pour résoudre les questions d’urgence demanière très ponctuelle. Mais institutionnalisé, il met sous dépendance ceux dont on maintient ainsi la tête hors de l’eau et qui doivent leur survie à la bonne volonté du gouvernement, tout en évitant de se poser la question de ce qui a conduit à ces crises – et en préservant donc les intérêts de leurs bénéficiaires, car il y en a. Un tel système de clientélisme généralisé ne peut durer.

Quant aux projets gouvernementaux, il faut s'attendre, par exemple, à une reprise du dossier des retraites, ou à une fuite en avant dans l'éolien - et notamment dans l'éolien offshore, pour tenter de rendre plus acceptable cette évolution. Ce qui est tout aussi certain c’est que la guerre en Ukraine ou la nécessité de la lutte climatique vont servir à justifier des mesures de restriction comme à cacher des choix stratégiques dont l’accord avec l’intérêt national – et celui de nos compatriotes - sera rien moins qu’évident. Rien en tout cas de prévisible sur les insécurités culturelles ou physique de nos concitoyens, sinon des dénis dont on vient d’avoir un exemple caricatural, avec un ministre de l’Intérieur attribuant, malgré toutes les évidences – vidéos, commentaires de journalistes étrangers – les problèmes que l'on a connu samedi autour du stade de France à des supporters anglais indisciplinés.

Ce déni permanent de la réalité quotidienne des Français, allié aux peurs savamment entretenues au sein de la population, comme à sa division volontaire en communautés hostiles, suffiront-ils à permettre au nouveau gouvernement de continuer de mettre en œuvre sans troubles majeurs la feuille de route d’Emmanuel Macron ? La question mérite d’être posée.

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