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La gauche est-elle allergique
à la chasse aux gaspillages publics ?
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Cour des comptes

Réduire les dépenses inutiles est certes devenu indispensable, mais seule une hausse des recettes fiscales permettra la réelle réduction des déficits de l'Etat.

Frédéric  Farah

Frédéric Farah

Frédéric Farah est économiste et enseignant à Paris I Panthéon Sorbonne.

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Deux nouvelles sur le front budgétaire se conjuguent et semblent prendre valeur d’avertissement ou de conseil pour notre pays. Chacun choisira. La Commission de Bruxelles a présente mercredi 30 mai une série de recommandations de politiques économiques aux nouvelles autorités françaises. Un effort budgétaire est demandé à la France pour tenir le cap de 3% en 2013, les traditionnelles réformes structurelles sont réclamées, et une fiscalité moins pesante pour le travail est également requise.

L’autre nouvelle surgit du front intérieur et vient de la Cour des comptes. Si l’on suit cette dernière « Les dépenses du budget général ont été maîtrisées, puisque leur progression a été contenue à 0,32 % à périmètre constant, soit un taux sensiblement inférieur à l’inflation constatée (2,1 %). » La Cour des comptes invite à la vigilance et indique quatre champs à surveiller : dépenses d’intervention, le financement des opérateurs de l’Etat, stabilisation des dépenses liées aux personnels ; dépenses fiscales. Mais nous garderons un point mentionné par le rapport et qui mérite d’être cité : « la réduction du déficit repose principalement sur un redressement des recettes fiscales, qui ont progressé de 16 Md€ en termes nets, avec pour la première fois depuis des années la conjugaison d’une croissance spontanée du produit des impôts (pour 11 Md€) et l’adoption de mesures fiscales en cours d’exercice (pour 5 Md€) ».

Ce dernier point est crucial et doit orienter notre réflexion, il faut agir certes sur nos dépenses et le chantier est vaste. Mais c’est un redressement des recettes qui est à l’origine de la réduction des déficits. Avant d’observer les dépenses, il faut dire avec énergie que le problème de nos déficits vient du tassement des recettes de l’Etat. C’est pourquoi, c’est dans la panoplie des dispositifs fiscaux, heures supplémentaires ou autres niches qu’il faut regarder. Le débat ne doit pas se situer dans dépenser plus ou moins, non plus dans l’idée d’imaginer l’Etat comme un bon père de famille ou une entreprise. L’Etat ne ressemble à aucun agent économique : il n’a pas d’âge, il peut créer à tout moment une nouvelle source de recettes à travers les prélèvements obligatoires, et enfin il ne fait pas faillite au sens d’une entreprise. Toute dépense ne doit pas être diabolisée comme toute coupe claire ne doit pas être célébrée.

Enfin il faut abandonner l’antienne : l’Etat dépensier et se réfugier dans du La fFontaine de café du commerce cigale contre fourmi ou bien encore pousser le cri d’orfraie : nous sommes les champions du monde des prélèvements obligatoires sans prendre le temps de savoir que contiennent les comparaisons internationales. Ces remarques sont nécessaires à notre sens car le débat public est peuplé de faux débats : plus d’impôts ou moins d’impôts, plus de dépenses ou moins de dépenses. Réfléchir sur les coupes budgétaires, sur les recettes n’a de sens que si les mesures s’inscrivent dans un projet économique qui serait autre chose que "le social ça coute cher, il faut le réduire" ou encore "rasons gratis demain". Tout comme faire de l’équilibre budgétaire l’alpha et l’omega d’une politique économique est une ineptie, au mieux c’est un objectif intermédiaire. Notre vertu serait folle car un équilibre atteint avec 4 millions de chômeurs, il faudrait être un déséquilibré pour défendre pareille chose.

N’oublions pas encore que cette réflexion sur la dépense publique n’a de sens que si le dumping fiscal, et social européen cesse, sinon nous serions condamnés au travail de Pénelope, mais dépourvu de sa patience. Que la BCE connaisse une transformation de ses missions, et enfin avoir une vraie politique de change, et que l’Europe ait le souci de l’investissement et de la transition verte. Sinon tout programme de maîtrise de la dépense ou de la reconstitution de marges de manœuvre de l’Etat serait impossible.

Avant la crise entre 1996 et 2008 et compte tenu des dynamiques démographiques, les écarts en termes de dépenses publiques par tête entre France et Allemagne, toujours hors inflation, sont un peu moins prononcés : la dépense publique par tête a progressé en moyenne de 1,3% par an en France.

Pour savoir par où commencer, il est possible de regarder par secteur ,c'est-à-dire par échelon de gouvernement, et puis s’ajouterait la protection sociale. La croissance des dépenses publiques sur la période 1996-2008 est plus imputable aux dépenses des collectivités locales. Si l’on suit l’excellente étude comparative d’A. Chevallier entre les dépenses publiques en Allemagne et en France on peut dire : « Pour les collectivités locales en France, la contribution à la croissance des dépenses en volume est imputable à quatre postes principaux : les dépenses sociales (+ 83% et une contribution à la croissance des dépenses totales de près d’un quart), les dépenses pour le logement et les équipements collectifs (respectivement +78% et 21%), les dépenses pour le système scolaire (+53% avec une contribution à la croissance de 19%) et celles affairant à la rubrique « loisir, sport et culture » (qui ont doublé et expliquent 16% de l’augmentation totale).

En termes d’effectifs si l’on observe un rapport de la Cour des comptes de décembre 2009, les dépenses de personnel et de pensions de retraite de l’Etat ont plus que doublé entre 1980 et 2008 en euros constants. Elles représentaient en 2008 47,5 % des dépenses nettes du budget général et 15,5 % du produit intérieur brut. Leur niveau constitue un enjeu majeur pour l’équilibre des finances publiques. Dans ce même rapport, la Cour des comptes indique qu’il est difficile de procéder à un ajustement des effectifs en raison de la multiplicité des acteurs tendant à mettre en œuvre les politiques publiques.

Si l’on poursuit la comparaison avec l’Allemagne, il apparait que La France ne peut pas avoir durablement 9 points de dépenses publiques supplémentaires en pourcentage du PIB de plus que l’Allemagne et seulement 5 à 6 points de PIB de prélèvements en plus. Le problème se situe donc dans les recettes fiscales. Si l’on suit l’étude de Chevallier « en l’absence de baisses des prélèvements depuis 1999, le ratio dette publique au PIB aurait été d’environ 20 points inférieur à ce qu’il est en réalité aujourd’hui ».

Dans le cadre de a loi de finances 2011, le manque à gagner dû aux niches fiscales s’élève à 65 milliards d’euros. Depuis 2006, le cout des niches fiscales reviendrait à 145 milliards d’euros. Soit plus de 90% du déficit annuel de notre pays . Et si l’on veut affronter la technique budgétaire, il s’agit en particulier des niches dites déclassées, c’est à dire des dispositifs qui sont mis de côté, mais qui reste en vigueur. Si l’on donne des exemples, « l'exonération de taxe intérieure de consommation sur les combustibles utilisés par les aéronefs », créée en 1928. D'autres, au contraire, sont récentes : c'est le cas d'une bonne partie des exonérations et réductions de droits sur les successions et les donations.

Mais si l’on poursuit la revue de détail, c’est du côté de l’impôt sur les sociétés qu’il faut regarder, on observe que les grandes entreprises savent jouer des niches fiscales, G. Carez rapporteur du budget à l’assemblée nationale a montré que  l'écart de taux moyen implicite d'impôt sur les sociétés entre grandes et petites entreprises est de 21 points. Les niches déclassées relatives aux droits de mutation à titre gratuit (en français courant, les droits de succession) coûtent 717 millions d'euros à l'Etat, alors que les dépenses fiscales classées relatives aux mêmes impôts s'élèvent à 649 millions. Au total, c'est donc 1,36 milliard d'euros de manque à gagner, soit 20 % du produit de ces impôts. Dans un livre consacré aux niches fiscales, K. Weidenfeld souligne que nous sommes désormais dans une démocratie censitaire car les niches fiscales choisissent des contribuables privés qui par leur investissement privé peuvent promouvoir une politique publique plus qu’une autre.

Le désarmement fiscal doit cesser, et tel nous semble être la priorité, mais cela ne signifie pas une hausse généralisée des impôts. La réduction des dépenses sans action sur les recettes est chose vaine.

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