Rapatriements, paramilitarisme et contrebande : le malaise de la frontière colombo-vénézuélienne <!-- --> | Atlantico.fr
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La forêt tropicale de Colombie.
La forêt tropicale de Colombie.
©Reuters

La ligne verte

La Colombie et le Venezuela possèdent une frontière terrestre commune de 2,219 km, très poreuse si l’on tient compte que par sa géographie, la cordillère des Andes et la forêt tropicale entravent la maîtrise effective de l’État sur toute son extension.

Luis Alejandro Avila Gomez

Luis Alejandro Avila Gomez

Luis Alejandro Avila Gomez est responsable du programme Amériques de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe, IPSE.

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Entre les villes de Cúcuta et de San Antonio del Táchira la contrebande est une affaire hautement rentable, dont celle de l’essence (0.01$/litre au Venezuela[1]) qui a traditionnellement constitué le plus grand afflux, en raison du grand écart du prix transfrontalier (1,04$/litre en Colombie[2]). Cependant, un processus de diversification est en cours ces dernières années et parmi les nouvelles marchandises pillées, les denrées alimentaires arrivent en tête car sensiblement moins chères au Venezuela grâce aux subventions du gouvernement, dans le cadre d’un plan de sécurité alimentaire.

Plus récemment et dans une conjoncture d’inflation et de crise économique due en grande partie à la chute du prix international du cru, le Bolívar Fuerte (monnaie du Venezuela) est également devenu une marchandise pour les contrebandiers. Ils achètent les billets de plus haute dénomination (ceux de 100 et de 50 BsF.) à un prix plus élevé à leur valeur nominale (autour de 140 BsF./1 billet de 100 BsF.),  réglés par transfert bancaire ou en billets de moindre dénomination. Le but de ce type de transaction est de s’emparer d’une grande quantité de Bolívares en volume réduit, facilement transportables, pour acquérir une majeure quantité de produits au Venezuela à des fins d’extraction du territoire et de revente en Colombie.[3][4]

Les services de renseignement vénézuéliens ont révélé l’existence d’un nouveau modus operandi dans cette activité d’extraction, les mafias de la contrebande travaillent dorénavant en coordination avec les groupes paramilitaires pour soustraire les produits vénézuéliens vers la Colombie.

Incursion de paramilitaires colombiens sur sol vénézuélien

Les activités paramilitaires spécifiquement sur sol vénézuélien ont été à l’origine de plusieurs incidents majeurs, l’un de plus grands scandales fut l’affaire « Daktari », survenu en mai 2004 lorsque dans la propriété du même nom à proximité de Caracas, les services d’intelligence vénézuéliens capturèrent 153 paramilitaires qui planifiaient l’assassinat du président vénézuélien de l’époque, Hugo Chávez. L’infiltration du pays continue à nos jours et le 25 août dernier, 2 paramilitaires furent capturés à El Tigre (ville de l’État d’Anzoátegui à l’Est du Venezuela) et mis à l’ordre des autorités colombiennes.

Le 19 août dernier, des paramilitaires infiltrés à San Antonio del Táchira ont embusqué un groupe de soldats de la Force Armée Nationale Bolivarienne du Venezuela, lorsque dans ses activités de routine patrouillaient les sentiers utilisés par les contrebandiers. Le solde fut 3 soldats de la FANB blessés.

La réponse du gouvernement vénézuélien ne se fit attendre, dès le lendemain le président vénézuélien Nicolas Maduro ordonna la fermeture de la frontière pendant 72 heures, mesure appliquée sur 6 des municipalités frontalières de l’État de Táchira (Bolívar, Ureña, Junín, Libertad, Independencia et Urdaneta). La fermeture de la frontière fut plus tard rallongée pour une période indéterminée dans ce périmètre. Un jour plus tard, le 21 août Maduro déclara l’État d’exception dans ces municipes conformément aux articles n° 337 et 339[5] de la constitution vénézuélienne, principalement pour restreindre le commerce et la mobilité entre les deux pays pendant 60 jours, renouvelables.

Expulsion de Colombiens du territoire vénézuélien

Dans le cadre des mesures implémentées par le gouvernement vénézuélien pour contrer le développement des activités illégales dans le pays, on a procédé au rapatriement des colombiens récemment installés et non régularisés sur le territoire vénézuélien qui habitaient proches à la frontière. Cette mesure est objet de controverses auprès du gouvernement colombien qui demande une révision de celle-ci, l’alléguant dégradante de la vie des personnes et des relations entre les deux pays, sans résoudre les problèmes de la contrebande et des paramilitaires. A ce sujet, le président Santos déclara «Nous exigeons au gouvernement du Venezuela le respect de tous les Colombiens, du plus humble au plus puissant », à quoi le président Maduro répond : « On veut faire une campagne sur ma personne en tant qu’anti colombien. Je suis anti paramilitaire, anti narcotrafic. Nous aimons le peuple de la Colombie ».

Les deux pays sont résolus à privilégier le dialogue et mercredi 26 août dernier, les ministres des affaires étrangères de la Colombie Maria Angela Holguín et du Venezuela Delcy Rodriguez, se sont réunies à Cartagena pour faire baisser les tensions et concilier des solutions conjointes aux   problèmes qui affectent la frontière entre les deux pays. L’instauration d’une table de dialogue est prévue pour accorder les stratégies nécessaires à la création d’une « nouvelle frontière » plus stable et mieux maîtrisée, commençant par les 47 pas transfrontaliers.

Certaines forces politiques, notamment le « Partido de la U » duquel le président Santos est membre, demandent la dénonciation du traité de Brasilia, constitutif de l’UNASUR. Vue la magnitude de l’enjeu et les graves répercussions qu’une telle décision aurait sur l’intégration sud-américaine, le secrétaire général de l’UNASUR et ancien président de la Colombie Ernesto Samper souleva : « J’espère que les colombiens comprennent que le sujet de l’UNASUR n’est pas celui des relations avec le Venezuela qui préoccupe bien évidemment, mais d’une quantité d’intérêts régionaux involucrés qui se verraient affectés ».

Dans cette conjoncture de tensions colombo – vénézuéliennes, le secrétaire général de l’Organisation des État Américains, Luis Almagro, a récemment déclaré qu’il continuera à insister fortement auprès du gouvernement vénézuélien pour que l’OEA soit observatrice de l’élection législative du 6 décembre prochain, afin de garantir la fiabilité des résultats. Le Conseil National Électoral vénézuélien qualifia ces déclarations d’acte d’ingérence et invita Luis Almagro à respecter les principes et les propos de l’OEA.

L’impasse entre ces deux pays sud-américains pose sur la table une question substantielle pour l’ensemble de la région : la réalisation de l’intégration latino-américaine. Les évènements en plein développement stimulent la fragmentation de la région et servent aux forces adverses à l’union Sud-Américaine telle que stipulée dans les principes fondateurs de l’UNASUR et au-delà, réactive les initiatives qui visent à désamorcer l’actuel processus d’intégration à l’échelle latino-américaine. Au moyen de bons offices, la diplomatie régionale devra être active et de qualité pour surmonter l’impasse colombo-vénézuélien que, à l’heure de l’intégration, est un enjeu latino-américain.



[2] Ibidem

[3] Créé à partir de l’année 2003 dans une conjoncture de fuite de devises, il y a aujourd’hui au Venezuela un contrôle de change officiel échelonné selon les finalités d’usage à 6.30 BsF./1$ pour les produits prioritaires pétrole, alimentation, santé… ; à 12.80 BsF./1$ à travers le système complémentaire d’administration de devises - SICAD[3] http://www.bcv.org.ve/c5/sicad/c9/tme01.asp , dont l’accès est limité, pour les importations non prioritaires et les finalités touristiques ; et à 199.8 BsF./1$ à travers le Système Marginal de Dévises (SIMADI)[3] http://www.bcv.org.ve/c5/simadi/simadi-02.asp , également en accès limité et établi dans l’objectif de neutraliser les distorsions crées par le marché parallèle de la monnaie, coté actuellement au-delà des 700 BsF./1$[3]. L’un des sites de référence de ce type de change illégal est www.dolartoday.com

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